Simplification de la commande publique : recentrer et relancer le débat

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« L'apparence requiert art et finesse ; la vérité, calme et simplicité »
Emmanuel Kant

C’est un document de travail qui remet l’église au milieu du village. Le "Livre blanc : simplification de la commande publique"», rendu public la semaine dernière par l’Association des acheteurs publics (AAP), vient à point nommé. Il recentre et relance les débats en cours sur la simplification de la commande publique. Ces 29 propositions, regroupées en 3 axes, observent le crédo porté depuis longtemps par l’association (relire "[FSMP 2024] Simplification : le salut viendra-t-il des acheteurs ?"), qui se décline en deux maximes : "Simplifier ne signifie pas déréglementer" et "C’est à l’acheteur public de faire vivre et évoluer les pratiques ".

Cette approche est particulièrement salutaire, à l’heure où chacun je jette dans le grand chamboule-tout de la « simplification ». On s’emploie, d’une part, à faire porter au seul code de la commande publique la responsabilité de la complexité, tout en lui assignant d’autre part des objectifs toujours plus éloignés de son "ADN "d’achat au mieux-disant. « Injonctions contradictoires », disiez-vous ?
Les débats sur une commande publique désormais levier des politiques sociale, environnementale et sociétale, se transforment progressivement soit en plateformes d’expressions politiques, soit en commission d’enquête ultra pointues, avec des cibles désormais clairement identifiées.
 

Une plateforme de débats

Alain Bénard explique dans nos colonnes (lire "[Interview] Alain Bénard : « Nos propositions de simplification de l'achat public ? D'abord, pour faire émerger d'autres idées ! »") que les propositions de l’AAP « ne peuvent pas être vues comme des revendications ou des injonctions. L’objectif est de lancer le sujet, de susciter les débats… et donc de faire émerger d’autres idées ! ».

On saluera aussi l’effort de décentration de l’équipe de l’AAP dans ce double exercice, déjà en soi fastidieux, de synthèse et de prospective : « nous avons systématiquement tenté de se mettre à la place tant des opérateurs économiques et que des acheteurs publics que nous sommes. Nous avons voulu éviter une vision pro domo. »
Les 29 propositions de l’AAP tombent donc à point …
 

Concours Lépine

La Commission d’enquête du Sénat sur la commande publique s’éloigne quelque peu de la ligne directrice que son intitulé semblait indiquer ("coûts et modalités d’exercice"), enquêtant à marche forcée sur les achats publics de solutions numériques par l’Etat, en réalité très peu soucieux de souveraineté et de mise en concurrence (relire "L’achat public souverain, 365… jours par an, pas "Microsoft" !").

Car même si elle revient de temps à autre sur certains points très "Achat public", comme le Spaser, le plan de progrès et l’économie circulaire, elle reste pugnace sur l’examen des achats publics numériques dans l’enseignement supérieur, « auxquels sont attachés des enjeux essentiels de souveraineté » (lire "La commande publique sous enquête sénatoriale (9) : économie circulaire, plan de progrès et Spaser entrent dans la partie").
Cela étant, avec un rapport attendu pour la fin juin, début juillet, elle a encore le temps de revenir sur des aspects plus "terrain", et notamment d’entendre les représentants des entreprises. A n’en pas douter, ce sera là un véritable "cahier de doléances". Mais ces auditions sont nécessaires pour travailler à 360 degrés sur l’état des lieux de l’achat public.

Parallèlement à la Commission d’enquête sénatoriale, d’autres poursuivent leur chemin et abordent de temps à autres, des sujets Commande publique. Par exemple, la Délégation aux entreprises du Sénat organisait le 15 mai une table ronde sur le thème "Fabriquer en France : est-ce encore possible ?". Arnaud Montebourg propose alors de réduire drastiquement le nombre d’acheteurs publics et de les regrouper dans des "agences techniques de commande publique" : « Nous aurions des Cadors de l’achat public et qui accomplissent leurs missions : acheter Français» (lire "La charge d’Arnaud Montebourg : « A quand des agences techniques d’achat public performantes ? »").

Enfin, on observe avec une forme d’inquiétude les soubresauts du projet de loi de Simplification de la vie des entreprises, toujours en cours d’examen à l’Assemblée nationale. La rédaction d’achatpublic.info conserve sa ligne éditoriale : suivre les débats, mais sans se faire l'écho systématique des amendements votés ici et là, au jour le jour, dans des sortes de convulsions de déréglementation. La surenchère « simplificatrice » cache de moins en moins bien ses travers. Hausse immodérée des seuils, introduction de critères géographiques et de préférence nationale dans le code… tout peut changer du tout au tout ; et du jour au lendemain !
En revanche, ce qui est acquis, c’est qu’il y aura une Commission mixte paritaire, la version Assemblée nationale du texte différant profondément de celle adoptée par le Sénat. Et si cette CMP s’avérait non conclusive, une pluie d’amendements les plus étonnants pourrait encore tomber…
 

Rationalité bien ordonnée…

Le Livre blanc de l’AP impose donc une réflexion apaisée sur les points essentiels de la pratique achat. Notamment en proposant de « Lever les incertitudes et ambiguïtés juridiques qui freinent les acheteurs publics et les entreprises » (Axe 1).

Parmi les propositions, on retiendra celle concernant la pratique dite des « trois devis », qui préoccupent tant les acheteurs publics : l’AAP tire les conclusions de ses ambiguïtés et propose de les simplement en enrichissant l’article R. 2122-8 du code d’un alinéa selon lequel l’acheteur public « peut, à sa libre initiative, contracter directement avec l'opérateur économique de son choix ou organiser une mise en concurrence allégée. Dans le premier cas, l'acheteur conserve les motifs l'ayant conduit à solliciter un seul opérateur économique. Dans le second cas, il indique aux opérateurs économiques qu'il sollicite les modalités de mise en concurrence qu'il entend mettre en œuvre ». Une solution pragmatique, sur laquelle nous échangerons à l’occasion de notre webinaire dédié à la pratique des Trois devis, mercredi 4 juin (lire "« Pratique des 3 devis » ? Faisons le point avec Me Nicolas Lafay").

Analyser les offres de prix TTC, simplifier le concept de "lots", élargir le champs d’application de la négociation des marchés publics, rendre facultative la déclaration des données essentielles pour les achats inférieurs à 40 K€ ou supprimer l’obligation de déclaration des achats reconditionnés ; ou créer un "passeport commande publique" pour les entreprises : beaucoup de propositions visent effectivement à lever les contradictions, ces "irritants" qui génèrent notamment des pratiques divergentes, sources d’incompréhension de part et d’autres de l’achat public.

Ce que l’on souhaite au Livre blanc de l’AAP, c’est qu’il atteigne son objectif principal, affiché par son Président Alain Bénard : « Nos propositions ne peuvent pas être vues comme des revendications ou des injonctions. L’objectif est de lancer le sujet, de susciter les débats… et donc de faire émerger d’autres idées ! »