La répartition des missions confiées au sein d'un groupement en cas de prestation réglementée

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L’acheteur est-il obligé d’exiger des membres du groupement de se répartir, dans l’offre, les prestations lorsque celles-ci sont réglementées ? Le Conseil d’Etat vient de répondre positivement, à l’occasion d’un contentieux. L’objectif de cette obligation, comme l’a expliqué le rapporteur public, est de permettre de vérifier si l’opérateur, affecté à cette mission, est bien habilité légalement à l’exécuter.

Les consignes pour former un groupement d’opérateur, depuis la réforme de la commande publique, continuent à se préciser en ce début d’année. Après la décision GIE Groupement périphérique des huissiers de justice (CE, 26 janvier 2018, n°399865), le nouvel arrêt du Conseil d’Etat, publié le 4 avril 2018, cadre les règles en matière de répartition des tâches entre les entreprises membres. En l’espèce, l’OPH Mistral Habitat a lancé une passation portant sur une « mission visant à obtenir des dégrèvements sur les impositions de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des dépenses pour économies d’énergie, pour l’adaptation des logements handicapés et de la vacance ». Une société évincée a saisi le juge du référé précontractuel. Le motif ? Le marché ne pouvait être confié à l’attributaire, constitué en groupement, car ses deux membres auraient dû être des cabinets d’avocats compte tenu de l’objet. Dans les faits, seul un opérateur disposait de cette qualité, le second était une société de consultant. Le tribunal administratif (TA) de Nîmes ne l’a pourtant pas entendu de cette oreille. La requérante s’est pourvue en cassation. Le rapporteur public, Gilles Pellissier, a adopté un raisonnement différent de la juridiction de première instance. Les sages du Palais Royal l’ont repris.

Co-signature obligatoire d'un opérateur habilité légalement à exécuter la prestation


La prestation demandée par l’OPH porte partiellement sur des consultations juridiques ou la rédaction d’actes sous seing privé. Conformément à l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, seul les titulaires d’une licence en droit ou à défaut, disposant d’une compétence juridique appropriée, peuvent exercer ces activités. Pour rendre son ordonnance, le TA s’est notamment fondé sur l’article 44 V du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 :

L’appréciation des capacités d’un groupement d’opérateurs économiques est globale

« L’appréciation des capacités d’un groupement d’opérateurs économiques est globale. Il n'est pas exigé que chaque membre du groupement ait la totalité des capacités requises pour exécuter le marché public ». Il a couplé cette disposition avec le principe de l’arrêt, Conseil de l’ordre des avocats au barreau de Paris, de la cour administrative d’appel de Lyon. « Les soumissionnaires [peuvent] s’adjoindre… le concours de spécialistes possédant les compétences dont eux-mêmes ne disposent pas afin de réunir l’ensemble des capacités requises à l’appui de leur candidature… à la condition de ne pas méconnaître les dispositions déontologiques particulières régissant l’exercice de certaines activités… tel est le cas des prestations juridiques… ce qui implique qu'ils soient cotraitants du marché à l'exécution duquel ils doivent participer et donc qu'ils signent l'acte d'engagement  » (CAA Lyon, 18 juin 2015, n°14LY02786). Le juge s’est alors contenté de vérifier, dans la présente affaire, si le contrat était bel et bien co-signé par une personne légalement qualifiée.

Fixation dans l'offre du cotraitant exécutant la prestation réglementée


Cependant, cette démarche ne serait pas suffisante, selon Gilles Pellissier. D’abord, dans un groupement qu’il soit conjoint ou solidaire, la solidarité fonctionnelle n’existe pas entre ces membres. Ensuite, les candidats peuvent facilement contourner la règlementation en intégrant dans un groupement des personnes dont la seule contribution est d’être présente afin d’apporter cette caution. S’intéresser également à la répartition des missions, entre les cotraitants, se révèle être important. Or, sur ce point, la réglementation n’est pas contraignante. C’est au bon vouloir de l’acheteur de réclamer, dans les documents de la consultation, que « certaines tâches essentielles soient effectuées par l’un des membres du groupement », glisse l’article 45 du décret. Le Conseil d’Etat, avec sa décision GIE Groupement périphérique des huissiers de justice, a commencé à combler ces lacunes. A cette occasion, il a admis qu’un groupement d’intérêt d’économique puisse se porter candidat, pour le compte de leurs membres : « dès lors que seuls ces derniers exécutent les prestations objet du contrat et à la condition de préciser dans l’acte de candidature quels sont les huissiers membres du groupement qui s’engagent ainsi à [les] exécuter…dans les conditions prévues par [les textes applicables à cette profession] ».

S’assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer

Dans ce litige, il continue sur cette lancée. « Il appartient au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public portant sur des activités dont l’exercice est réglementé, de s’assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer ». Si l’opérateur affecté à cette mission n’est pas qualifié alors l’offre serait irrégulière.

Un contrôle du juge limité


En parallèle, la haute juridiction insiste sur ce point : le juge des référés doit rechercher si le cotraitant non habilité légalement « ne serait pas nécessairement conduit à effectuer des prestations juridiques entrant dans le champ d’application de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 ».

Le contrôle du magistrat serait limité. Il ne devrait pas rechercher comment le marché sera exécuté

L’ordonnance attaquée a donc été annulée. Toutefois, le contrôle du magistrat serait limité. Il ne devrait pas rechercher comment le marché sera exécuté, a avancé Gilles Pellissier. Il doit uniquement s’appuyer sur les documents qui lui sont soumis. Les sages ont, en effet, suivis cette posture. En se penchant sur les pièces, ils ont constaté les faits suivants : l’avocat du groupement attributaire s’occuperait des dépôts des réclamations et des éventuels recours contentieux tandis que le recueil des pièces nécessaires à l’étude, l’élaboration des réclamations, l’envoi des rapports d’étapes et de la synthèse des dégrèvements et le suivi des dossiers auprès des services fiscaux, reviendraient à la société consultante. Par conséquent, la demande de la requérante a été rejetée.