La commande publique en mode SAV … ou plus ?

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"Le moyen le plus fiable de prédire l'avenir est de le créer"
Abraham Lincoln


Les mois que nous venons de traverser devraient inciter à la plus grande prudence, en matière de prédiction. Mais l’actualité, et quelques indices, permettent de dessiner quelques tendances. 2022 pourrait être placée sous le signe du "SAV" de cette nouvelle commande publique, responsable, durable, sociale, et soucieuse de préserver le tissu économique, etc... Ce serait logique, et attendu des acheteurs publics, toujours demandeurs d'une "pause" dans la production de normes.
Mais dès que le "politique" s’en mêle, les cartes sont brouillées…
 

Les indices institutionnels

L’Observatoire économique de la commande publique (OECP) s’est réuni en plénière ce mercredi 12 octobre. Globalement, il dresse un bilan "moins pire que prévu" des années 2020 et 2021 (lire "L'Observatoire économique de la commande publique sur tous les fronts"). Il confirme : la commande publique reprend. A vrai dire, elle a même plutôt bien encaissé la crise sanitaire (relire "Commande publique : c’est donc bien reparti !" et "Bilan de santé financière des collectivités en 2021 : reprise des achats … et besoin de financement"). Les travaux à venir de l’OECP révèlent néanmoins les "irritants" sur lesquels la Direction des affaires juridiques souhaite se pencher.

D’abord, renforcer l’accès des PME à la commande publique : « Le chiffre 2021 de l’accès des PME à la commande publique n’est pas très bon, en dessous de 30 % : on revient au niveau de 2017 » constate l’OECP. Ensuite, les délais de paiement : si les récentes études montrent une amélioration, notamment de la part des collectivités territoriales (relire "Délais de paiement : «les résultats remarquables» des acheteurs publics"), elle aimerait en savoir un peu plus sur les "délais de paiement cachés". « Mythe ou réalités ? » , s'interroge la DAJ. Ce sera « Une étude attendue par tout le monde, car on a jamais vraiment cherché les infos pratiques et de terrain ». En ligne de mire, ce phénomène de "factures réinitialisées plusieurs fois". Pour l’OECP, il réside là « un ressenti à vérifier ».

Ensuite, les clauses sociales et environnementales, le gros chantier commande publique en cours. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) annonce la publication prochaine du 3e Plan national d’achat durable (PNAD) 2021 -2025 « On est dans la phase finale ! ». Et fin 2021, le Guide sur les aspects sociaux de la commande publique, refondu, traitera de "nouvelles thématiques" comme l’égalité Femme/ Homme. Il abordera l’insertion des personnes éloignées de l’emploi et plus particulièrement son élargissement à des secteurs plus variés, notamment dans le domaine de l’économie circulaire (lire aussi "Où en est-on avec les clauses d’insertion professionnelle ?").

Enfin, c’est la loi "AGEC" (Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire) qui bénéficiera de nouvelles fiches explicatives. Le CGDD annonce notamment l’actualisation de la "notice explicative" de son décret d'application n° 2021-254 du 9 mars 2021 relatif à l'obligation d'acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées (relire "Loi AGEC : une « notice explicative » du décret d’application « Recyclage et Réemploi »"). Il s’agit de répondre aux questions relatives aux codes CPV, aux labels et garanties, à la location et le redéploiement des produits et, enfin, sur « la compréhension des pourcentages ».
 

Les indices politiques

Las ! La campagne électorale marque aussi de son empreinte l’actualité commande publique. Même si elle paraît bien éloignée de la vie courante de l’acheteur public. Un peu déconnectée des réalités ... et beaucoup sous le prisme grossissant des médias. 

L’achat local, certes, continue de focaliser les "politiques (relire "Masques achetés à l’étranger : « Que chacun prenne ses responsabilités ! »"). Mais récemment, c’est la préférence communautaire (qui ne serait pas assurée) qui les tourmente. Notons ainsi cette poussée de colère de Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité : « On en a assez de tendre l’autre joue quand certains se comportent de façon déloyale avec nous (…) en matière de réciprocité dans les marchés publics, aujourd’hui on est dans un système complètement dingue où les européens ouvrent leurs marchés publics aux entreprises de tous les pays du monde sans s’assurer que ces pays ouvrent leurs propres marchés publics à nos entreprises » (lire "Clause de réciprocité : « nous allons changer la donne avec un outil juridique très clair ").
Il faudrait donc "changer la donne" (SIC). C’est-à-dire revoir ce que prévoit déjà le code de la commande publique (relire "La préférence européenne : ce que permet le code de la commande publique") ?
Ou alors... ce n’était qu’une façon de s’aligner, sans le dire, sur Arnaud Montebourg, qui, d'inspiration polonaise, s’en prend directement à l’Europe : « 116 milliards d’euros chaque année ne partent pas pour nos entreprises. Instaurer une clause de préférence locale, c’est fondamental car, aujourd’hui, le droit de la commande publique est tout à fait ouvert. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens. »
 

 Les indices "terrain"

Finalement, ce sont sans doute, et encore une fois, "les indices professionnels", " issus du terrain, qui donnent la bonne température de l’activité achat public... et de ce qu'il reste à ajuster. 

D’abord, dans la mise en œuvre d’un achat public durable, avec toutes les difficultés que sa mise en place peut comporter (lire "Achat durable : Lancer un marché paille distinct pour une grosse construction en bois"). Mais aussi les risques, et notamment, cette semaine, une mauvaise utilisation des critères environnementaux (lire "Un syndicat mixte se casse les dents sur le critère environnemental" et relire "Critères RSE et lien avec l’objet du marché devant le juge judiciaire").

Ajuster, en se posant des questions sur le bon usage des pénalités de retard, alors que les nouveaux CCAG poussent à les plafonner. Selon Abdoul Karim Diallo, l'acheteur doit faire un choix entre déroger à la clause de plafonnement des pénalités ou ne pas déroger. « Un choix au cas par cas, lors de la préparation du contrat et également au moment, voire après, l’exécution du contrat » (lire "Comment faire des pénalités de retard un outil de satisfaction du besoin de l'acheteur").

Et oui, sur le terrain, c’est toujours un peu plus délicat de "bien gérer" son achat public. Un peu comme la sempiternelle maxime sur les maires, ces élus de proximité, "fantassins de la République," mais aussi "à portée de baffes": les acheteurs sont eux, "à portée permanente de leurs fournisseurs"…
 
Jean-Marc Joannès