
Une commande publique « sans totem ni tabou », est-ce possible ?

« Une commission d'enquête, pour être efficace, ne doit compter que trois membres, dont deux sont absents »
Georges Clémenceau
Georges Clémenceau
« Les investigations de la commission d’enquête ont montré que l’État n’avait pas su se montrer à la hauteur des enjeux ces dernières années lorsque la commande publique avait dû être mobilisée pour répondre à l’urgence ou garantir la souveraineté nationale et européenne, qu’il se soit agi d’acquérir des masques durant la crise sanitaire, de remplir les objectifs de la loi Egalim ou d’assurer la protection des données publiques face aux géants du numérique. »
Le ton est donné et n’augure rien d’agréable dans cet état des lieux que pose d’emblée le rapport de la Commission d’enquête sur "les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française". Un rapport rendu public le 9 juillet (relire "Commande publique : les 10 recommandations clés de la Commission d’enquête sénatoriale").
Ce rapport fait l'objet de toutes les attentions. Il était ainsi assez croustillant d'observer les réactions de la DAE et de la DAJ, en présence de Simon Uzenat, président de la Commission d'enquête, lors de la table ronde "le rôle de la Commande publique comme levier de transformation de la publique ou comment «Moins dépenser, mieux dépenser»", organisée par Acteurs Publics dès le lendemain (lire "L'effet levier de la Commande publique : entre adaptation et simplification").
Paradoxes pointés et propositions attendues
« Ni totem, ni tabou », c’est sans doute une bonne ligne de conduite pour une Commission d’enquête, dont le président Simon Uzenat a décrit dans une interview exclusive à achatpublic.info, la méthode de travail, les objectifs et les principales recommandations (lire "[Interview] Simon Uzenat : « 67 propositions pour éviter la sortie de route de la commande publique »").
Sans aucun doute, le Sénat, représentant des collectivités territoriales, se devait d'inscrire ses travaux dans le contexte financier tendu, et les relations non moins tendues entre l'Etat et les collectivités territoriales : « L'État décide très largement des moyens et des marges de manœuvre budgétaires des collectivités. Et c'est quand même extraordinaire ! (...) on ne peut pas dire tout et son contraire, en imposant des efforts financiers d’un coté, et en demandant de soutenir l’économie de l’autre ! »
Sans aucun doute, la Commission d’enquête pointe des manquements et des paradoxes : « les marchés les plus importants sont paradoxalement les seuls à ne pas pouvoir être négociés ».
Sans aucun doute, certaines de ses recommandations devraient répondre aux attentes de nombreux acheteurs publics : « Les acheteurs publics devraient pouvoir négocier librement tous leurs marchés, dans le respect des principes fondamentaux du droit de la commande publique ». Pour le Sénat, ces acheteurs publics, il faut les « sécuriser et [les] former pour libérer les énergies »… et « leur redonner confiance ».
Sans aucun doute, le Sénat, représentant des collectivités territoriales, se devait d'inscrire ses travaux dans le contexte financier tendu, et les relations non moins tendues entre l'Etat et les collectivités territoriales : « L'État décide très largement des moyens et des marges de manœuvre budgétaires des collectivités. Et c'est quand même extraordinaire ! (...) on ne peut pas dire tout et son contraire, en imposant des efforts financiers d’un coté, et en demandant de soutenir l’économie de l’autre ! »
Sans aucun doute, la Commission d’enquête pointe des manquements et des paradoxes : « les marchés les plus importants sont paradoxalement les seuls à ne pas pouvoir être négociés ».
Sans aucun doute, certaines de ses recommandations devraient répondre aux attentes de nombreux acheteurs publics : « Les acheteurs publics devraient pouvoir négocier librement tous leurs marchés, dans le respect des principes fondamentaux du droit de la commande publique ». Pour le Sénat, ces acheteurs publics, il faut les « sécuriser et [les] former pour libérer les énergies »… et « leur redonner confiance ».
Dans un an, la loi « Climat et résilience ! »
« Le bilan en demi-teinte des mesures environnementales déjà entrées en vigueur met en lumière le défi que représente le respect des mesures prévues par l’article 35 de la loi dite Climat et résilience du 22 août 2021, auxquelles l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs devront se conformer à compter du 22 août 2026 ». La Commission d’enquête constate l’insuffisante préparation des acheteurs publics à l’évolution du cadre juridique, « dont ils redoutent fortement la charge administrative induite ».
Elle appelle ainsi à la rationalisation et au perfectionnement des outils d’accompagnement mis à disposition par l’État, « alors que certains dispositifs prévus par la loi ne sont pas encore opérationnels, notamment l’outil Ecobalyse à la portée très restreinte » (lire aussi "Application de la Loi "Climat et résilience" : « les outils sont là !»"). Faute d’un accompagnement réellement efficace des pouvoirs adjudicateurs, la Commission d’enquête rejoint les craintes formulées par la Cour des comptes quant au risque de voir « les acheteurs (…) être tentés d’insérer des critères ou des clauses sans réelle portée » (relire "Verdissement de la commande publique : une politique achat peu durable à l'avenir ? ").
Pour la Commission d’enquête, convaincue du bien-fondé du virage vers une commande publique plus responsable, la mise en œuvre embryonnaire de ce nouveau cadre juridique résulte notamment d’une défaillance du pilotage par la donnée, « ayant conduit à la définition de normes sans visibilité sur les pratiques initiales des acheteurs, mais surtout d’un défaut d’accompagnement par l’État des plus petits acheteurs, générant une appropriation très disparate du nouveau cadre juridique ». Son rapport souligne la sous-estimation des difficultés rencontrées par les acheteurs face aux changements de pratique demandés, « ayant conduit à des mesures de soutien incomplètes et tardives ».
Elle appelle ainsi à la rationalisation et au perfectionnement des outils d’accompagnement mis à disposition par l’État, « alors que certains dispositifs prévus par la loi ne sont pas encore opérationnels, notamment l’outil Ecobalyse à la portée très restreinte » (lire aussi "Application de la Loi "Climat et résilience" : « les outils sont là !»"). Faute d’un accompagnement réellement efficace des pouvoirs adjudicateurs, la Commission d’enquête rejoint les craintes formulées par la Cour des comptes quant au risque de voir « les acheteurs (…) être tentés d’insérer des critères ou des clauses sans réelle portée » (relire "Verdissement de la commande publique : une politique achat peu durable à l'avenir ? ").
Pour la Commission d’enquête, convaincue du bien-fondé du virage vers une commande publique plus responsable, la mise en œuvre embryonnaire de ce nouveau cadre juridique résulte notamment d’une défaillance du pilotage par la donnée, « ayant conduit à la définition de normes sans visibilité sur les pratiques initiales des acheteurs, mais surtout d’un défaut d’accompagnement par l’État des plus petits acheteurs, générant une appropriation très disparate du nouveau cadre juridique ». Son rapport souligne la sous-estimation des difficultés rencontrées par les acheteurs face aux changements de pratique demandés, « ayant conduit à des mesures de soutien incomplètes et tardives ».
Zone de brouillard politique … ou de flou juridique ?
« Sans totem, ni tabou » ? Pourquoi pas. A plusieurs reprises, s’agissant de la gouvernance de l’achat public (et toujours à échelle gouvernementale), la commission stigmatise « le brouillard » dont s’entourent les directions, agences et autres ministères pour expliquer les défaillances ou manques. Il faut reconnaitre que certaines propositions de la commission, qui concerne la réglementation nous interpellent. « Nous avançons plusieurs propositions qui vont susciter évidemment des réactions et des débats, c'est inévitable ! » déclare Simon Uzenat à achatpublic.info. Sans aucun doute !
Recommandation n° 38 – Supprimer la procédure adaptée et permettre le recours à la procédure négociée en deçà des seuils européens, dans le respect des principes fondamentaux du droit de la commande publique.
Recommandation n° 39 – En conséquence, assurer la publicité des marchés dont la valeur estimée est inférieure aux seuils européens sur le profil d’acheteur et sur un support habilité à publier une annonce légale librement choisi par les acheteurs publics.
Recommandation n° 40 – Supprimer l’obligation de publication des marchés passés selon une procédure formalisée au BOAMP en sus du JOUE.
Recommandation n° 39 – En conséquence, assurer la publicité des marchés dont la valeur estimée est inférieure aux seuils européens sur le profil d’acheteur et sur un support habilité à publier une annonce légale librement choisi par les acheteurs publics.
Recommandation n° 40 – Supprimer l’obligation de publication des marchés passés selon une procédure formalisée au BOAMP en sus du JOUE.
A vrai dire, nous sommes dubitatifs, voire circonspects.
Il s’agirait de simplifier en supprimant les seuils "nationaux" et donc en "effaçant" la procédure adaptée, « laquelle n’est pas imposée pas le droit européen », précise (ou justifie) le rapport, pointant ainsi indirectement la surtransposition française des directives. Autrement dit, on appliquerait, jusqu’aux seuils européens, le régime de dispense de procédure et de publicité préalable formalisée ?
Lorsqu’on constate les débats enflammés qui agitent le monde de la commande publique sur la façon de procéder sous l’actuel seuil de 40 K€, c’est peut être imprudent… Et suspendu aux éclaircissements du Conseil d’Etat (relire "3 devis et marchés publics : le Conseil d’Etat va trancher !").
On s’interroge aussi sur l’articulation de cette "simplification" avec notamment les objectifs de la loi "Climat et résilience", qui impose de prendre en compte d’autres critères que le prix, et notamment les critères environnementaux et sociaux. Nous avons fait part de notre étonnement à Simon Uzenat, qui assure : « ces obligations-là, nous les conservons. Cela va de soi ! » ; tout en considérant que « le moment venu, de toute façon, tout ça devra passer par une loi ».
Lors de la conférence de presse de présentation du rapport, Dany Wattebled et Simon Uzenat ont indiqué que certaines des recommandations doivent s'inscrire dans le travail de préparation de la révision des directives ; d'autres pourraient être adoptées par voie réglementaire. Par ailleurs, « ce seront nos devoirs de vacances : nous travaillerons à 2 propositions de loi transpartisanes : l’une sur les questions de souveraineté ; l’autre sur l’achat public local ».
A n’en pas douter, achatpublic.info reviendra sur les propositions de la Commission d’enquête et n’hésitera pas, dans les semaines à venir, à les passer au banc d’essai des acheteurs publics…


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