A bon acheteur public ... bon vendeur ?

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« Mettez la compréhension active en lieu et place de l'irritation réactive et vous dominerez les choses »
Franz Kafka


Si l’on trace a grand trait les constantes d’un "bon achat", au sens d’un achat pertinent et efficace, on recense, entre autres, une politique achat raisonnée, à partir d’une cartographie, bien établie, mais également, la bonne connaissance du tissu économique : connaître l’état du marché et de ses fournisseurs.
A l’écrire, on a le sentiment de l’évidence : l’achat, c’est "tout simplement" la rencontre d’un accord pour d’un côté, satisfaire un besoin ; de l’autre valoriser une prestation. Dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas...
 

Code contre code

Cette semaine, nous avons voulu creuser la question des marchés publics d’assurance. La question est particulièrement sensible : de nombreuses collectivités, les plus petites en particulier, ne sont plus en mesure de s’assurer. Il y aurait une désaffection du marché des collectivités par les assureurs. Les maires rencontrent donc des difficultés dans leurs recherches d'un prestataire d'assurances pour couvrir leurs risques de dommage : « soit les prestataires d'assurances ne répondent pas aux appels d'offres, soit ils proposent des coûts très élevés, que les communes (...) ne peuvent pas supporter » (relire "Marchés publics d’assurances des collectivités territoriales : trop d’appels d’offre sans réponse"). Une situation qui préoccupe particulièrement l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité (relire "Marchés publics d’assurance : l’Association des maires de France enquête").


Dans un premier temps, nous avons cherché (et trouvé !) des explications d’ordre technique (relire "Marché public et assurance : antinomique ?").
D’abord, le droit des assurances est un droit "fort". Il tient tête au droit de la commande publique. Il fût même un temps où le Conseil d’Etat excluait les contrats d’assurance de la sphère de la commande publique sous prétexte qu’ils bénéficiaient d’un régime propre (CE, Section, 12 octobre 1984, Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Pyrénées, req. n° 34671).

Dans nos colonnes, Me Frédéric Allaire considérait par exemple que le fait qu’un candidat à un marché public d’assurance puisse émettre des réserves, c’est-à-dire qu’il puisse refuser l’application de clauses contractuelles, est une faculté qui dérive de cette « anomalie congénitale » dont souffrent les marchés publics d’assurance. Autre "anomalie", qui a de quoi dérouter les acheteurs publics : on ne peut empêcher un assureur de résilier un contrat pour sinistre pendant la période de validité du marché public. L’acheteur public est ramené au rang d’un assuré normal... perdu face à une réglementation particulièrement touffue.

C’est ainsi que nous en sommes parvenus à considérer que Marchés publics et Assurance sont quasiment antinomiques. « Les collectivités publiques ne sont pas des professionnelles de l’assurance et les besoins tels qu’ils sont définis, souvent, ne coïncident pas avec les usages du secteur » considérait aussi in fine Maître Frédéric Allaire.

C’est là que les propos de Philippe Barré prennent tout leur sens et interrogent, d’abord, la pratique des acheteurs publics.
 

Des acheteurs publics déconnectés ?

Dans un second temps en effet, nous avons cherché d’autres explications, en interrogeant Philippe Barré, Président de la Compagnie Nationale des Services de Conseil en Risques & Assurances (CNSCRA) (lire "[Interview] Philippe Barré : "Le Code de la commande publique n’est probablement pas vraiment adapté à un achat raisonnable d’assurances"). il estime que des efforts doivent être menés « des deux côtés du contrat ».
Ses explications sont assez directes : si de fait, l’acheteur public à qui l’on confie la passation d’un marché public d’assurance n’a bien souvent aucune compétence en droit des assurances, bien souvent « ils se sont habitués à la facilité et se sont laissé aller à acheter l’assurance comme s’il s’agissait d’un stylo Bic 4 couleurs ».

Pour Philippe Barré, il existe des solutions simples pour surmonter la difficulté. Des solutions à trouver du côté des acheteurs : d’abord, « se connecter » à la gestion des risques opérationnels et de la continuité d’activités. Autrement dit, véritablement se pencher sur le besoin à couvrir, et identifier précisément les biens à assurer et les risques opérationnels : « Bien souvent, les assureurs trouvent des DCE peu adaptés. Ensuite, ne plus donner trop d’importance au critère prix, et valoriser d’autant la valeur technique et les engagements de services».
Enfin, s’adapter au marché : « L’essentiel (en nombre) des appels d’offres d’assurances est publié en vue d’une conclusion de marchés publics d’assurance devant prendre effet au 1er janvier. Un flux très important, concentré sur une même très courte période, arrive donc sur le bureau des assureurs... ». Ce qui ne les amène pas particulièrement à creuser les appels d’offre.

Verdict : « Les acheteurs publics n’ont pas pris en compte l'évolution du marché de l’assurance » qui a pourtant fortement évolué depuis plusieurs années ».
 

Vis ma vie de fournisseur

Si l’on résume la problématique « sur le terrain » des appels d’offres en assurances infructueux, on pourrait considérer qu’une explication réside dans le fait que l’acheteur public ne sort pas de sa zone de confort.

Et pourtant, c’est non seulement possible, mais tout à fait bénéfique. Cette semaine aussi, nous nous penchons sur une initiative de la métropole d’Angers qui relève de "l’inversion de rôle" (lire "A Angers, la commande publique se charge des ventes aux enchères") : un acheteur génère des ressources conséquentes et régulières pour la ville et la métropole par la vente aux enchères des véhicules et des matériels réformés par leurs services. Ce, grâce notamment à outil apparu en 2009 à la direction de la commande publique, « créé par un acheteur féru d’innovation ».
Et l’on y éprouve cette maxime : « Il faut un bon acheteur pour faire un bon vendeur ».

Allons-y franchement : au-delà du sourcing, osons suggérer aux acheteurs publics de se mettre dans la peau des fournisseurs... la meilleure façon de s’auto-évaluer en tant qu’acheteur ?