De la volonté et des moyens, sésames pour gagner des appels d’offres à l’étranger

  • 18/07/2008
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Pour répondre à un marché public étranger, il faut avoir le cœur à l’ouvrage. Les entreprises françaises qui se sont déjà lancées dans l’aventure s’accordent à dire que la démarche n’est pas facile, loin de là. Elle est même difficile la toute première fois. Pour autant, elles estiment que l’opération est tout à fait réalisable à condition de bien s’y préparer et d’y mettre les moyens.

La barrière de la langue, que l’on pourrait penser a priori handicapante, ne semble pas le point le plus délicat de la démarche. La plupart des pays européens éditent leurs formalités dans la langue de Shakespeare, tandis que les pays du Maghreb ainsi qu’une partie de l’Afrique noire maîtrisent le français. En outre, une grande partie des appels d’offres étrangers susceptibles d’intéresser des entrepreneurs de l’hexagone sont lancés par les grands bailleurs de fond tels que la banque mondiale ou l’ONU qui, naturellement, utilisent également l’anglais comme langue officielle. S’agissant des formalités administratives, les exigences apparaissent, selon les PME interrogées, sensiblement identiques à celles d'une administration française, mis à part les grandes institutions internationales qui ont des procédures lourdes et contraignantes (cf article Les appels d’offres des bailleurs de fond : une gageure). C’est ce que constate Stéphane Pastor, chargé de mission à Alsace International, une structure qui aide à la fois les investisseurs étrangers souhaitant s’implanter dans la région et les entreprises alsaciennes qui veulent conquérir des marchés étrangers (1).

Des formalités similaires d'un pays à l'autre

Christophe Milon (photo ci-contre), patron d’Eco-compteur, une jeune PME qui propose un système permettant de recueillir des données sur le trafic cycliste et piétonnier d’une collectivité, approuve : « Dans les pays où nous travaillons directement avec les clients publics tels que la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, la Belgique, l’Australie, le Canada, les Etats-Unis et la Norvège, je n’ai pas remarqué de grandes différences concernant les formalités exigées pour répondre à un marché public », répond-il. Même son de cloche chez LDE, une société spécialisée dans le monde du livre et de l’éducation : « Les documents demandés sont incontournables quel que soit le pays et ne posent pas vraiment de problème », affirme Pierre Alban Villeroy, le responsable des activités internationales. Christophe Milon constate toutefois, pour sa part, une différence culturelle entre les pays anglo-saxons et les autres Etats concernant l’analyse du retour sur investissement : « Les anglo-saxons ont la culture de l’évaluation et la formalisent avec méthode, mentionne-t-il. Je peux ajouter que les fonctionnaires d’Amérique du Nord facilitent la tâche des entreprises en s’occupant de toute la paperasserie. La charge de travail est de leur côté, pas du nôtre », affirme le jeune entrepreneur.

Avoir un correspondant sur place

Pour les entreprises interrogées, le plus difficile consiste à se tenir informé du lancement des appels d’offres susceptibles de les intéresser et à obtenir le cahier des charges. Sans oublier le suivi régulier des contrats, notamment dans les pays en voie de développement : « Le retrait du dossier de consultation est souvent une opération compliquée, en particulier dans les destinations lointaines. Il faut souvent qu’une personne soit sur place pour pouvoir en avoir un exemplaire. Il peut même arriver qu’une entreprise ne puisse accéder au marché public en question si elle n’a pas de représentant dans le pays pour venir chercher lui-même le dossier », indique Stéphane Pastor. « Il faut avoir un partenaire sur place », confirme Alberto Benavente (photo ci-contre), chargé d'affaires à l'export à IEC, une société spécialisée dans les équipements audiovisuels pour les espaces de communication (salles de conférence, auditoriums, hôtels, etc.) qui répond à une vingtaine de marchés publics par an dans les pays du Maghreb. On a plus de chance de gagner un appel d'offres avec un groupement dans lequel participe une personne originaire de la localité. Cela rassure la personne publique, notamment lorsque le contrat prévoit une prestation de maintenance et d'entretien du service » reprend-il, avant de poursuivre : « En fonction du montant  d'une opération et de sa durée, il peut être nécessaire de créer un établissement sur place pendant l'exécution du contrat. Cela peut même être exigé par les autorités étrangères. Le coût engendré est évidemment loin d’être négligeable », prévient-il. « Même si certains Etats sont plus ouverts que d’autres, les administrations préfèrent en général travailler avec des entreprises nationales. Il faut être présent dans le pays pour espérer gagner l’appel d’offres dans certains cas. C’est parfois le seul moyen de se tenir au courant des opérations à venir », renchérit le dirigeant d'une PMI spécialisée dans la cartographie numérique.

S'adjoindre les services d'un avocat
 
Pour éviter de rater les avis de publicité qui pourraient la concerner, la société LDE fait justement appel aux services d’Alsace International, et consulte régulièrement le JOUE ainsi que l’équivalent des journaux d’annonces légales étrangers spécialisés dans son secteur d’activité : « Nous passons régulièrement des coups de fil aux responsables culturels des pays dans lesquels nous sommes implantés pour connaître les projets en cours. Nous cherchons avoir une démarche proactive », explique Pierre Alban Villeroy. Trois salariés s’occupent à temps partiel de répondre aux appels d’offres internationaux au sein de cette PME de 21 personnes qui répond systématiquement aux marchés publics étrangers depuis environ un et demi. Chez IEC, qui compte 400 salariés, trois à quatre personnes s'occupent à temps plein des activités à l'export. Outre la difficulté d'effectuer une bonne veille commerciale et d'obtenir un exemplaire des cahiers des charges, les entreprises citent le respect des délais, souvent trop courts, en particulier lorsque ces dernières ne disposent pas d'un correspondant local, et la conformité juridique des dossiers rendus : « Une mauvaise expérience nous a montré qu'il est préférable de s'adjoindre les services d'un avocat, commente Alberto Benavente. Nous ne l'avons pas fait pour le contrat que nous avons remporté pour la cité des sciences de Tunis et nous nous en sommes mordus les doigts », regrette le responsable.

La COFACE en renfort

Ce dernier met en garde les futurs candidats à l'export sur les conditions de paiement prévues dans les contrats et de transfert de fonds en raison des problèmes qui peuvent se poser à propos de la convertibilité de certaines devises étrangères en euros : « En appel d'offres, il est impossible de négocier quoi que ce soit. Or, une opération, même si elle lancée par une personne publique, peut s'avérer risquée dans certains Etats. Il faut donc faire très attention à ces paramètres. De même, il faut vérifier avant de répondre à un marché public que le l'opération est déjà financée car il arrive dans certains pays en voie de développement que les autorités publiques lancent l'appel d'offres alors qu'elles sont encore en train de chercher son financement auprès de bailleurs de fond, ce qui signifie que le projet peut capoter. Cela nous est déjà arrivé et nous a fait perdre trois semaines de travail », témoigne Alberto Benavente. La meilleure des précautions contre un éventuel non paiement du marché consiste selon lui à demander un agrément à la COFACE (Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur) qui se charge d'enquêter sur la solvabilité des clients publics avec lesquels une entreprise française contracte : « C'est elle qui nous indique si on peut y aller ou pas. Surtout, lorsqu'on rencontre des difficultés de paiement malgré son agrément, la COFACE s'engage à agir pour le compte de la société lésée, voire même à l'indemniser, si les paiements sont totalement coupés. Cela a été le cas pour la cité des sciences de Tunis », mentionne-t-il. Malgré les embûches qui peuvent jalonner le parcours d'une entreprise qui se décide à répondre à un appel d'offres étranger, Alberto Benavente, tout comme Pierre Alban Villeroy de LDE, estiment que le jeu en vaut la chandelle. « Le tout, c’est de se décider à y aller et d’y mettre les moyens », concluent-ils.

(1) Lire : BRIAN MARTIN AIDE LES ENTREPRISES ALSACIENNES A GAGNER DES MARCHES PUBLICS INTERNATIONAUX