Tirer des plans sur la comète Achat public

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"Il faut deviner le peintre pour comprendre l'image"
Friedrich Nietzsche


"Tirer des plans sur la comète": l’expression souligne la gageure à vouloir envisager, avec une dose raisonnable de certitudes, l’avenir. Alors, notamment, que l’imprévisibilité est de mise et que la réglementation, ces temps-cis, semble plus réagir à l'actualité économique et sociale que participer à la construction d’un projet global. L’exercice, cette semaine, consiste à ne pas s’enliser dans le registre du "qui aurait pu prédire ?" (peu productif) mais à recueillir et ordonner les annonces et autres intuitions qui créent le fameux "faisceau d’indices" cher à la jurisprudence administrative.
Un faisceau d’indices qui montre que tout tend vers de nouveaux assouplissements du droit de la commande publique.
 

Des contrats « énergie locale » ... à très longue durée

Au rang des textes "Commande publique" dont on peut parier qu’ils devraient aboutir dans un avenir assez proche, le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. Il devrait permettre de fissurer le principe de "durée limitée" des contrats publics. Ce texte, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, a entre autres pour objet de permettre à un producteur de vendre directement de l’énergie à des prix convenus sur des durées de 15 à 20 ans, durées permettant d’amortir les capacités de production spécialement construites à cet effet ? C’est l’objet du power purchase agreement dit "PPA" (relire "PPA : maintenant, ancrer territorialement l’achat d’énergie verte" et "Fin de la volatilité des prix de l’électricité avec le Power Purchase Agreement ?").
Ce que prévoit, le texte, à date étudié en commission mixte paritaire, c’est que « Dans les conditions prévues au code de la commande publique », les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent recourir à un contrat de la commande publique pour répondre à leur besoin en électricité renouvelable avec un tiers pour la mise en œuvre d’une opération d’autoconsommation individuelle. Ce contrat peut confier au titulaire l’installation, la gestion, l’entretien et la maintenance de l’installation de production pour autant qu’il demeure soumis aux instructions de l’autoproducteur. La durée du contrat est définie en tenant compte de la nature des prestations et de la durée d’amortissement des installations nécessaires à leur exécution, y compris lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’acquiert pas ces installations...
 

Vers un paiement différé « expérimental » ?

Autre assouplissement lié à la crise des prix de l’énergie : la commission des Lois de l’assemblée nationale s’est prononcée le 11 janvier en faveur de l’ouverture du tiers financement à l’État et aux collectivités territoriales pour des travaux de rénovation énergétique. Ce type de financement, qui implique l’investissement d’un tiers, et donc un différé de paiement à compter de la livraison des travaux, est actuellement interdit par le code de la commande publique. La proposition de loi , en discussion cette semaine, également selon la procédure accélérée, vise à inciter les acteurs publics à entamer des opérations de rénovation énergétique de leurs bâtiments en facilitant le recours aux contrats de performance énergétique grâce à des dérogations au code de la commande publique et précisément aux articles L. 2191-5 et L. 2191-6
 

Limiter l’interdiction de soumissionner

Les députés vont examiner aussi sous peu un projet de loi, déjà adopté par les sénateurs pour mettre la réglementation française en conformité avec le droit européen. Il s’agit notamment d’insérer un dispositif permettant à une entreprise condamnée de fournir les preuves que les mesures nécessaires pour "corriger le tir" ont été prises et être ainsi admise à candidater. c'est la prise en compte de la décision du Conseil d’Etat du 12 octobre 2020, Société Vert Marine (req. n° 419146), par laquelle il a jugé que l'article L. 3123-1 du code de la commande publique est incompatible avec l'article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 en tant qu'il ne permet pas à un opérateur économique, qui aurait été condamné par un jugement définitif pour une des infractions qu'il énumère, de démontrer sa fiabilité malgré ce motif d'exclusion.
 

Supputations et autres probabilités 

Il faut s'attendre à d'autres assouplissements à venir.
D’abord, la "pérennisation du seuil expérimental des marchés de travaux". Si le seuil expérimental à 100 KE pour les marchés de travaux a bien était prorogé par l’article 6 du décret n° 2022-1683 du 28 décembre 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique jusqu’au 31 décembre 2024, pour être "pérennisé", selon la volonté du Gouvernement, il devra trouver un véhicule législatif, d’ici deux ans (relire "Des cogitations "commande publique" expérimentales... mais "pérennes"").

Ensuite, on peut tenter de deviner les intentions derrière les mots. Le ministre de l’Economie Bruno Le maire, lors de ses vœux à Bercy le 5 janvier 2023, indique qu’il met en route un projet de loi sur la "réindustrialisation verte", qui occupera tous ses services. En en décrivant les principaux axes, il indique : « Nous voulons favoriser la commande publique nationale ». Il faut s’attendre à de nouveaux "assouplissements". Lesquels ? Encore hasardeux, puisque « la concertation commence ». Mais si ce projet de loi a pour objectif la réindustrialisation (en creux), on peut s’attendre à une tentative d’assouplissement des règles en matière d’achat local. C’est en ce sens que l’on peut analyser le terme de « favoriser la commande publique » : « promouvoir le produire français et la production européenne » avait indiqué le ministre la veille, sur France Inter.

Haro sur les normes

Autre champ possible de modification de la réglementation, le "nouveau" chantier de lutte contre les normes. Le Sénat a lancé une consultation des élus locaux sur la simplification de l'action publique et la question des normes. En vue, des "États généraux de la simplification" qui se tiendront le 16 mars au Sénat. Selon la Haute assemblée, les normes applicables aux collectivités sont trop nombreuses et trop complexes. Une inflation normative régulièrement conspuée, « qui rend plus difficile la conduite des projets locaux et augmente significativement leur coût». Le Code général des collectivités territoriales est bien sûr dans la ligne de mire. Mais nul doute que l’accès à la commande publique, et donc la simplification du code, figureront au programme...

Avec la crise économique et le coût de l’énergie, associés à la poursuite d’une politique environnementale déclinée en achat durable et une réindustrialisation en leitmotiv, on peut parier, et sans parler de "déréglementation", qu’assez rapidement, et "à titre expérimental", le législateur cherche, non pas à abattre le mur réglementation de la commande publique, mais au moins à y aménager quelques nouvelles brèches...