Transparence et indiscrétions de l’achat public

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"La discrétion est ma devise. Je ne dis jamais rien. Même sur ma carte de visite, il n'y a rien d'écrit."
Groucho Marx


Quand on parle transparence de l’achat public, on pense immédiatement, en positif, à l’accessibilité des données et aux bénéfices que l’acheteur peut en tirer. Pierre-Henri Morand, professeur de science économique à Avignon Université, nous énumérait la semaine dernière tous les avantages pour les acheteurs publics d’une véritable politique de transparence des données de l’achat public (relire "Publication des données essentielles : un moyen de vérifier où va l’argent public ?" - Relire aussi "Open data : quel intérêt ? Pour qui ?"). 

D’une transparence insatisfaisante...

Bien que relevant de l’obligation, l’outil Open data reste encore imparfait : « De nombreuses collectivités publiques ne sont toujours pas au fait de cette exigence : soit en ne les publiant pas, soit en les renseignant de manière approximative ». Pour certains, l’Open data reste même oublié dans certaines réformes commande publique essentielles (relire "L’open data, grande absente des CCAG révisés"). S'agissant des données essentielles, le niveau "ergonomique" de leur publication est régulièrement critiqué, notamment à l'occasion des contrôles réalisés par les chambres régionales des comptes (lire "Publier et rendre accessibles les données essentielles… une mesure pas suffisante" - relire "Publier les données essentielles, c’est bien. Y accéder c’est mieux !").

Pour l’heure, on se languit de la mise en œuvre d’un régime unifié de publication des données essentielles avec celles du recensement des marchés publics (relire "Vers la fusion des données essentielles et celles du recensement des marchés publics"). Les articles 6 et 8 du décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique prévoient une entrée en vigueur de la mesure, issue de l’action n° 16 du plan de transformation numérique de la commande publique (TNCP) relative à la fusion des données essentielles et des données du recensement économiqu, e à une date fixée par un arrêté du ministre chargé de l’économie au plus tard le 1er janvier 2024 (relire "Décret "commande publique" du 2 mai 2022 : ce qu’il faut en retenir"). Soyons rassurés : c’est dans la "To do List 2022" de la DAJ (relire "La DAJ présente son rapport d’activité 2021").

Quand on parle transparence de l’achat public, on pense aussi à l’assurance que le citoyen peut espérer de connaître l’usage des deniers publics, ou plutôt leur usage détourné, avéré ou soupçonné : corruption favoritisme et autres travers (lire, par exemple "Achats européens de vaccins Covid : enquête de l’EPPO"). Là encore, soyons rassurés, c’est un engagement de la France, au titre du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) : Parmi la "liasse des engagements", le renforcement de la transparence de la commande publique, la France s’est engagée à rendre plus transparente la commande publique grâce à une publication régulière d’une quarantaine de données de la commande publique, au lieu des 23 actuelles (relire "Transparence : la convergence des données essentielles dans la liste des engagements français").

Quand on parle transparence de l’achat public, on pense enfin à la question du poids des lobbys (relire "Transparence de la vie publique : c’est du côté du répertoire des lobbys que cela se tend").

 

... à une transparence " mal à propos "

Mais il y a un aspect de la transparence que l’on envisage plus rarement : l’excès de transparence. Une forme de "transparence mal à propos".
Cette semaine, nous sommes penchés sur les réseaux sociaux et leurs impacts sur les achats publics : les acheteurs peuvent-il tout dire sur les réseaux sociaux ? A quel moment leurs propos peuvent-il avoir un impact sur les procédures de passation ? L’enjeu sous-jacent est de mesurer dans quelle mesure l’usage des réseaux sociaux peut entraver le principe d’impartialité. Avec un constat : « L’usage de plus en plus fréquent et parfois assez libre des réseaux sociaux (tant professionnels que privés) génère de nouvelles sources de litiges aux opérateurs économiques en lien contractuels avec les collectivités », alors qu’en parallèle, peu de collectivités auraient élaboré des chartes de comportements sur les réseaux (lire "Réseaux sociaux et commande publique : la discrétion professionnelle cherche encore une version 2.0") Dans cette enquête, un responsable achat propose « un parcours de formation initiale pour les élus, au même titre que celui des fonctionnaires ».

C’est vrai que la commande publique, coincée entre transparence et impartialité, est aussi une affaire d’élus, non ? Ayons une pensée émue pour la difficulté des services Achat quand leur élu, en pleine campagne électorale, juché sur son estrade, en costume croisé et mocassins à glands, rappelle que tous ses efforts portent sur le tissu économique local et l’attribution des marchés publics aux entreprises de sa commune. Certes, c’est un peu caricatural (ou pas, si l’on monte en épingle une ou deux affaires récentes...). Mais il y a bien une part de réalité : par les temps qui courent, le localisme de l’achat reprend de la vigueur, bien aidé par des considérations environnementales, en soi louables. Acheter au plus près de ses besoins, c’est écologique et social (relire "Achat local, achat durable, même combat !" et "« Préférence locale » : les trucs et astuces du gouvernement ").

Pures cogitations éditorialistes? Non. Nous avons déjà relevé les conséquences d’un excès de communication, sur les réseaux ou dans la presse (relire par exemple "Mettre en cause publiquement une attribution, c’est diffamer". Mais aussi l’impact d’un SMS en cours de procédure (relire "Un SMS, cela ne suffit pas à établir un manquement à l'obligation d'impartialité !") ou une allocation publique... "délicate" (relire "Une déclaration publique sur le choix de l’entreprise retenue en pleine procédure sans conséquence").

La transparence, c’est peut être comme le cholestérol : il y a la bonne... et la mauvaise