Vademecum du référé contractuel : l'instruction du recours (II)

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Yann Simonnet, avocat au, cabinet Cheysson Marchadier vous donne le mode d’emploi pour réussir un référé contractuel. Dans une première partie, il a décrit les conditions d’introduction du recours. Dans ce second volet, il s’attache à expliquer l’instruction du recours.

Quels sont les moyens invocables dans le cadre du référé contractuel?

Contrairement au juge du référé précontractuel, le juge du référé contractuel n’a pas vocation à sanctionner toutes les irrégularités qui pourraient entacher la procédure de passation d’un marché. En effet, dans le cadre d’un référé contractuel, le juge administratif a vocation à sanctionner, en raison de leur particulière gravité, seulement cinq irrégularités :
- La personne publique n’a procédé à aucune mesure de publicité préalablement au lancement de la procédure de passation (absence de tout avis d’appel public à la concurrence) (1);
- La personne publique n’a pas procédé à la publication d’un avis d’appel public à la concurrence dans le Journal Officiel de l’Union Européenne (JOUE), alors qu’un texte exigeait une telle publication (2);
- Dans le cadre de la passation de contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique, les modalités de remise en concurrence n’ont pas été respectées (3);
- Dans le cadre de la passation d’un marché passé selon une procédure formalisée (appel d'offres ouvert ou restreint ; procédure négociée, dialogue compétitif, concours), la personne publique n’a pas respecté son obligation d’observer un délai entre la notification aux candidats non retenus du rejet de leurs offres et la signature du marché (délai de 11 ou 16 jours  selon le mode de transmission de la notification) (4).
- La personne publique a signé un marché alors même que la procédure de passation de ce marché a fait l’objet d’un référé précontractuel, ce qui impliquait que la personne publique s’abstienne de signer le marché jusqu’à ce que le juge rende sa décision (5).
Si une entreprise n’est pas à même de démontrer que la personne publique a commis au moins l’une de ces irrégularités, un référé contractuel n’aura aucune chance de succès.

Quels sont les pouvoirs du juge du référé contractuel ?

Lorsque le juge du référé contractuel constate l’existence de l’une des cinq irrégularités listées ci-dessus, la sanction qu’il prononcera va dépendre de la nature de l’irrégularité :
si le juge constate l’existence des irrégularités (1), (2) ou (3), il a l’obligation de prononcer la nullité du marché (le marché est censé n’avoir jamais existé) ;
Si le juge constate l’existence des irrégularités (4) ou (5), il a l’obligation de prononcer la nullité du marché seulement si l’entreprise réussit à démontrer que ces irrégularités l’ont empêché d’exercer utilement un référé précontractuel et que ses chances d’obtenir le marché en cause ont été affectées par les manquements de la personne publique à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Si l’entreprise ne parvient pas à une telle démonstration, le juge pourra décider de ne prononcer « que » la résiliation du marché (le marché disparaît pour l’avenir), ou en réduire la durée ou simplement imposer une pénalité financière.

Déroulement de l’instruction

Après sa réception, le greffe du Tribunal administratif va accuser réception de la requête : il adresse à l’entreprise requérante un courrier précisant le numéro sous lequel l’affaire a été enregistrée (ce numéro devra ensuite être rappelé dans toute correspondance avec le greffe) et un code d’accès confidentiel permettant de suivre l’état de l’instruction du dossier sur le site Internet Sagace. Ce courrier précise également la date de l’audience à laquelle l’affaire sera plaidée devant le juge des référés.

Si le requête a été rédigée et déposée par un avocat, c’est ce dernier qui sera destinataire de ce courrier, ainsi que de toutes les autres correspondances adressées par le greffe. Parallèlement, le greffe va transmettre une copie de la requête à la personne publique et à l’entreprise qui ont signé le marché attaqué et va les inviter à produire des mémoires répondant aux moyens et demandes de cette requête. Ils sont également informés de la date de l’audience. Le cas échéant, notamment à la demande de l’entreprise requérante, le juge notifie une ordonnance faisant injonction aux parties de suspendre l’exécution du marché.

Jusqu’au jour de l’audience, les parties peuvent produire de nouveaux mémoires afin de compléter leurs précédents mémoires ou répondre aux mémoires adverses. L’ensemble des mémoires et pièces doivent être envoyés au greffe du tribunal, tout à la fois par télécopie et par courrier (en RAR). Lorsque les parties sont représentées par des avocats, la pratique veut que, à titre confraternel, parallèlement à l’envoi effectué au greffe, ces derniers s’échangent directement leurs mémoires (le plus souvent par télécopie, voir par courrier électronique).

Déroulement de l’audience

Il n’est pas rare que les parties (et leurs avocats) soient convoquées à une audience où seule leur affaire sera traitée. Le juge des référés statue seul et aucun rapporteur public n’intervient à l’audience pour suggérer au juge une solution. Après un bref rappel des demandes de l’entreprise qui a introduit la requête et des faits du dossier, le juge donne la parole à l’entreprise requérante (ou à son avocat) puis à la personne publique et, le cas échéant, à l’entreprise signataire du marché. Si nécessaire, le juge peut redonner la parole à l’entreprise requérante et un échange, parfois informel, peut s’instaurer entre les parties et le juge. Le cas échéant, à l’issue de l’audience, le juge peut inciter les parties à produire des observations écrites (on parle de « note en délibéré ») sur un point du dossier qui a particulièrement retenu son attention et qui mérite, selon lui, quelques éclaircissements ou précisions. Par ailleurs, l’instruction du référé contractuel n’étant clôturée qu’à l’issue de l’audience, une partie peut très bien soulever au cours de l’audience un nouveau moyen. Toutefois, pour que le juge puisse prendre en compte ce nouveau moyen, il est nécessaire qu’il soit repris dans un mémoire déposé lors de l’audience. Si le juge l’estime nécessaire, il peut laisser quelques jours aux autres parties pour présenter des observations sur ce nouveau moyen, voir fixer une nouvelle audience.

Dans quel délai la décision est-elle rendue ?

Dans le cadre d’un référé contractuel, le juge des référés doit rendre sa décision dans un délai d’1 mois à compter de la réception de la requête. En principe, l’ordonnance est notifiée aux parties dans les jours qui suivent l’audience.

Quelles sont les voies recours ouvertes contre l’ordonnance rendue par le juge des référés ?

L’ordonnance rendue par le juge des référés ne peut faire l’objet d’un appel, mais seulement d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Un tel pourvoi doit être introduit dans un délai de 15 jours suivant la notification de l’ordonnance. Un pourvoi en cassation ne peut être déposé que par un avocat au Conseil (pour consulter la liste des avocats au Conseil). Pour l’entreprise qui n’aurait pas obtenu satisfaction devant le juge du référé contractuel, l’intérêt d’introduire un pourvoi en cassation ne sera pas forcément évident. En effet, le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du marché en cause ; pour les marchés dont la durée est inférieure ou égale à un an, il est donc probable que le marché soit achevé avant que le Conseil d’Etat n’ait rendu sa décision.