Simplifier la commande publique sans tomber dans l’insécurité juridique

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« Le mieux est l'ennemi du bien »


Et si la simplification de la commande publique passait d’abord par la remise en cause du principe d’une attribution multicritères du marché public ? La Commission d'enquête du Sénat sur "les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française" devrait se terminer à la fin du mois… or, à mon grand étonnement, une telle proposition n’a jamais été évoquée (lire " La commande publique sous enquête sénatoriale (11)").

Ce principe s’applique quel que soit le montant du contrat, même lorsqu’il est très faible. Le Tribunal administratif de Strasbourg n’a pas hésité au printemps dernier à requalifier une procédure sans publicité ni mise en concurrence de procédure adaptée, portant sur un contrat avoisinant les 3 000€ HT, et à sanctionner par la suite l’acheteur public pour ne pas avoir utilisé plusieurs critères afin de départager les soumissionnaires (relire "Commande publique et devis : une procédure non adaptée").
 

Ne pas négliger la candidature même pour des achats de faible montant

Briser le dogme d’une attribution multicritères faciliterait l’achat public, sans pour autant mettre à mal les garanties et la sécurité qu’offre le Code de la commande publique ; contrairement aux propositions visant à relever le seuil de mise en concurrence (relire "Des seuils et encore des seuils : la commande publique au seuil de l’implosion") et à associer la "pratique des 3 devis" à une procédure sans publicité ni mise en concurrence (relire "Marchés publics et 3 devis : une problématique dépassant le Code de la commande publique ?").

L’organisation d’une mise en concurrence en dehors du Code suscite des interrogations quant aux modalités d’attribution. Mais surtout, elle ne contraint pas l’acheteur public à vérifier le savoir-faire des opérateurs sollicités. Et c'est problématique ! En effet, un défaut d’examen des capacités avant de contracter accroît le risque que le futur titulaire soit défaillant au cours de l’exécution. La phase de la « candidature », souvent délaissée, est pourtant essentielle, comme nous le rappelle l’affaire "Pilliot Assurances & Accelerant Insurance Europe" (relire "Marché public d’assurance : une relation ambigüe entre le courtier et l’assuré").

Comme le soulignent Asli Sahin et Philippe Benollet, auteurs de l’ouvrage « Achats publics, Faire de la réglementation une alliée des stratégies d'achat », les lignes directrices du code de la commande publique est une manière de structurer le processus achat. Une démarche selon eux génératrice de performance. Puisque avoir une conduite structurée tend à être plus efficace, efficient et économe (relire "Le Code de la commande publique, cet allié de la performance "achat"")
 

La fin du critère unique du prix : une initiative française

Le recours au critère unique du prix est autorisé uniquement dans l'hypothèse suivante : lorsque le marché public a pour seul objet « l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre » (CCP, article R. 2152-7). Mais dès lors qu’entrera en vigueur la loi Climat & Résilience en août 2026, et son obligation d’insérer un critère environnemental dans chaque passation, il ne sera juridiquement plus possible de départager les candidats à un marché public uniquement sur le prix (relire "Loi "Climat et Résilience" : et si c’était pour maintenant ?).

Cette restriction n’est pas d’origine européenne, même si depuis plusieurs mois les instances de l’UE commencent à emprunter cette voie à la lecture des derniers règlements (relire "Des marchés publics écologiques : encore de nouvelles obligations européennes !"). La Directive 2014/24/UE ne fait qu’autoriser les États membres à interdire l’évaluation des offres au travers du seul critère prix, ou à limiter cette utilisation à certaines catégories de pouvoirs adjudicateurs ou certains types de marchés (considérant 90).
 

Pas d’attribution multicritères sans expertise

Une attribution multicritères complexifie de fait la commande publique. L’acheteur public ici ne se contente pas d'examiner la conformité des offres, qui consiste à répondre par "oui" ou par "non" à cette question : la proposition respecte-t-elle les exigences du dossier de consultation ? Il doit aussi être en capacité d’évaluer par la suite, s'agissant des offres déclarées conformes, le degré de qualité de chaque proposition pour chaque critère. Un exercice qui prend du temps, nécessite davantage d’expertise, et a un coût (relire "Commande publique "verte" : les économistes pas tendres envers les critères environnementaux !"). Attention aux incohérences entre la notation et les commentaires (relire " Incohérence entre la notation et les commentaires : marché public irrégulier").

Toutes les collectivités publiques ne disposent pas des moyens suffisants pour mener à bien cette tâche. Il n’est pas rare d’observer que des critères sont neutralisés au moment de l’examen des offres (relire "Examen sommaire des offres : une neutralisation du critère dans un marché public" – "[Au plus près des TA] Pas de neutralisation des critères par le jeu de la notation"). Pour des achats simples et/ou à faible enjeu, une telle contrainte peut alors paraître disproportionnée.

Si l’acheteur public prévoit dans son cahier des charges des spécifications techniques et des conditions d’exécution vertueuses notamment sur les volets environnemental et social, la prestation réalisée devrait être qualitatives sur ces axes, bien qu’il y ait eu une sélection au moins-disant. En effet, le pouvoir adjudicateur est tenu d’écarter toute offre qui ne serait pas conforme sur le fondement de l’offre irrégulière (relire "Offre conforme ou irrégulière : quand l’acheteur public s’emmêle les pinceaux"). 
 

Le critère d’attribution : un moyen d’exprimer sa préférence

Par ailleurs, comme l’expliquait dans nos colonnes l’économiste François Maréchal, le recours à une attribution multicritères est un moyen pour un acheteur public de définir ses préférences ; et non d’examiner les capacités du candidat à réaliser le marché public (relire "Examen de la candidature dans l’offre : marché public irrégulier") ou la conformité de l'offre. 

L’objectif du pouvoir adjudicateur, à travers ces critères, est de faire savoir aux opérateurs souhaitant candidater qu’il est prêt à payer un surcoût de X% afin de bénéficier d’une qualité supérieure à celle attendue dans le cahier des charges, sur les éléments définis dans le critère d’attribution (relire "Marché public : les critères de jugement des offres peuvent aussi être hiérarchisés").
A l’inverse, au lieu de valoriser la plus-value d'un soumissionnaire, le critère d’attribution peut aussi être utilisé afin de dégrader la note de celui qui ne remettrait pas une offre répondant à toutes les exigences du dossier de consultation, à condition que soit autorisé les variantes, dès lors que l’acheteur public est prêt à accepter une proposition qui ne répondrait pas entièrement à ses attentes (relire "Variante et coût de cycle de vie : un examen des offres optimum dans un marché public").

Quoi qu’il en soit, il est impératif qu’un critère d’attribution soit discriminant (relire "Jugement des offres à un marché public par des critères discriminants"). Or, s'agissant des critères environnementaux, c'est rarement le cas, observe la Cour des comptes (relire "Verdissement de la commande publique : une politique achat peu durable à l'avenir ?").
 

Autre moyen de privilégier les PME

Enfin, la finalité, derrière l’obligation d’une attribution multicritères, est discutable. Elle vise à privilégier l’attribution de contrats de la commande publique à des opérateurs européens qui sont présumés plus vertueux sur un plan technique, environnemental et social, et donc seraient en meilleure posture pour en être l’attributaire (relire "Pas de souveraineté économique sans une commande publique écologiquement et socialement responsable"). Or ce mécanisme, qui induit des surcoûts en terme de procédure, ne serait pas le plus pertinent afin d’atteindre cet objectif.

Un système à l’américaine de discrimination positive à l’égard des PME serait plus intéressant, souligne François Maréchal. L’UE pourrait profiter de ce protectionnisme ambiant afin de s’inspirer, pour les prochaines directives "marchés publics", de ce dispositif (lire "Commande publique et protectionnisme : perte des priorités dans l’achat public ?").

Elle ferait ainsi une pierre deux coups : la commande publique serait simplifiée, les PME seraient avantagées, et l’acheteur public seraient toujours tenu d’examiner sérieusement la candidature et l’offre.