Souple ou hyperlaxe : la hausse des prix sollicite les adducteurs de la commande publique

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"Sans ordre, rien ne peut exister ; sans chaos, rien ne peut évoluer. De nos jours, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien."
Oscar Wilde



Parfois, il arrive que l'on soit particulièrement attendu au tournant... C’est sans doute le cas d’Isabelle Le Nevé. Elle intervient au cours de la conférence organisée par Association pour l’achat dans les services publics (APASP) fin mars (relire "La clause de révision de prix : l’outil de gestion de la crise des matières premières").  Ce qui fait que l’on boit ses paroles ? : elle est en charge de la refonte du Guide sur les prix de 2013 du ministère de l’Economie et des finances. Un enjeu particulièrement lourd, ces temps-ci.

Il va sans dire que la doctrine de la DAJ, par ailleurs ardent défenseur du principe d’intangibilité des prix, sera particulièrement analysée. Elle indiquait dans sa fiche technique datée de juin 2021 que le prix et ses conditions d’évolution sont des éléments essentiels du marché qui ne peuvent évoluer en cours d’exécution, sauf clause de révision ou clause de réexamen. Ainsi, « en l’absence de clause de révision de prix ou de réexamen, une modification du prix porterait atteinte aux conditions de la mise en concurrence initiale » (relire "Difficultés d’approvisionnement et hausses de prix : les précisions et recommandations de la DAJ").
 

Flexibilité à l’horizon ?

Mais le droit est flexible. De crise en crise, de "relance de l'économie" en ligne jurisprudentielle de maintien des relations contractuelles, sa pratique peut se révéler elle-même assez souple. Alors, la question des contrats à venir ne devrait pas poser de difficulté insurmontable, même au prix de débats argumentés. 
Le code de la commande publique est là : un marché doit être conclu à prix révisable « dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d'exécution des prestations » (CCP, art. R. 2112-13) (lire "La clause de révision de prix : l’outil de gestion de la crise des matières premières").

Certes, il pourra y avoir des débats sur le caractère prévisible de la hausse des prix... en cette période où les crises ont plutôt tendance à s’enchaîner. Des débats, aussi, sur la prise en considération de la "durée" de cette hausse et sur la mise en jeu éventuelle du mécanisme de l’imprévision. Mais... « à cœur vaillant rien d’impossible ! »

La circulaire du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières considère qu’il convient d’insérer une clause de révision des prix dans les contrats et, « afin de ne pas pénaliser les entreprises, les formules de révision de prix ne contiendront pas de terme fixe et les contrats ne contiendront ni clause butoir, ni clause de sauvegarde » (relire "Flambée des prix : l’Etat donne ses consignes par circulaire"). Et précise « l’acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant les clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat ».
 

« Nous, sur le terrain, on doit bien composer... »

Là où ça coince, c’est pour les marchés en cours d’exécution, comme l’a révélé le premier volet de notre enquête de terrain (relire "Inflation et approvisionnement : les acheteurs sous pression (1/2)") : « Le principe de l’intangibilité du prix, c’est bien beau, mais il faut faire face à la réalité ! La DAJ peut toujours actualiser sa fiche technique et se retrancher derrière ce principe ; nous, sur le terrain, nous devons composer avec la réalité »
L’enjeu est simple : dans la situation actuelle, en l’absence de clause de révision de prix, les entreprises soit ne candidateront pas, soit déposeront une offre plus onéreuse "pour se couvrir" en cas de hausse.
 

Le duo avenant + clause de réexamen à la rescousse ?

« Comment peut-on rémunérer les entreprises et répercuter la hausse des coûts des matières premières, sans avoir la possibilité de modifier le prix du marché par avenant ? ». La question est légitime. 
Agir par avenant, c’est en effet l’une des pistes que soumet à réflexion le cabinet Charrel : « Un avenant de prix nouveau temporaire avec clause de réexamen intégrée est-il juridiquement possible ? » (relire "Flambée des prix et conséquences sur les marchés publics : un "newsbinaire" dédié" ). Le cabinet Charrel tente de parer au principe d’intangibilité qu’on risque de lui opposer : « est-il toujours opposable si la modification des prix, actée par voie d'avenant, n'est que temporaire, et sous réserve qu'elle n'entraîne pas une augmentation de plus de 50 % du montant total du marché ? »
Après tout, et selon la circulaire du premier ministre du 30 mars, « la crise actuelle des matières premières est exceptionnelle ». Et le Gouvernement s’est bien déjà appuyé sur la reconnaissance de "circonstances particulières" pour bousculer les mécanismes du droit de la commande publique, souvenez-vous, pendant la crise sanitaire et pour relancer l’économie.
 

Inversion du rapport de force 

Alors dogmatisme pour préserver un « élément essentiel du contrat » ou bien « réalisme imposé » ? Le second volet de notre enquête sur les acheteurs sous pression (lire "Inflation et approvisionnement : les acheteurs sous pression (2/2)" ) montre les acheteurs aux prises avec la continuité du service public, et les yeux rivés sur leur "atterrissage budgétaire"… tant il est vrai que le "Quoi qu’il en coûte" ne peut être brandi partout et par n'importe qui…

Ici, le besoin commence à se définir par rapport au coût : « Pour les marchés ou contrats à venir et leur financement, nous sommes obligés d’anticiper une hausse des coûts dès la définition du besoin, notamment en travaux où l’application de la norme RE2020 vient également s’ajouter aux augmentations que nous subissons ». Extraordinaire changement de paradigme !
Là, cet acheteur hospitalier s’alarme et dit devoir négocier à la baisse les demandes de révision des prix avec ses fournisseurs : « Nous demandons des explications précises sur les taux d'évolution des prix. Ça limite la casse mais nous subissons quand même cinq à dix points de hausse générale sur nos dépenses, hors frais de personnel ». 
Autrement dit, c’est désormais le fournisseur qui prend la main sur le critère prix.

Une autre inversion…