Faites donc une petite place aux élus dans la commande publique !

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« Pas de droits sans devoirs ; pas de devoirs sans droits »
Procès de l’association internationale des travailleurs - Juin 1870


Il fallait s’y attendre : le "Name & Shame", c’est du pain béni pour les journalistes ! Le Gouvernement a mis à exécution sa menace de publier la liste des personnes publiques qui ne respectent pas les délais de paiement (relire "Retard de paiement : les mauvais payeurs dans le viseur du Gouvernement"). Le mercredi 17 avril (lire "« Name & Shame » : les délais de paiement des collectivités dévoilés") les données relatives aux retards de paiement des collectivités territoriales sont publiées sur le site data.gouv.fr.
 

Une mine pour le data journalisme

Dès le lendemain, la presse grand public dédie une pleine page au titre accrocheur : "Ces villes mauvaises payeuses". D’autres journaux, de la presse professionnelle et avec une forme de délectation dans le data journalisme, se livrent à l’analyse des17 000 lignes de données mises à disposition. Avec des conclusions moins accrocheuses. Ainsi Maire info titre plus sobrement "Les premiers enseignements de la publication des délais de paiement des collectivités" et propose une analyse pro domo : « Les quatre cinquièmes des entités respectent les délais légaux », avec un constat : « sur les quelque 17 000 entités dont les données sont publiées, seules 3 750, soit 22 %, ne respectent pas la règle des 30 jours. Autrement dit, environ les quatre cinquièmes des collectivités et entités publiques de plus de 3 500 habitants sont dans les clous. Sur les 3 750 entités qui ne respectent pas les délais, plus de la moitié restent en dessous des 40 jours. »
 

Objectifs atteints ?

Si l’objectif de cette opération transparence sur les délais de paiement, c’est de montrer que le Gouvernement se soucie du sort des PME et TPE, oui, assurément il est atteint.

Allez, un petit aparté : le "montrer" ... et l'afficher : lors de la présentation du "plan de simplification" à Bercy le 24 avril, Bruno Le Maire a été très clair sur sa conception de la commande publique, qui n'est plus, donc, la traditionnelle bonne gestion des deniers publics : d’ici 2027, « la commande publique aura été intégralement repensée pour faciliter la vie des entrepreneurs » (lire "Commande publique : « simplifier des règles qui sont dignes de Balzac »").

Cela étant, Depuis longtemps, Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises alerte sur l’effet catastrophique des retards de paiement sur un tissu économique fragilisé (relire "Médiateur des entreprises : une année 2023 chargée"). Sauf que le Médiateur des entreprises, lui, est plutôt adepte de la démarche inverse, le "Name & Glorify", estimant qu’il est plus porteur de mettre en évidence les comportements vertueux.

Si l’objectif, c’est de pousser les acheteurs à respecter leurs fournisseurs et à ménager la trésorerie fragile des PME / TPE, on peut gager qu’il sera atteint. La méthode est efficace : par crainte de l’infamie, les élus concernés vont certainement demander à leurs services d’améliorer les délais de paiement. Et cela peut fonctionner : la responsable des services Achat d’une grande interco nous confie, apprenant la mise en ligne de la "liste honteuse", qu’elle va se jeter dessus pour voir où elle se place… pour anticiper les remontrances. Un autre nous explique, "en off," et sans remettre en cause la nécessité d'y remédier, que ces retards de paiement sont plus souvent dus à des processus longs, plus qu’à la volonté de se faire de la trésorerie sur le dos des entreprises. « Peut-on en vouloir au comptable publicde s’assurer que toutes les conditions du déclenchement du paiement sont réunies ? ».
 

Une autre voie existe

Il faudra donc s’attacher à trouver les bons indicateurs pour déterminer si le "Name and Shame" des délais de paiement produira ses effets.
Mais nous parions sur un autre levier : l’implication volontariste des élus dans la commande publique. Dans une précédente cogitation, achatpublic.info constate une convergence entre acheteurs et élus : la nouvelle commande publique, moins juridique, plus économique, environnementale, sociale et sociétale, est désormais clairement affichée et perçue comme un levier au service de toutes les politiques. Et que donc, forcément, les élus vont s’en emparer (relire "Commande publique : vers une jonction des fonctions »").

Cette semaine nous laisse à considérer que cette voie, celle de la place grandissante de l’élu dans l’achat public, est la bonne. Une voie à l’opposé de l’image négative de l’élu qui insiste auprès de ses services pour que "sa" commande publique bénéficie d’abord à "ses entreprises", sur "sa" commune … Avec, autre forme de convergence, une analyse commune d’un élu et d’un responsable de service Achat sur la difficulté de l’élu à prendre sa place…

D’abord, Nicolas Cros, Directeur des Achats et de la Commande Publique de Bordeaux Métropole, nous confirme que désormais, la commande publique est vraiment vue par les élus comme un outil de politique publique. Leur rôle n’est plus limité à la présidence d’une CAO (revoir "achatpublic invite... Nicolas Cros : « La communication tout azimut, c’est le nouvel enjeu de l’achat public »"). Autrement dit, l’impulsion politique des élus, indispensable pour mettre en œuvre la "nouvelle commande publique", n’est plus suffisante pour certains élus, qui veulent d’avantage s’engager dans l’achat.

Ensuite, en période de tension financière, ils ne peuvent s’en désintéresser. Là, on touche à un principe fondamental de gestion : le financement des marchés (lire cette semaine" Les contrats de la commande publique, c’est aussi une question de financement" ou relire "Marchés et financement de travaux : l’accélération de la SEM Breizh").

Enfin, parce que en réalité, la CAO, ce n’est pas là où l’élu peut intervenir avec de réelles marges de manœuvre. Elle ressemble bien souvent à une chambre d’enregistrement, dans laquelle l’élu n’ose, ou ne peut sans risque, intervenir dans les choix. Récemment, Christian Brassac, conseiller municipal délégué (Vert) de Strasbourg et Vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg,  nous expliquait que grâce au Spaser, l’élu surplombe la CAO (relire "[Interview] Christian Brassac : « le Spaser "surplombe" les CAO de part en part ! »"). Pour cet autre édile, Benoit Mercuzot, l’élu doit prendre sa place le plus en amont possible. Il dresse le même constat : « soyons honnête, l’intervention des élus en CAO, c’est trop tard ! ». Le vice-président aux Finances d’Amiens Métropole détaille la mise en place d’un "comité d’optimisation des achats " (COA) : « on a considéré que les élus devaient participer à la définition du besoin… Et ce, même avec toutes les limites propres aux élus : certes, ce ne sont pas des techniciens… mais ils ne peuvent pas être étrangers à tout le process d’achat public ! » (lire "[Interview] Benoit Mercuzot : « Les élus ne peuvent pas être étrangers au process d’achat public ! »")

Des élus plus impliqués, le plus en amont possible dans l’achat public...Une tendance que ne manqueront pas d’appuyer les juridictions financières, gardiennes de la bonne gestion Achats. Pour preuve, selon la CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur, un peu de collégialité et de transparence ne nuit pas et, de toute façon, créer une CAO en procédure adaptée pallie un manque de collégialité, permet d’assister le pouvoir adjudicateur dans l’analyse de la candidature et de l’offre des soumissionnaires ; et de formuler un avis sur le projet de rapport d’analyse des offres, le classement et le choix du titulaire. En somme, cette démarche répond également à un objectif de transparence (lire "La création d’une commission MAPA… vivement recommandée !").


Alors, acheteurs publics : surmontez vos craintes d’interventionnisme ou autre démarche de "Cost Killer" … laissez une petite place à l’élu !