Jacques Barrailler : « Je rêve que tous les acheteurs aient une calculette sur leur bureau »

  • 18/03/2010
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Le 17 mars, le service des achats de l’Etat (SAE) a soufflé sa première bougie. L’occasion de faire un tour d’horizon avec son patron Jacques Barrailler, qu’il s’agisse de l’organisation choisie, des gisements de gains avec les programmes Calypso ou de la polémique lancée par certaines PME sur la massification des commandes de la maison France.

« Je rêve que tous les acheteurs aient une calculette sur leur bureau ! ». Dans son quartier général, à quelques encablures de Bercy, Jacques Barrailler, directeur du service des achats de l’Etat, toujours aussi flegmatique, explique qu’il s’agit de sa « plaisanterie de la semaine ». La boutade résume pourtant l’état d’esprit du SAE, un an après sa naissance. Mettre l’économique au cœur des préoccupations de tous constitue en effet un des cinq piliers fondateurs de son action. Personne ne l’a oublié, l’Etat escompte économiser un milliard d’euros, peut-être davantage, sur ses achats courants d’ici 2012. « Cela en fait un des principaux chantiers de la RGPP », dixit Eric Woerth, ministre du Budget. Pour parvenir à ses fins, le SAE table évidemment sur les nouvelles stratégies et leurs plans d’actions déployés progressivement dans toutes les administrations et pour tous les segments. « Les ministères doivent analyser la cartographie de leurs dépenses, identifier les projets. Il y a un gros travail de planification et de suivi, j’insiste beaucoup là-dessus », enchaîne Jacques Barrailler. La déclinaison sera aussi locale puisque le meccano de l’organisation des achats de l’Etat est presque achevé. Il s’agit, en quelque sorte, d’un pentagone avec l’équipe du SAE (50 personnes actuellement sur 60 à terme) ;  le comité des achats, cénacle de tous les représentants des ministères, qui se réunit mensuellement ; le conseil d’orientation, sorte de conseil des sages présidé par Noël de Saint-Pulgent (1), qui a tenu sa première séance au début février ; les responsables ministériels des achats (RMA), relais et animateurs dans leur propre administration ; et, last but not least, les chefs de mission régionale achat (CRMA), connus pour la très grande majorité d’entre eux. Placés sous l’autorité des préfets de région, ils serviront de courroie de transmission et de catalyseurs. Quel est leur profil ? « Tous les CRMA sont des fonctionnaires d’Etat, avec un bon réseau et une solide expérience de la fonction publique.  Ils seront pour nous l’opportunité de mieux faire connaître les marchés nationaux, de diffuser l’information et de mettre de l’huile dans les rouages. Car le lien est parfois très lâche », admet volontiers Jacques Barrailler,  « leur mission sera de recueillir l’expression des besoins, de suivre l’exécution des marchés, d’être opérateur en estimant ce qui est mutualisable. Le nettoyage est, par exemple, un sujet régional par excellence. »

Les bonnes recettes de Calypso

Jacques Barrailler compte aussi sur la campagne Calypso pour identifier les gisements d’économies à court terme et insuffler une vision économique à tous les acteurs. Comme la nymphe qui aida Ulysse à poursuivre son odyssée, le programme est chargé d’indiquer le chemin à suivre. La première vague, réalisée de septembre à décembre 2009, a porté sur dix familles d’achat  : impression, logiciels, serveurs, réseaux, services informatiques, consommables informatiques, aménagement de locaux, formation, gardiennage et surveillance, et assurances (2). Pour chaque segment, un « équipage », groupe de travail interministériel, a analysé l’existant et proposé des recommandations sur la base de solutions qui ont déjà fait leurs preuves. « Le travail de l’équipage n’est pas forcément de faire une étude de marché approfondie, mais de trouver les bonnes recettes, de saisir les opportunités. Il faut éviter de faire des choses compliquées. Les achats ne sont pas forcément quelque chose de compliqué…  même dans le secteur public », commente, avec un brin de malice, Jacques Barrailler. Ainsi dans le secteur du gardiennage et de la surveillance, l’Education nationale a mené, sur trois sites, une action d’ajustement du besoin avec l’UGAP. Résultat : 296 000 euros de ristourne à la clef, soit 10% du montant du marché. Au total, les gains potentiels se montent en moyenne à 13% pour les catégories étudiées, soit un total de 335 millions sur un périmètre de 2568 millions. Des actions sont engagées pour environ 250 millions. « On ne peut pas tout faire en même temps », concède le patron du SAE. Une deuxième vague a démarré en mars, également sur dix familles dont trois concernent les prestations immobilières.  Et une troisième vague est prévue pour septembre. Jacques Barrailler se dit « ravi du travail accompli et du bon état d’esprit » qui règne au sein de Calypso, accélérateur de réseautage. Les grands opérateurs de l’Etat devraient d’ailleurs rejoindre le club. Les bonnes affaires réalisées par la maison France seront connues grâce au système Impact, développé par la Défense et mis à disposition de tous les ministères (3). LE SAE espère ainsi disposer de données sur un millier de dossiers.

L’accès des PME aux commandes de l’Etat

S’il ravira les contribuables, le travail mené par l’Etat ne fait pas forcément que des heureux. En pleine campagne électorale pour les conseils régionaux, certaines PME ne se sont pas privées de vider leur sac sur la place publique. La CGPME s’est fendue d’un communiqué alarmiste dans lequel elle estime que la massification des commandes de l’Etat s’avère, dans la pratique, « catastrophique » pour les petites entreprises. Même son de cloche à la Fédération des équipements de bureau (4). Plusieurs parlementaires, toutes tendances confondues, ont relayé l’angoisse de ces patrons. Le député UMP du Var, Philippe Vitel, a laissé entendre que la politique du SAE avait comme conséquence de mettre l’UGAP en situation de position dominante, tandis que son collègue socialiste du Finistère, Jean-Jacques Urvoas a demandé à Eric Woerth ce qu’il entend faire pour corriger les effets pervers de la mutualisation, laquelle aboutit à écarter les PME incapables de livrer de grands volumes sur tout le territoire. Alors, l’acheteur public peut-il assumer le double discours de la rationalisation et de l’accès des PME à la commande publique ?  « Même une entreprise privée cherche à se comporter comme une entité socialement responsable et prend en compte le tissu économique local. C’est le genre de problématiques qui est classique », pondère Jacques Barrailler qui chercher aussi à relativiser la polémique.   Le souci existe sans doute, cependant il ne concerne qu’un « petit nombre de segments, comme les fournitures de bureau ou les solutions d’impression, cas pour lequel les distributeurs sont court-circuités par des fabricants. » Et ce n’est pas le rôle de l’Etat de réfléchir aux modèles économiques des entreprises. « En outre, les PME peuvent très bien répondre en groupement, ce qu’elles font déjà. Mais on va poursuivre le dialogue avec les fédérations professionnelles, les chambres consulaires, promet Jacques Barrailler.  « Il y a des PME qui savent tirer leur épingle du jeu comme l’entreprise LNA (5), fournisseur des PC des ministères financiers. Ce prestataire a su proposer un service complet, comprenant l’acquisition du matériel, la mastérisation et l’acheminement. Leur service intégré répond à plusieurs besoins et il est rendu avec une flexibilité et une souplesse plus importante qu’un grand groupe. »

(1) Le conseil d’orientation comprend 16 membres : parlementaires, membres du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes, représentants des principaux ministères (Economie, Budget, Défense, Intérieur, Développement durable), représentants du monde de l’entreprise et de l’insertion. Voir l’arrêté du 21 janvier 2010 (publié le 26 janvier au JO)  Arrêté du 21 janvier 2010 portant nomination au conseil d’orientation du service des achats de l’Eta (6.67 kB)
(2) Lire notre article : l'Etat passe ses achats d'assurances au peigne fin
(3) Mesure de la performance : le double impact de la Défense
(4) Bureautique : quand la massification fait polémique (5) Créée en 1995, LNA, société de 40 salariés, annonce un CA de 60 millions d’euros en 2009.