Un nouveau jeu pour l’achat public : « Action ou Vérité » ?

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« Ce qui caractérise la communication, c'est d'être unilatérale »
Paul Ricoeur

Jadis, si je me souviens bien… un Directeur des rédactions m’expliquait : « ce qui compte, ce n’est pas ce qu’écrit un journaliste, mais ce que les lecteurs en comprennent ».
La communication politique devrait, elle aussi, s’inspirer de ce bon conseil d’un "ancien". Prenons pour exemple et par pur hasard, le dernier grand raout du Gouvernement du 15 avril dernier sur l'état des finances publiques, et son slogan « La vérité permet l’action ». Une communication de crise sur l’endettement de la France, avec un tout petit volet commande publique, abordé lors du point mené par la ministre chargée des Comptes publics.
 

Les faits

Amélie de Montchalin apparait, avec à ses côtés un document de type PowerPoint : "Repenser notre budget autour de principe de bon sens". Zoom sur le principe n°4 : « nous devons faire un constat lucide et mettre fin à des dépenses injustifiées ». Entre la ligne « hausse incontrôlée des arrêts maladie » et la ligne « la gratuité qui déresponsabilise », on peut lire : « la dérive des coûts payés par les acteurs publics (achats, communication)».

Venons-en aux propos de la ministre :
  • « Quand on est un ministère, quand on est un maire, quand on est un acteur public, tout coûte plus cher (…) nous devons revoir les prix auxquels les acteurs publics payent leurs achats et leur fonctionnement ».
  • Le premier ministre François Bayrou l’interrompt : « c’est-à-dire, le mécanisme des achats... »
  • Réponse d’Amélie de Montchalin : « Tout à fait ! ».

A partir de là, deux options se présentent :
  • soit on considère que ce n’est qu’un exercice de communication, avec des mots, supposés "forts", alignés pour faire passer un message plus général ;
  • soit on se dit que les mots ont un sens ; que cela est pensé ; et que de toute façon, ce qui compte, comme disait l’"ancien", c’est le message reçu. Et on tente alors de comprendre ce message, dans un exercice d’interprétations multiples…

Allons-y !
 

Hypothèse 1 : on remet la commande publique à plat !

Ce n’est pas l’hypothèse la plus vraisemblable, mais tentons de l’envisager. Ce qui n’est finalement pas si absurde, puisque que le premier ministre a donc jugé nécessaire de préciser : « on revoit les mécanismes achats ». Mais ce serait quand même assez extraordinaire...

Question "agenda", cela ne colle pas. La révision des directives est en cours. A terme (2026, en principe) l’Europe va donc impulser de nouvelles orientations, avec probablement plus d’achat durable et plus de protectionnisme, sous le signe générale de la souveraineté, de la réindustrialisation et de mécanismes favorisant l’achat local… Dans le respect des grands principes de la commande publique, bien sûr !

Question "principes," cela ne va pas non plus. Car si on suit à la ligne l’affirmation selon laquelle il y a une dérive à la hausse des coûts spécifiques à l’achat public, on voit mal quelle pourrait être une quelconque action gouvernementale de contrôle sur ces prix. Sauf à revenir sur le sacro-saint principe de l’achat au mieux disant, pour rebasculer dans le moins disant. Et encore… Quelle pourrait être la traduction juridique d’un principe selon lequel l’acheteur public achète désormais au moins cher ? Improbable…
Ou alors, le premier ministre, se faisant préciser qu’il faut revoir les « mécanismes d’achats », avait en tête de faciliter et d’étendre le recours à la négociation ?
 

Hypothèse 2 : on joue la carte "actualités" !

Il n’est pas impossible que le Gouvernement, pour accrocher un volet "Commande publique" à ses annonces quelque peu alarmantes sur l’état des finances publiques, s’est convaincu qu’un rappel de l’actualité récente suffirait. Là, il y a peut-être matière à choix... mais ce n’est pas sans risques.

Beaucoup de choix - Admettons que le Gouvernement ait voulu coller à l’actualité pour étayer son message : il y a de façon générale une nouvelle vague de bashing envers "le public", à laquelle l’acheteur public n’échappe pas (relire "Acheteurs publics : le cœur et les reins biens solides !"). Oui, on le sait, l’acheteur public achète mal ; n’est pas assez formé ; se protège juridiquement plus qu’il ne recherche l’efficacité ; est incapable d’innovation ou ne serait-ce que d’apprendre de son homologue "privé". J’en passe et des meilleures… "Achat public bashing", donc…

L’enquête sénatoriale sur la commande montre aussi une forme d’incompréhension, ou de découverte de la complexité de la commande publique et de la difficulté à en mesurer l’efficacité. D'ailleurs, les enquêtes et autres rapports sur la commande publique ont tendance à proliférer (relire "Un nouveau rapport sénatorial "Commande publique" en vue"). Enfin, l’Europe, après avoir découvert l’inefficacité des directives (relire "Commande publique européenne : la concurrence en régression. "Mais que fait la Commission ?"" et "Faible concurrence dans les marchés publics de l’UE : un échec des directives européennes ?") annonce assez régulièrement des assouplissements et des reports sur de vastes chantiers pourtant engagés depuis longtemps (lire "Reporting extra-financier des entreprises : "on verra ça plus tard"").

Plutôt risqué - A puiser dans l’actualité, on peut tomber dans l’information de comptoir. En considérant que l’acheteur public achète à des couts trop élevés, la ministre faisait-elle allusion à une certaine émission télévisée du dimanche soir et à certains articles de presse « grand public » sur les centrales d’achats "qui se font avoir par leurs fournisseurs"? « Si la controverse autour de l’UGAP et des centrales d’achats a été largement commentée, souvent de manière discutable et insuffisamment documentée, elle n’est qu’un symptôme d’un phénomène plus large : la médiatisation croissante des décisions d’achat, voir des procédures à peine publiées et leur exposition au tribunal de l’opinion » considère Sébastien Taupiac (relire "[Tribune] « Vers un "Name and Shame" des acheteurs publics : une tendance révélatrice d'un malaise profond »"). Surtout que l’info en question, et selon le Gouvernement lui-même, a mis à côté de la réalité ( relire "Cout excessif pour l’achat d’une lampe : la réponse du Gouvernement" - relire aussi "Raccourcis et autres incompréhensions : l’achat public dans la lessiveuse").

Et puis, s'appuyer un projet sur des éléments d’actualité, c’est toujours un peu dangereux. Ayons une pensée pour les élus de cette collectivité du sud de la France qui s’est empressée de communiquer sur l’achat de véhicules électriques pour équiper sa police municipale… des Tesla ! (relire "Achat public en coût global ET souverain, est-ce que "T’es là" ? "). En moins de deux semaines, le message envoyé est passé du positif au négatif ! 
 

Collaborons à l’élaboration d’un message … crédible

A la longue, on va nous reprocher de rester dans une posture critique. Ce serait dommage ! Apportons donc une contribution positive à ce qu'aurait pu être un message "politique" ayant pour objet de mixer « austérité » et « achat public ». On pourrait alors mettre en avant trois "points".

Sobriété - Pour appuyer son message, le Gouvernement aurait pu enjoindre à l'achat public de s'imprégner de sobriété. Positive (bien que compliquée à saisir si l’on veut aller au-delà de la formule "l’achat le moins cher c’est celui que l’on ne fait pas"), la notion de sobriété interroge cependant (relire "La sobriété dans la commande publique : un concept difficile à cerner"). C’est pourtant une approche de l’achat public sérieusement prise en compte (relire "[Interview] Sébastien Maire : « La sobriété, une politique du renoncement »" et "[Interview] Nicolas Charrel : « la sobriété, une trajectoire que la commande publique doit intégrer »").
C’est aussi une approche qui fait son chemin sur le terrain (relire "La sobriété s’invite au forum des acheteurs publics à Nantes" et "Sobriété hydrique : la réponse "concession performante" de la CA du bassin de Brive").

Réfléchir à la meilleure façon de concevoir l’achat - Certaines collectivités conçoivent le plus en amont possible leurs achat, n’hésitant pas à interroger non pas le besoin, mais la façon de les satisfaire, en impliquant services achats, services prescripteurs, services juridiques … er élus) ( relire « [Interview] Benoit Mercuzot : « Les élus ne peuvent pas être étrangers au process d’achat public ! »). Autrement dit, si la commande publique est "politique", alors aux élus de s'y former, de s'en emparer et de soutenir les politiques d'achat. 

Passer à la fonctionnalité - « Une question évidente, mais encore trop souvent évitée » relevait dans nos colonnes Jean-Marc Peyrical. Cette question à se poser selon lui, c’est : « Ne faut-il pas louer plutôt qu’acheter et passer de l’achat public à la location publique ? » (...) « Il est vrai que l’on parle "d’acheteur public" et non pas de "loueur public". Ces derniers termes apparaissent étranges et pourtant…ils représentent sans nul doute l’avenir de la commande publique (...) D’abord parce que les nouvelles générations sont celles de l’usage (téléphone, PC, véhicules, immobilier…) avec des obsolescences de plus en plus rapides.» (relire "[Tribune] «Vive la rentrée commande publique ! »").


Alors voilà, si on nous avait demandé d’aider le Gouvernement à communiquer sur des orientations à impulser à l’achat public dans un contexte de crise budgétaire, nous lui aurions (entre autres !) proposé, sous l’intertitre du PowerPoint de la ministre "Repenser notre budget autour de principes de bon sens" :
Achat public : réinterroger et s'emparer des politiques achats en pensant sobriété et économie de la fonctionnalité

Oui , mais achatpublic.info, c‘est du journalisme ; pas de la com...