Dans le hall d’accueil de l’hôtel de ville de Pichade-sur-Mer règne une effervescence pour le moins inhabituelle. Une escouade de gros bras de la police municipale a d’abord évacué, sans ménagement, une dizaine de personnes vêtues de seyantes chasubles d’un jaune cobalt fluorescent, avant de les embarquer dans un vieux panier à salade de deuxième main racheté aux pandores nationaux – « y a pas de petites économies » rappelle à chaque réunion la direction de la commande publique - et personnalisé à la hâte avec un logo autocollant de la mairie. Les présumés fauteurs de trouble étaient en réalité des bénéficiaires de la clause sociale insérée dans un marché de travaux et que l’entreprise attributaire, la société Gaspard Pain, avait convoqués à l’occasion d’une réunion de chantier. Remonté comme un coucou, le brigadier-chef principal Matt Rack, un ancien légionnaire d’origine britannique connu pour son caractère irascible, est ensuite venu parler du pays à Bruno Desclozes, spécialiste de l’achat responsable. Ce dernier l’avait incité, en lui faisant miroiter tous les bienfaits dont profiterait notre chère planète, de refourguer avant terme ses trois véhicules de patrouille toujours vaillants mais carburant au diesel. « What the hell, pourquoi je t’ai écouté ? Tu m’as enfumé deux fois, dirty frog eater. D’abord avec ton tableau apocalyptique de ces engins polluants mais je me suis renseigné : un diesel émet à puissance équivalente moins de CO2 qu'un moteur essence. Au garage municipal, un copain m’a dit qu’on pouvait installer un filtre pour quelques dizaines d’euros, histoire de limiter la diffusion de particules fines. A cause de toi, j’ai siphonné l’essentiel de mon budget alors que la moitié de mes gars ont des trous aux godasses, des gilets pare-balles datant de la reine Victoria et des tonfas qui n’ont de télescopiques que le nom. Le pire, c’est que, contrairement à tes prévisions, le prix du litre de SP 95 est supérieur au gazole dans les trois stations-service où tu nous obliges à aller avec ta carte corporate. On est en novembre et j’ai déjà complètement cramé ma ligne de crédit carburant. Ça sert à quoi d’être plus écolo ? De se faire plumer ? Damn you ! » « Ne vous passez pas la rate au court-bouillon, je viens de recevoir les catalogues de plusieurs centrales pour des voitures électriques. C’est l’idéal pour vos déplacements urbains », suggère Bruno Desclozes, désireux de calmer le jeu. « Si tu es un fan de l’électrique, bloody jerk, ça tombe bien, je cherchais justement l’occasion de tester le degré de performance de mon nouveau taser et du binôme acheteur/prescripteur », réplique l’argousin. Bon allez, comme chacun le sait, ordo ab chao, l’ordre naît du désordre. A la semaine prochaine,  peut-être.

Jean-Marc Binot