Commande publique : un peu de rigueur ne nuit pas...

partager :

« La tolérance ne devrait être qu'un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer, c'est offenser.»
Goethe

Cette semaine commence un de ces procès dont on parle beaucoup et longtemps... et qui font mal à la commande publique.
Sont jugés l’ancien PDG d’EDF, ainsi que douze autres personnes, pour des soupçons de favoritisme autour de contrats de consultants entre 2010 et 2016, après un signalement de la Cour des comptes menant à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le Parquet national financier (PNF).
44 contrats ont été identifiés (pour un total d'environ 22 millions d'euros), tous conclus sans mise en concurrence, avec des "communicants", anciens dirigeants d'entreprises, des politiques, des magistrats, des avocats et des journalistes pour des missions de conseil en communication et "conseil stratégique". Un système d’attribution bien établi : était appliquée une "procédure particulière" reposant uniquement sur les références et la notoriété des consultants.

La "notoriété" comme critère d'attribution ? C'est nouveau. Encore que... En réfléchissant bien... La reconnaissance d'un critère de "Critère de crédibilité" vient d'être reconnu par le législateur (lire "Industrie nucléaire : dérogations à la commande publique")...
 

Des lignes de défense étonnantes

Plus c’est gros, plus ça passe ? Les avocats de l’ex PDG d’EDF demandent la relaxe : « d'abord parce qu'une grande partie des faits sont prescrits et parce que, pour qu'il y ait favoritisme, il faut une volonté occulte. Or, tout a été d'une publicité rare, la volonté de cacher est absolument absente de ce dossier». Ils soulignent aussi l'absence d'enrichissement personnel.

Onze personnes physiques ou morales sont citées devant le juge pour recel de favoritisme, mais toutes contestent avoir commis une infraction. Certains consultants se défendent en faisant état de leur méconnaissance des règles de la commande publique ; d'autres affirment qu'un appel d'offres n'était pas possible car les missions en question étaient "confidentielles" ou requéraient des compétences particulièrement rares.

Résumons : "il n’y a pas faute, puisque l’on a rien caché ; ou alors je n’étais pas au courant qu’il existe des règles à suivre ; ou bien elles ne s’appliquaient pas à moi…"

Cette affaire remet en lumière les marchés passés pour l’externalisation de certaines prestations extérieures (relire "Cabinets de conseils : le sommet de l’Etat réticent à communiquer les marchés publics" - "Service d’information du Gouvernement : de grosses faiblesses en matière de commande publique" et consulter notre dossier "Prestation de conseils").
Elle est aussi le signe de cette tendance à un certain "détachement" pour ne pas écrire " décontraction" que nous avons pu relever cette semaine.


Souplesse ou relâchement ?

Ici, devant le juge, un candidat évincé n’hésite pas à invoquer des moyens qui se contredisent (lire "Procédure de passation d’un contrat public contestée : un peu de cohérence, que diable !").
Là, la Cour des comptes reproche à la société aéroportuaire Martinique Aimé Césaire (SAMAC), un "défaut de surveillance" de son ATMO en s’en remettant à lui pour l’analyse des candidatures et en acceptant comme principal indicateur de la capacité économique et financière le chiffre d’affaires des candidats (lire "La Cour des comptes pointe les turbulences dans la commande publique d’un aéroport").
Plus encore, le juge est amené à rappeler qu' « au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché » (lire "Une commune condamnée après avoir refusé de communiquer des documents administratifs").
Et que penser de ces élus qui modifient les critères de sélection après le dépôt des offres pour attribuer un marché au candidat classé second (relire "Marché public attribué au candidat classé second par délibération du conseil municipal : contentieux assuré !") ?
 

Des circonstances atténuantes ?

Il est vrai que le contexte peut paraître favorable à la "débrouillardise", au flirt avec les lignes rouges de l’achat public, au nom soit de la simplification, soit de l‘efficacité ou de la "politisation" de l’achat public, en tant que levier, voire au nom d’une affirmation selon laquelle la fin justifie les moyens…

D’abord, le cadre juridique n’est pas toujours clair, comme le montre le second volet de notre enquête sur la passation des contrats de protection sociale complémentaire des agents (lire "Marchés publics d’assurance de prévoyance et de santé : un cadre juridique qui n’assure pas ! (2/2)").

Par ailleurs, la souplesse dont fait parfois preuve le juge, qui veut avant tout sauver le contrat, est parfois déconcertante. Cette semaine nous avons relevé une affaire dans laquelle le juge administratif considère que le code s'oppose en principe à toute modification du montant de l'offre à l'initiative du candidat ou du pouvoir adjudicateur, sauf dans le cas exceptionnel de rectification d’une erreur purement matérielle … ou s’il s’agit d’une rectification sans lien avec l’éviction d’un soumissionnaire (lire "Modification illégale d'une offre par l'acheteur... sans conséquence").

Et comment mesurer l’impact de cet arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère que la falsification d’une attestation Urssaf ne peut entrainer, en soi, une peine automatique d’exclusion des marchés publics (relire "Attestation URSSAF falsifiée : pas de peine automatique d’exclusion des marchés publics"). Etonnant, alors qu’au nom d’une bienvenue simplification de l’achat public, on mise sur les déclarations sur l’honneur et autres attestations fournies par les fournisseurs…
 

Rappel à la règle

Ces observations portent -elle la marque d'un excès de juridisme ? C'est fort possible... Mais de toute façon, affirmer qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel ne sera jamais un argument entendable, pas plus que la méconnaissance des règles.

Finalement, c’est le TA de Rennes qui rappelle ce principe fondamental : rien n’autorise à sortir du cadre réglementaire, même dans les périodes les plus difficiles (lire "Prolongation du délai de validité des offres : respect des conditions même durant la crise sanitaire").
Vous savez quoi ? Les grands principes de la commande publique surplombent la réglementation et doivent être respectés, lorsque celle-ci semble, à tort ou à raison inapplicable, et ce quelles que soient les circonstances.