L’achat public à tout prix ?

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« Le cynisme, c'est connaître le prix de tout, et la valeur de rien ! »
Oscar Wilde



Les considérations autour de la hausse des prix des matières premières et de l’énergie vont bien au-delà d’un débat technique ou de principe, bouillonnant dans le chaudron de l’achat public. C’est bien la continuité du service public qui est désormais en jeu. Un exemple : la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) signale inquiètude des élus sur le péril courant sur la continuité de services publics essentiels comme la ditribution de l'eau. Car la hausse des prix de fournitures ne fait pas que peser sur les budgets des services : « Elle se traduira inévitablement et rapidement par la réduction des programmes d’investissement » (relire "Eau : la FNCCR très inquiète").
 

Circulaires... de rappel

Pour l'heure, le gouvernement réagit à coup de circulaires. Mais est-ce suffisant ?

L’une (circulaire du 30 mars 2022 relative à l'exécution des contrats de la commande publique) se présente sous le double aspect d’un "rappel au code" mâtiné de recommandations (relire "Flambée des prix : l’Etat donne ses consignes par circulaire"). 
L’article R. 2112-14 du code de la commande publique prévoit pour les marchés d’une durée d'exécution supérieure à trois mois une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. Très bien. Mais justement, l’affolement découle aussi de l’application des indices officiels. Plus encore, cette disposition se réfère aussi "aux usages de la profession" pour les marchés de fourniture de gaz ou d'électricité, qui peuvent par exception être conclus à prix ferme.
Rappel est fait également des conditions de recours à la théorie de l’imprévision et des circonstances imprévues. Guère de quoi rassurer les acheteurs publics pour l’exécution de leur contrats, eux qui par ailleurs disent redouter des excès dans le maniement de ces outils "de dernière minute" (relire "Les collectivités territoriales, victimes, elles aussi, des tensions sur les prix et l’approvisionnement").
Au chapitre des recommandations, on retrouve les appels à la bienveillance envers les entreprises, appels déjà formulés pour faire face aux effets économiques de la covid, et notamment la non application des pénalités de retard. En réalité, sur ce volet, rien de bien nouveau : il y a déjà un an, on faisait déjà appel de la même façon, aux acheteurs publics (relire "Pénurie de matières premières : le Gouvernement en appelle aux acheteurs publics").

La seconde circulaire, plus récente, elle aussi, est une résurgence des premières "mesures covid". Elle tend à réactiver, notamment au niveau local, les mesures engagées dans le cadre des contrats territoriaux de relance et de transition écologique (lire "Hausse des prix et pénurie : « réactiver » le niveau local »")
 

Prix en tension, tensions sur le prix

Il s’agit certainement pour le Gouvernement de se montrer présent, en insistant sur le dialogue, avec peut être comme objectif premier de calmer les tensions qui commencent à se révéler et les exigences qui comment à s’exprimer par filières et par la voie des ordres professionnels (relire "Hausse des prix : la tension monte dans le BTP" - "Marchés de travaux : la FNTP voit ses inquiétudes confirmées" ou "Crise des matériaux : les archis plus qu’inquiets").
Plus encore, on commence à être témoin de "prises de bec" : « EGF demande à l’USH d’être solidaire de la filière construction »

En creux, se dessine une critique, à tout le moins une attente : si crise il y a, voire même situation de guerre impactant directement l’achat public (relire "On ne passe plus de marché avec la Russie ! Interdit ! Et on résilie les contrats en cours ! »"), pourquoi le Gouvernement ne prend-t-il pas de nouvelles mesures plus fortes, aussi radicales qu’exceptionnelles ? De la guerre contre la pandémie à une "véritable guerre", pourquoi ne fait-il pas preuve de plus de souplesse encore ? Quitte à prendre des risques au regard du droit européen de la commande publique, puisque de façon aussi exceptionnelle que "temporaire"? Après tout, la Commission européenne ne prend-elle pas aussi des décisions "exceptionnelles" dans ce contexte de guerre ?

On notera, s’agissant de tarification, la piste a été entrouverte à l’occasion du rapport d’information relative aux différentes missions confiées par l’administration de l’État à des prestataires extérieurs la députée (LREM – Isère) Cendra Motin, a suggéré, comme « une évolution du code de la commande publique à envisager», d’assouplir les conditions de modification d’un marché public en cours d’exécution, en donnant par exemple la possibilité aux parties au contrat d’en modifier la tarification ou encore la nature des prestations objets du contrat (relire "Un rapport parlementaire invite à "repenser la légitimité du recours à l’achat public").
 

Réviser le prix, mais pourquoi pas ?

Nicolas Charrel et Ariane Bardoux (Cabinet Charrel et associés) considèrent qu’il est temps de relativiser la théorie de l’intangibilité du prix (relire "[Tribune] Pénurie des matériaux : l’insoutenable intangibilité du prix") : « On ne peut que s’interroger sur les fondements sur lesquels repose le principe de l’intangibilité du prix », relèvent-ils. La position de la doctrine administrative leur apparaît pour le moins paradoxale : « si [Elle] refuse catégoriquement la modification des prix du contrat, elle reconnaît que l’Administration peut être placée dans une situation lui imposant de verser au titulaire une… indemnité d’imprévision. L’on se demande alors ce qui distingue, concrètement, le versement d’une indemnité d’imprévision de l’augmentation des prix du marché ».
 

La clause de réexamen : outil indispensable et multifonctionnel

Laurent Lequilliec, « Dans l’urgence du moment d’éteindre les feux qui menacent la continuité et la pérennité de nos activités », se penche cette semaine sur les marchés à venir : « mieux que de subir ces aléas auxquels nos règles de droit ne peuvent répondre promptement dans ce contexte qui n’est plus celui de leur genèse, il convient de faire preuve d’anticipation en flexibilisant nos futurs marchés » (lire "[Tribune] Pénurie des matériaux : « l’impérative anticipation des crises systémiques »").

Le Chef du service prospective & performance des achats à la métropole Toulon Provence Méditerranée considère qu’indépendante de la volonté des parties, l’augmentation des prix ne peut être supportée intégralement, ni par l’acheteur, ni par le titulaire du contrat. Il plaide pour l’extension de la clause de réexamen, qui ne remet pas en cause les grands principes de la commande publique puisque déterminée préalablement à la mise en concurrence initiale. Un outil cependant à bien définir : « Une définition trop large de cette clause favorisera requêtes intempestives et excessives du titulaire ; une définition trop limitative annihilera toute flexibilité du contrat…»
Mais Laurent Lequilliec note à l’intention des acheteurs que la clause de réexamen peut porter sur autre chose que le prix et envisager par exemple substitution de matériaux et/ou de fournitures ou une suspension des délais d’exécution et des mesures coercitives...
 

Décroissance de l’achat public ?

A la croisée des interrogations sur la hausse des prix et l’achat durable, une autre piste se dessine aussi. Suivez le cheminement : la problématique actuelle des acheteurs, c’est aussi de parvenir à concilier Achat Responsable avec la hausse des prix. Ce qui amène à revenir à la définition du besoin…… une forme de 'décroissance achat public" fondée sur la sobriété : « Le meilleur achat n’est-il pas celui qui ne se fait pas ?», car, après tout, « L’achat responsable commence par la définition du "juste besoin" ( lire "Achat durable : un contexte complexe et anxiogène ? La sobriété prend tout son sens").

Certes. Mais comment fait –on pour l’exécution des marchés en cours et le maintien des services publics à un coût raisonnable ?
Retour à la case départ. Là aussi, c’est "circulaire" …