Quand la commande publique joue la surprise

  • 11/03/2021
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"Ne laissez pas votre imagination vous prendre par surprise"
Jimi Hendrix (Earth blues - 1970)

Jadis, dans une autre vie, j’officiais en tant que secrétaire d’édition au sein d’une prestigieuse revue de droit administratif (la bleu, pas la rouge). A chaque réunion de programmation, un des deux directeurs scientifiques, universitaire de renom, se réjouissait : « Le droit a vraiment une très grande faculté d’étonnement ! ». Malicieux, il soulignait ainsi non seulement que le droit parvient à absorber toute la richesse de la vie, mais aussi que décisions ou textes ne cessent de le surprendre. Et bien, Monsieur le Professeur, achatpublic.info partage votre trait d’humour, et très particulièrement cette semaine…
 

Qui l’eût cru ? L'achat public en mode survivaliste !

Cyber attaques - Comme un retour en arrière. Victimes de cyber attaques particulièrement honteuses, certaines personnes publiques ont dû revenir à l’âge de pierre de la commande publique, pendant quelques jours. Privés de réseaux, leurs acheteurs ont ressorti photocopieuses et autres fax pour communiquer. Nous avons recueilli leurs témoignages éberlués : « Le plus dur a été d’acheter du papier et des toners ». Des acheteurs pas loin de la rupture de faisceaux : « déjà que je suis à couteaux tirés avec le DSI, ce n’est pas la peine d’en rajouter parce que je vais finir par l’envoyer en réanimation ! » (lire "Cyberattaques : les acheteurs doivent-ils rematérialiser ?").

Shut down - Infâme loi des séries ! A la suite d'un incendie qui a ravagé les « data centers » de la société OVH Cloud à Strasbourg, la plateforme PLACE a connu un "shut down". Au point d'indiquer : « si vous voulez répondre à une consultation dans la journée du 10 mars 2021, nous vous invitons à vous rapprocher de l’acheteur responsable de la consultation pour plus d'information sur la suite de la procédure » (lire "Un shut down qui fait « PLACE nette » pendant une journée").
 

A contre-courant !

Etonnement encore, cette semaine, lorsque une offre est déclarée irrégulière car proposant une exécution trop rapide. Une affaire bien surprenante (lire "Offre irrégulière à cause de délais de livraison… trop rapides")... et à contre-courant de l’actualité, à l’heure où la lenteur des arrivages des vaccins contre la Covid-19 ne cesse d’étonner tout acheteur qui se respecte (relire "A quand un acheteur public aux commandes ? (lettre à l'Elysée)").
L’incongruité n’est qu’apparente : en grattant un peu, on comprend mieux… D’une part, une livraison a un coût, intégré dans le prix du marché, et plus les délais sont raccourcis, plus ce coût augmente ; d’autre part, il faut admettre que l’acheteur a toujours ses raisons. En l’espèce, elles sont d'ordre logistique : la commune, après avoir fait un bilan de l’exécution de ses précédents marchés, a constaté que des délais trop courts posaient des difficultés sur la réception des fournitures, et des opérations de vérification lourdes, au vu du nombre et de la disponibilité de ses agents. Une illustration de l’affirmation selon laquelle la logistique ("the supply chain" in english) confine à l’art, tout autant qu’à l’office d’un bon acheteur public (relire "Astuces pour vérifier la supply chain des candidats à un marché public" ; "Sécurité des approvisionnements : "encore une fois, c'est le bon sens qui prime"" et "Demander un plan de continuité des activités, c'est multi vertueux!").

Parfois, une bonne surprise allie étonnement et innovation. Bordeaux Métropole s'empare du régime des marchés d’innovation pour faire travailler une entreprise recrutant des militaires réformés souffrant de stress post-traumatique (lire "A Bordeaux, l’achat innovant accompagne l'ingénierie sociale").

 

Le juge judiciaire fait encore des siennes !

Autre source d’étonnement, agaçante pour le publiciste : le fait que le juge judiciaire puisse se prononcer au contentieux sur des marchés publics avec "ses" solutions. La Cour de cassation vient de rendre un arrêt par lequel elle passe, s’agissant d’un groupement de cotraitants, d’une approche globale à une approche individuelle de l’appréciation des capacités du groupement (lire "Appréciation des capacités d’un groupement par cotraitant : une approche contestable"). « La décision de la Haute juridiction remet en cause le principe même du groupement d’entreprises, s’agace Me Nicolas Lafay, alors que le but du groupement, c’est de permettre justement à des opérateurs, qui n’ont pas individuellement toutes les aptitudes requises, de se réunir en vue de répondre à toutes les conditions».
Mais faut-il encore s’étonner de ce que le juge judiciaire n’entende pas les orientations vertueuses imposées à la commande publique (lire aussi "Pas d’exclusion des marchés publics en cas de fraude fiscale").
 

Une "sève exceptionnelle" : la confiance

De quoi porter la réplique à Alain Lambert, qui regrette que le « droit menaçant aspire les acheteurs publics dans une spirale de formalisme débridé qui les conduit à produire des marchés routiniers» (lire "La commande publique, nouveau couteau suisse de l’action publique, a d’abord besoin de confiance"). Le Président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) ne reste pas au stade du constat navré : il appelle à l’extension aux acheteurs de la politique affichée de confiance à accorder aux entreprises. « Un nouvel élan commande une sève exceptionnelle qui s’appelle la confiance. »

Oui, sans confiance, pas de créativité…


 
Jean-Marc Joannès