L’étonnante plasticité de la commande publique

  • 11/10/2019
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"Dureté et rigidité sont compagnons de la mort.
Fragilité et souplesse sont compagnons de la vie."
Lao Tseu


Un cri du cœur : «Difficile d'attribuer un marché public à quelqu'un avec qui on aurait aucun lien, alors que, chez nous, tout le monde se connaît !». L’un des participants à la conférence commande publique de l'Association pour l'achat dans les services publics (APASP) du 27 septembre, réagit au moment où l'épineux sujet du délit de favoritisme est abordé (Lire "Quand commande publique et insularité s'entrechoquent"). Cet acheteur explique, que lorsqu‘il lance un marché public dans son territoire de géographie insulaire, il sait très bien par avance que plusieurs membres de sa famille vont probablement répondre à l’appel d’offres. Et avec le caractère non intentionnel du délit de favoritisme… là, il y a risque (relire la tribune d’Alain Lambert "Lever les tabous : supprimer les dispositions pénales du droit de la commande publique") ! Alors... céderez-vous ? Vous livrerez-vous à une sorte de discrimination à rebours, qui consisterait à refuser une offre, même mieux disante, par crainte du juge pénal ?

Un cri du cœur qui ramène aussi la commande publique à la réalité du terrain. Il ne s’agit pas de verser dans la critique de hauts fonctionnaires d’Etat, qui, du haut de leurs administrations parisiennes, imposeraient des règles, sans prendre en compte la pratique au quotidien des acheteurs. C’est peut être parfois vrai, parfois exagéré... et peut être aussi nécessaire. Laure Bédier (Lire sa tribune "L’an I de la dématérialisation") considère que le défi de la dématérialisation intégrale de la commande publique, dont on fête le premier anniversaire, est gagné. Une affirmation que confirme notre enquête (lire "L’acheteur public et le "tout démat" : bilan positif"). Rappelons-nous : des obligations générales, un changement de culture et de pratiques, un appel à l’innovation et une date butoir... C’était pas gagné d'avance ! Ce qui ne veut pas dire que tout est parfait : CAO, computation des délais, signature électronique, détection des OAB, facturation ... Le nouvel édifice de la commande publique est loin d'étre achevé et réceptionné sans réserve !

Un cri du cœur qui souligne cette autre ligne de force : l’adaptabilité de la règle, à laquelle n’échappe pas la commande publique. On est bien loin du principe de l'article 1382 du code civil tel qu'issu de la loi de 1804 : "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". Bien écrit ; efficace car simple et général.  Au juge de le mettre en œuvre !
Désormais, pour répondre aux exigences et contraintes du terrain, qu’elles soient techniques, politiques, géographiques ou économiques, la norme cherche à s’adapter « localement » ou en fonction des « secteurs » à gérer (relire l'interview de Nicolas Charrel  "Commande publique : " Je rêve d’une directive 2024 qui transforme la règle dure en règle souple"). 

 

Souplesse à tous les étages

D’abord, l’expérimentation : on vérifie qu’une loi, une règle, une norme, développée dans un contexte particulier et à titre expérimental non seulement fonctionne, mais est ausi susceptible d’être étendue et généralisée (lire "Achat public innovant : un dispositif qui demande à être plus connu et…utilisé !" et "Good bye les marchés d’innovation à moins de 100 000 euros ?").
Une autre approche tendant à l'assouplissement consiste à considérer qu’il n’est plus nécessaire, ni gage d’efficacité, que la règle soit uniforme, non pas géographiquement, mais sectoriellement. Autrement dit, prendre en compte un critère matériel. Pourquoi marchés de travaux, marchés de restauration scolaire, ou achat de fournitures devraient-ils répondre au mêmes règles de procédures, sans nuire au principe d’efficacité de la commande publique ?
Troisième vecteur de souplesse : envisager la commande publique selon un critère organique. En quoi une  petite commune, une interco, un établissement public, un hôpital ou un service de l’Etat devraient–ils, compte tenu de leurs moyens, respecter les mêmes règles, du moment que les grands principes de la commande publique sont respectés ?

C’est un débat perpétuel (le débat, ce signe de vitalité !) : règle générale et impersonnelle (gage d’égalité et d’uniformité), ou "droit souple", "adapté" (gage d’efficacité et de réalisme sur le terrain) ?
 
Jean-Marc Joannès