Commande publique : face à la pénurie, des compétences à foison ?

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"L'épargne est le soin et le scrupule dans la dépense de ses moyens.
Ce n'est pas une vertu et elle ne requiert ni compétence ni talent.
"
Emmanuel Kant


Pénurie et hausse du prix des matières premières consécutive concernent au premier chef la commande publique. Cela touche directement à l’"ADN" de l'achat : acheter au mieux et s’assurer de la bonne exécution des marchés. Nous recensons depuis plusieurs semaines toutes les initiatives et appels pour y faire face (relire "Pénurie de matières premières : appel à la solidarité entre maîtres d’œuvre et sous-traitants" - "Pénurie des matières premières et flambée des prix : le Gouvernement annonce qu’il veillera aux abus" - "Commande publique et pénurie de matériaux et envolée des prix : la doctrine en 3 points de l’Etat" et "Difficultés d’approvisionnement et hausses de prix : les précisions et recommandations de la DAJ").

Identification du risque

Le spectre de la pénurie remonte, pour certains marchés, à bien avant la crise crise covid (relire "Pénurie de médicaments : acheter hors marché ?" et "L’effet de la pénurie de denrées sur les prix prévus dans les marchés publics"). Mais de tels appels directs, et de plus en plus insistants, aux acheteurs publics (relire "Pénurie de matières premières : le Gouvernement en appelle aux acheteurs"), c'est nouveau. Cela ne manque pas d’en agacer certains (relire "Hausse des prix des matières premières et agilité contractuelle : on frappe une nouvelle fois à la porte de l’acheteur"). Et fait craindre un énième modification du code de la commande publique (relire "La flambée du cours des matières premières mènera-t-elle vers de nouveaux assouplissements du code de la commande publique ?").
De nouvelles pistes sont d’ores et déjà étudiées (relire "Faire une clause de révision des prix dans un contexte de flambée des coûts"). Le "risque pénurie" est désormais identifié dans l’acte d’achat (relire "Décortiquer les risques achats : une tâche qui ne peut plus être ignorée"). Derniers développements : ce que l’on demande à l’acheteur, c’est d’agir en stratège (lire "Achats stratégiques : jusqu’où peuvent aller les acheteurs publics ?").

Faire face

Juriste, économiste, stratège… En entassant toujours plus de missions et d’objectifs à l'acheteur public, on va finir par en exiger un niveau de compétences élévé. Avec la tentation de les confronter avec les "résultats" (relire "Quelle rentabilité des acheteurs publics ?"). Dans les "requis", il y aura toujours une constante : savoir faire face au risque contentieux. Le risque contentieux, là encore, n’est pas nouveau. Mais reconnaissons que la tâche s'est singulièrement compliquée.
Prenons l’exemple la fin des accords-cadres sans maximum. Cette semaine, MNicolas Ferré explique qu’ « il y a eu une forme d'aveuglement des juridictions nationales sur l’évolution du juge européen, au fil de ses décisions, qui tendait à la solution que l’on connaît depuis cet été, avec l’arrêt "Simonsen Weel" . Au final, ce sont les acheteurs publics qui en payent aujourd’hui les pots cassés » (lire "Fin des accords-cadres sans maximum : quelles conséquences ?")
Autre exemple : la chronique de Me Nicolas Lafay, rappelle, cette semaine, que le juge reste dans une certaine logique inflexible : il refuse une procédure avec négociation bien que le marché paraissait complexe ; il admet l’absence d’erreur matérielle entre les pièces d’une offre qui se contredisent (lire "[Au plus près des TA...] Le juge reste inflexible sur ses principes").
Poursuivons : l’acheteur monte une belle procédure pour l’attribution d’une concession… qui tombe du fait de contribuables locaux peu convaincus du modèle économique (lire "Une concession résiliée sous l’action de contribuables locaux"). Mais attention : l’acheteur est aussi tenu d’apprécier « intelligemment » le caractère complet d’une offre. Ainsi, l’autorité concédante peut certes regarder une offre comme incomplète si les exigences du règlement de la consultation liées à la production de documents ne sont pas remplies… mais sous réserve que ces exigences ne soient pas manifestement inutiles à l'appréciation de l'offre et à sa comparaison avec les offres des autres candidats (lire "DSP : gestion des candidatures incomplètes au regard du règlement de consultation").

Bienveillance et empathie réquisitionnées

Face à ces deux lignes de tensions, avec d’un côté une « mobilisation des acheteurs » et, de l’autre côté, un risque contentieux toujours présent, on identifie aussi de nouvelles qualités essentielles de l’acheteur public. Certes, il n’est plus seulement rompu au droit de la commande publique : il assume bien sûr pleinement que l’achat public est un acte économique. Désormais, on lui demande une certaine forme de "bienveillance" (relire "Juridique, économique… et bientôt « bienveillante », voici la nouvelle commande publique !").

Cela relèverait de la "professionnalisation de l’acheteur public", sur lequel on s’appuie pour assurer que l’acceptabilité de toutes les réformes du code de la commande publique (relire "[Interview] Professionnalisation de la fonction achat, un objectif toujours d’actualité" et "Les acheteurs sont-ils prêts pour les Achats de demain ?"). Désormais, on parle même de l’"intelligence émotionnelle" (lire : "« Etre un bon acheteur, c’est faire preuve d’intelligence émotionnelle »") : cette compétence sera de plus en plus recherchée chez les acheteurs publics, car « au cœur de la qualité des relations ». Mais tout ça, cela relève des "softs skills"...

Faire appel aux « compétences douces » quand les temps sont durs…. serions_nous à ce point démunis ?




Jean-Marc Joannès