Le Conseil d’État pose les conditions de l'action en garantie des vices cachés

  • 11/04/2011
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Les sages du Palais-Royal complètent et installent sa jurisprudence sur l’action en garantie des vices cachés en examinant, à travers un cas d’espèce, ses conditions et ses délais d’engagement.

Au terme d'une procédure d'appel d'offres ouvert, le centre hospitalier de Castelluccio a acquis auprès de la société Ajaccio Diesel un véhicule de transport, dont il a réglé le prix le 30 avril 2004. Constatant des vices qui ont conduit à immobiliser le véhicule le 14 septembre 2007, le centre hospitalier a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande de référé expertise le 15 janvier 2008. Il a ensuite saisi ce même tribunal d'une demande de référé provision, le 15 juin 2009. Par une ordonnance du 22 juillet de la même année, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a condamné ladite société à verser au centre hospitalier une provision de 31 720 euros. Par une ordonnance du 22 octobre 2010, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel que la société avait interjeté contre l'ordonnance du 22 juillet 2009.


La découverte du vice : point de départ du délai


Le Conseil d’État a relevé qu’il résultait de l'instruction que, si le véhicule de transport objet du litige, a été acquis par le centre hospitalier de Castelluccio en avril 2004, celui-ci n'a eu connaissance des vices affectant la caisse du véhicule qu'au mois de juillet 2007, lors de l'immobilisation du véhicule. Et il n’a connu les causes et l'ampleur de ces vices qu'au mois d'août 2007, lors de la remise du rapport d'une expertise diligentée à la demande de son assureur. Dès lors, en introduisant une demande auprès du tribunal administratif de Bastia, le 15 janvier 2008, « le centre hospitalier de Castelluccio a bien agi dans un bref délai, au sens des dispositions de l'article 1648 du code civil alors applicable au cas d’espèce » (1). Il résulte d’ailleurs de ces mêmes dispositions que l'acquéreur, agissant en garantie des vices cachés, qui assigne en référé son vendeur dans le bref délai pour voir ordonner une expertise, « satisfait aux exigences de ce texte ». Dès lors, c'est bien « la prescription de droit commun qui court à compter de la conclusion de la vente ». Pour les sages du Palais Royal, la demande tendant à ce que soit ordonnée une expertise, introduite le 15 janvier 2008, a interrompu le bref délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés, et a fait courir le délai de prescription de droit commun. La société Ajaccio Diesel « n'est donc pas fondée à soutenir que cette demande, introduite dans le délai de prescription de droit commun à compter de la conclusion de la vente, serait tardive ».


Un vice préexistant au transfert de propriété et inconnu de l’acheteur


Le véhicule litigieux est affecté d'un vice tenant aux soudures de la caisse, « qui préexistait au transfert de propriété dès lors qu'il résulte du choix de la société Ajaccio Diesel d'équiper la structure du véhicule d'une caisse réalisée et posée par une autre entreprise », a estimé le juge administratif suprême. Ce vice, inhérent au véhicule, rend donc celui-ci « impropre à sa destination normale, dès lors qu'il a dû être immobilisé à la suite de la rupture de soudures ». Ce vice était inconnu de l'acheteur, non professionnel, lors de la conclusion de la vente, et ne pouvait pas être décelé par lui. Il ne fait donc aucun doute que la demande du centre hospitalier « remplit les conditions d'engagement de la garantie par l'acheteur des vices cachés de la chose vendue ». Ainsi, les préjudices subis par le centre hospitalier de Castelluccio du fait du risque de désolidarisation du châssis de la caisse du véhicule et de l'immobilisation de celui-ci, tenant au remplacement à neuf de la caisse et à la location d'un véhicule de remplacement, sont la conséquence des désordres provoqués par le vice du véhicule. Préjudices indemnisables évalués par l'expert à 8 970 euros pour le remplacement de la caisse du véhicule et à 22 750 euros pour la location d'un véhicule de remplacement pendant la durée de la réparation.


Présomption de connaissance du vice par le vendeur


Et, il résulte des dispositions de l'article 1645 du code civil une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant. Ainsi la société en cause ne peut utilement soutenir que le vice affectant le véhicule engagerait la responsabilité du fabricant de la caisse défectueuse. La créance dont le centre hospitalier de Castelluccio se prévaut à l'égard de la société sur le fondement de la garantie des vices cachés n'est pas sérieusement contestable. Dans cette affaire, le Conseil d’État a par ailleurs considéré qu'en faisant application de la version de l'article 1648 du code civil issue de l'ordonnance du 17 février 2005, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le contrat à l'origine du litige avait été conclu avant l'entrée en vigueur de cette ordonnance, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit. « Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Ajaccio Diesel est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 20 octobre 2010 pour ce motif d'ordre public, qu'elle pouvait invoquer pour la première fois en cassation », a asséné le juge administratif suprême.

(1) Comme nous l’indiquions dans notre article publié le 1er avril 2011, aux termes du premier alinéa de l'article 1648 du code civil, dans sa version antérieure à sa modification par l'ordonnance du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur à l'acquéreur : « L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. ». Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 17 février 2005 : « Au premier alinéa de l'article 1648 du code civil, les mots : « dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. » sont remplacés par les mots : « dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ». Enfin, aux termes de l'article 5 de cette ordonnance : « Les dispositions de la présente ordonnance s'appliquent aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur. »