Un Huron chez les acheteurs privés

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Réflexions naïves sur un achat public… un peu accablé. Librement inspirées (très, très, très librement inspirées…) de Jean Rivero.

« C’était un Huron, mais un Huron juriste (…) il enseignait le droit public aux futurs guerriers de sa tribu (…)"
Jean Rivero "Le Huron au Palais Royal" (Dalloz - Chron. VI, 1962, p. 37-40)


A quelques jours l’un de l’autre, les acheteurs privés se réunissent dans un théâtre. Sur de grandes scènes et sous de puissants projecteurs. Le Conseil national des acheteurs (CNA, à forte teneur en acheteurs privés) fête ses 75 ans au Théâtre de la ville de Paris le 20 juin (relire "Crises, digitalisation des achats : le CNA cogite sur l’avenir du métier d’acheteur"). C’est au théâtre de Mogador que Republik HA organise, le 27 juin, la remise des 15e Trophées achats.

Notre Huron, habitué au sacro-saint Code de la commande publique, et donc publiciste de nature, décider de s’y promener, de la Cour au Jardin… pour humer le climat chez les acheteurs privés… mais aussi pour "sortir de sa zone de confort".

Pourquoi des théâtres, s'interroge-t-il ? Peut-être, parce que l’achat, comme au théâtre, c’est d’abord un jeu d’échanges et d’interactions ? « Ou peut être parce que la fonction a réellement besoin de mettre en scène… pardon… "en valeur"», se reprend l’espiègle Huron. Au final, il veut surtout découvrir comment la tribu des acheteurs privés s’approprie le livret "achat" alors que, décidemment, l’achat public ne cesse d’encaisser avec difficultés les conséquences des crises successives.
 

« But alors… you are a french acheteur, alors ? »

Ce qui le frappe (violemment), c’est la force des anglicismes. Certes, l’acheteur public ne les méconnaît pas (relire "Maîtrise des anglicismes dans le domaine des achats") se rappelle le Huron
Mais honnêtement, là, les discours en sont perclus : "pitch", du "business model" au "insentive products"… Le Huron, effaré, a même entendu, en guise de verdissement de l’achat : « les enjeux du green »… ceux qui permettent d’ « apporter de la valeur à la top line ». Avec, pourquoi pas, un « design de neutrality », co-construit par des « teams achat » pleines de « soft skills ». Car, oui, les acheteurs privés se disent « très soucieux du delivery » dans une démarche de « green deal »...
 

Convergences

Faisant abstraction de ces anglicismes à outrance, le Huron, de la tribu des Publicistes, se rassure en constatant des enjeux et préoccupations communs : hausse des prix, certes ; pénurie et approvisionnement, souvent ... et beaucoup de verdissement de l’achat !
« Là, se dit le Huron, nous ne sommes pas en reste. Notre tribu a adopté le PNAD (consulter notre dossier "PNAD : un plan « ambitieux » ou une simple « feuille de route » ?").
Parmi les grandes entreprises primées lors de la cérémonie à Mogador, il relève que la tribu des privés y va franchement : là, on ne parle plus de "TCO", mais de « TCO2, car les objectifs de neutralité carbone sont devenus essentiels » ; ici, ils priment une grande entreprise qui a co-construit avec une start-up une formule pour permettre aux artisans et TPE de travailler avec les grandes boîtes. Le Huron traduit : « là, ils parlent allotissement, accès à la commande publique, sourcing, marché d'innovation… En gros, ça va : je crois comprendre… » .
 Et quand il entend un acheteur privé parler de considérations géopolitiques. Il traduit : « il doit évoquer quelque chose qui s’approche de l’interdiction de commercer avec les tribus de l’Est (relire "L’acheteur public à la recherche des opérateurs russes")...»


Des tribus en mutation

Il est également rassuré, car acheteurs, publics comme privés, semblent partager la même volonté d’enrichir leur tribu de nouveaux profils. Tous avec les « soft skills » propres à l’achat. Les acheteurs privés devront maîtriser et assurer la digitalisation de l’achat. « Là, cela doit correspondre au plan de transformation numérique de la commande publique dont le grand Sorcier DAJ ne cesse de nous rabattre les oreilles », se dit le Huron.
Tout va donc pas trop mal, jusqu’à ce que notre publiciste voit une entreprise primée pour avoir organisé la destruction de "petaoctects" (1015 octets !) de données numériques inutiles, et dans un but environnemental. « Tout de même, se dit le Huron, chez nous, on nous oblige et on organise la collecte des données ; eux, ils se réjouissent de les détruire… Il doit y avoir quelque chose qui m’échappe… » Mais il comprend vite : c’est aussi pour répondre aux exigences du Dieu RGPD. « Eux aussi, ils sont sans doute surveillés par un DPO… »

Il se rappelle qu’au Théâtre de la ville de Paris, lors du précédente Pow Wow, les acheteurs privés avaient beaucoup insisté sur la digitalisation, la donnée et l’intelligence artificielle. « Une opportunité pour l'acheteur : demain, la première des pénuries pourrait être celle des talents » avaient-ils claironnés. Notre Huron se dit que, dans sa tribu aussi, on cherche des acheteurs publics "augmentés" (relire "Le secteur public tend lui aussi vers l’ "achat augmenté"").
 

Une horde bien joyeuse…

Etourdi par la masse d’informations et les parallèles qu’il tente d’établir, le Huron n’échappe pas à un constat : ils sont vraiment pleins d’allant, ces acheteurs privés : « Nous sommes performants, inclusifs et innovants » ; « les crises successives nous ont mis en lumière nous avons pu montrer toute notre valeur » ; « Notre fonction est, avec les crises, de premier plan. Comme nous sommes curieux, nous faisons gagner à tous du temps. Nous avons la gnaque et n’avons pas peur des échecs ! ».
Sans compter : « nous sommes des hommes de challenge et allons au-delà de la bonne pratique : nous devenons des influenceurs, au sens où nous animons notre éco-système »…
 

Introspection

« Décidément s’inquiète le Huron, pouvons-nous, nous de la grande horde des publicistes, nous comparer à cette tribu à l’entrain aussi tonitruant ? » Il se remémore un article récent d’achatpublic.info sur les achats hospitaliers (lire "Hôpitaux : après le Covid, acheter Français ? (1/2)"). Les "acheteurs-médecine" semblent avoir le moral dans les mocassins : « On ne s’en remettra pas ! » affirme l’un ; « Il n'y quasiment pas de souveraineté nationale pure et parfaite qui nous garantit des achats et des approvisionnements de proximité fiables », reconnaît l’autre.

Le Huron poursuit ses réflexions : « il faut reconnaître que les acheteurs publics n’ont pas la vie facile. Par exemple : on leur demande d’écarter les OAB. C’est bien ; mais à faire, c’est une autre paire de manche !» (lire "[Tribune] Caractériser et traiter une offre irrégulière : "entre vigilance et pragmatisme"). Et puis "co-construire", l’échange… c’est pas aussi évident chez nous, les publicistes ! » (lire "Favoritisme : la CAA de Versailles sanctionne un marché "sur mesure"". Ou alors, on avance très timidement en parlant de négociation (relire "Non, la loi AGEC n'est pas une condition de recours à la procédure négociée!" et consultez notre dossier "Négociation / Dialogue compétitif "). « Il faut l'admettre aussi : nous n'avons a pas évacué toutes nos craintes liées à l'accusation de délit de favoritisme ou de corruption » (lire "Achatpublic invite... Fara Zaoui, directrice juridique d'Anticor").
 

Faire savoir 

Alors, l’acheteur public est-il tellement en difficulté ?
Que notre Huron se rassure ! Peut-être, tout simplement, ne sait-il pas se mettre en valeur.

Qu’il se rassure, car lui aussi peut participer à une grande cérémonie qui le mettra sous les feux des projecteurs : les Trophées de la commande publique. « Vendez votre projet !», « Racontez l’histoire de votre dossier ! » « N’ayez pas peur des "punch lines !"» (hé oui !) Ce sont les précédents lauréats qui vous convaincront le plus naturellement de participer à la nouvelle édition des Trophées de la commande publique (lire "Trophées de la commande publique : ce sont les lauréats qui en parlent le mieux !")

Finalement, l’acheteur public, comme l’acheteur privé, ne peut plus se contenter de son « savoir-faire ». Il doit aussi apprendre à le « faire savoir »…