[Au plus près des TA] La substitution de motifs en référé précontractuel

Il est tout à fait possible pour un acheteur public de substituer en cours de contentieux les motifs de rejet d’une offre. Dans cette chronique, Maître Nicolas Lafay met en lumière trois ordonnances de mai dans lesquelles une telle substitution a été opérée…

Certains acheteurs ne le savent peut-être pas, mais il est leur est tout à fait possible de faire valoir, devant le juge des référés précontractuel, un autre motif de rejet que celui indiqué dans la lettre de rejet, et notamment le caractère irrégulier de l’offre en cause, puisque dès lors que l’offre est irrégulière, l’acheteur est tenu de la rejeter.

Ainsi, le code des marchés publics « n’interdit pas au pouvoir adjudicateur, après avoir communiqué les motifs justifiant le rejet d’une offre, de procéder ultérieurement à une nouvelle communication pour compléter ou préciser ces motifs, voire pour procéder à une substitution de motifs » (TA Versailles, 8 nov. 2011, n°1105829).

Le juge des référés précontractuels peut donc substituer au motif retenu par l’acheteur public dans le document informant le candidat du rejet de son offre, un autre motif de droit ou de fait, à la condition néanmoins que cette substitution ait été demandée par l’autorité administrative lors de l’instruction de l’affaire et que le requérant n’ait été privé d’aucune garantie de procédure (TA Guadeloupe, 22 févr. 2024, n°2400144).

Trois ordonnances de ce mois-ci nous donnent justement l’occasion d’illustrer cette possibilité.
 

D’OAB à offre irrégulière


Dans une première affaire devant le Tribunal administratif de Paris, un candidat évincé contestait le fait que son offre avait été rejetée pour prix anormalement bas. Or, il s’avère qu’effectivement, son offre ne pouvait pas être jugée anormalement basse et que l’acheteur avait de ce point de vue commis un manquement à ses obligations.Toutefois, en cours de procédure, ce dernier avait mis en avant le caractère irrégulier de l’offre, pour n’avoir pas proposé des prix forfaitaires, contrairement aux exigences du règlement de la consultation.

Bien lui a en a pris, puisque cette substitution est pris en compte par le juge parisien, qui rejette, en définitive, la requête : « les dispositions du code de la commande publique ne font pas obstacle à la faculté pour le pouvoir adjudicateur de préciser ou de compléter, avant que le juge statue et sous réserve que soient respectées les règles du débat contradictoire, les motifs de la décision par laquelle il a rejeté l’offre d’un candidat, voire de procéder, dans les mêmes conditions, à une substitution de motifs de nature à fonder le rejet de l’off re, sous réserve cependant qu’elle ne prive pas le candidat évincé, auteur du référé précontractuel, d’une garantie procédurale liée au motif substitué. Dès lors que la société a indiqué à plusieurs reprises, que des facturations supplémentaires seront appliquées l’offre n’a pas respecté les documents de la consultation, qui imposaient de présenter des coûts complets, donc forfaitaires. Pour ce motif, France Travail ne pouvait que rejeter l’off re comme irrégulière ».
 
 

Une substitution des motifs de rejet


Dans la deuxième affaire, jugée par le Tribunal administratif de Versailles, l’acheteur avait substitué un autre motif de rejet, en transmettant, cette fois-ci, une deuxième lettre de rejet en cours de la procédure.
Dans un premier courrier de rejet, la commune avait informé la société du rejet de son offre, motif pris de son incomplétude s’agissant des informations relatives au temps de présence sur le chantier du personnel encadrant, puis, par un second courrier, postérieurement à l’introduction de la requête, elle l’avait informée du rejet de son offre motif pris de son incomplétude s’agissant des informations relatives aux qualifications du personnel dédié au chantier.

Et le juge de relever qu’« à supposer que la commune ait entendu demander, dans le cadre de l’instance, une substitution de motifs en vue que ne soit retenu que le second motif de rejet de l’offre de la société, cette substitution ne prive cette dernière d’aucune garantie, dès lors qu’elle a pu faire valoir ses arguments dans l’instance sur l’un et l’autre des motifs. Il en résulte que, par le second motif de rejet, le pouvoir adjudicateur était en tout état de cause fondé à rejeter comme irrégulière l’offre de la société requérante ».
 
 

Un nouveau motif de rejet


Enfin, dans une troisième affaire, le juge réunionnais valide le fait d’avoir soulevé un nouveau motif de rejet, tiré de la fourniture d’informations trompeuses dans l’offre, au cours de l’instance de référé :  « Par son référé précontractuel, la société conteste ce motif d’éviction ainsi que, suite au mémoire en défense soulevant l’irrégularité de son offre en ce qu’elle recelait des informations trompeuses au sens de l’article L.2141-8 du code de la commande publique, la substitution de motif ainsi proposée par l’acheteur. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la prise en compte de ce motif d’éviction non expressément retenu dans la décision de rejet d’offre ne révèle pas, en l’espèce, la privation d’une garantie, dès lors que le débat engagé par la région sur cette question à travers sa demande de précisions traduit la mise en œuvre de la procédure contradictoire prévue à l’article L.2141-11 du code de la commande publique en cas de soupçon de manœuvre pouvant conduire à l’exclusion. Il résulte de ce qui précède que, quel que soit le bien-fondé du grief d’offre anormalement basse, la région est fondée à soutenir que l’offre ne pouvait qu’être rejetée en tout état de cause ».