Achat durable, achat local : même combat ?

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"L'homme est moins lui-même quand il est sincère ; donnez-lui un masque et il dira la vérité."
Oscar Wilde


A trois semaines du grand rendez-vous de l’achat local, le Salon des maires et des collectivités territoriales (organisé par infopro-digital) adossé au Congrès des maires, la rédaction commence à braquer le projecteur sur la commande publique locale (lire "Les élus et la commande publique (1/4) : à chacun son rôle !"). Et donc sur l’achat local.
Un "gros mot" ?

Si l’on s’en tient à une vision purement juridique, et une perception rigoriste du droit communautaire, c’est en effet bien compliqué que de faire de l’attribution des marchés publics aux entreprises de son territoire l’alpha et l’oméga de sa politique achat.
D’abord, il y a le risque de suspicion de favoritisme, la fameuse "Epée de Damoclès" (relire "Prise illégale d’intérêt : les maires pointent à nouveau une dangereuse Epée de Damoclès" et consulter notre dossier "Prise illégale d'intérêt").
Ensuite, il faut s’entendre sur l’échelle de territoire concerné, et prendre en compte les « externalités négatives » d’un juridisme poussé à l’extrême. Lequel peut même virer à une forme de discrimination à rebours (relire "Quand commande publique et insularité s'entrechoquent").
Enfin, il faut s’accorder sur les termes : non, le circuit court n’est pas l’achat local. « Si la loi Egalim impose une juste rémunération des producteurs, il ne faut pas non plus tomber dans le localisme en évoquant les circuits courts, remarque le directeur adjoint de la commande publique et des achats de la région Sud, d’autant que la définition de ce qu’est un circuit court n’existe pas dans le code de la commande publique » (relire "Alimentation : circuits courts ou coupe-circuits ?")
 

Contorsions jubilatoires

Avouons-le : il nous est arrivé de nous amuser des contorsions des gouvernements successifs, s’évertuant à livrer "trucs et astuces" pour, sans le dire, expliquer que si le localisme est illégal, il existe multiples façons vertueuses d’y parvenir... à condition de ne pas l’afficher trop frontalement (relire "Achat local : mise à jour des préconisations du Gouvernement" et "Préférence locale » : les trucs et astuces du gouvernement") : « le juge européen et le juge administratif français censurent ainsi régulièrement les conditions d'exécution ou les critères d'attribution reposant sur l'origine des produits ou l'implantation géographique des entreprises et toute modification du droit des marchés publics en ce sens serait inconstitutionnelle et inconventionnelle (...). Pour autant, le code de la commande publique offre déjà aux acheteurs des outils leur permettant de faciliter l'accès des entreprises locales à leurs marchés.... ».
La partie n’est en réalité pas facile pour le gouvernement, qui doit, depuis plusieurs années désormais, répondre à une pluie de questions parlementaires tendant à lui demander pourquoi le code de la commande publique ne favorise pas l’achat local, ou, dans le meilleur des cas, comment "jongler" pour contourner les interdits.

Mais ce petit plaisir, un peu sardonique, de le voir ainsi se débattre, n’est plus de mise : le contexte évolue, sous la double impulsion des crises et de la montée en puissance de l’achat durable.
 

Approvisionnement et relocalisation

La crise covid et la découverte de la disparition de certaines industries essentielles du territoire national ont porté un rude coup aux plus respectueux de l’interdiction du critère géographique (relire par exemple : "Hôpitaux : après le Covid, acheter Français ? « Il est dommage qu’il ait fallu une crise sanitaire pour en arriver là »").
Désormais, on parle d’achats stratégiques, pour lesquels il est légitime, en soi, de réfléchir à une dérogation à l’interdiction du critère géographique. Une catégorie encore à définir. Mais en quoi l’alimentation n’en ferait pas partie ?
Désormais, on parle même de « souveraineté et de démocratie alimentaires ». Et on l’assume, lors du « Food Forum européen, à Mouans-Sartoux : « Les collectivités territoriales européennes, urbaines ou rurales, sont aujourd’hui les moteurs de la transition vers des systèmes alimentaires locaux durables » (lire "Des cantines scolaires 100% bio dans tous les pays de l’UE ?" - relire aussi "Gilles Pérole : l’exception alimentaire en ligne de mire").

Le combat n’est pas facile : cette semaine, nous avons relevé quelques difficultés (lire " La CRC Normandie veille à la bonne application de la loi Egalim" et "Acheter hors marchés des denrées alimentaires en circuit-court : une fausse bonne idée").
Mais il y a bien une sorte de front commun acheteurs/producteurs/élus locaux pour l’exception alimentaire. A l’instar de celui qui a permis la prise en compte de la hausse des prix dans les contrats publics. D'ailleurs, le ministre de l’Economie a reçu à ce sujet aussi une lettre recommandée pour prendre en compte l’exception alimentaire, en mars 2022 (relire "Exception alimentaire : une lettre recommandée à Bruno Le Maire et à la DAJ").
Pour l’instant, aucune réponse ...
 

Achat durable, et donc « achat local » ?

A côté des préoccupations d’approvisionnement, c’est bien la dynamique « achat durable » qui vient au soutien de l’achat local.
En matière d’énergie, la poussée pour rendre le Power Purchase Agreement (PPA ) compatible avec le code de la commande publique relève de la même dynamique : « l’achat de proximité d’énergie renouvelable est gage d’achat sécurisé et d'efficacité » (relire "L’acheteur public… privé d’achat d’énergie renouvelable en PPA ?" - "Fin de la volatilité des prix de l’électricité avec le Power Purchase Agreement ? "). et "Energie propre et facile d’accès : France Urbaine et la FNCCR proposent au législateur le "Marché de consommation d’énergies renouvelables").

Pour revenir à l’alimentation, le discours est désormais assumé. Le rapport annuel 2022 de Un Plus Bio et du label Ecocert « En Cuisine » confirme aussi la tendance des cantines bio à s'approvisionner localement et constate la progression des régies agricoles (relire "Restauration scolaire bio et durable : de forts progrès").


A se demander si finalement, la loi "Climat et résilience", en mettant fin au critère unique de prix et posant l'obligation de prise en compte de considérations environnementales dans les marchés publics,  n’est pas, en masqué mais en réalité, la première loi de relocalisation de l’achat public ?