Achat public : quelles priorités ?

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«Ne pas choisir, c'est encore choisir.»
Jean-Paul Sartre


Soyons honnêtes : l’année dernière, c’était un brin goguenards que nous observions nos amis britanniques empêtrés dans les conséquences du Brexit. Pénurie de chauffeurs de véhicules de transport, jusqu'à appeler à l’armée pour y faire répondre !
Oui mais, la pénurie, c’est désormais l’affaire de tous. Et cela risque de durer. achatpublic.info y consacre donc un nouveau dossier : "Sécurisation des approvisionnements : une exigence toujours plus forte".
 

"Premiers de cordée"

Le problème, c’est que la pénurie concerne, et pour d’autres raisons, toute l’Europe et au-delà. Avec des conséquences surprenantes, dans des domaines très divers.
En France, on s’inquiète désormais de la pénurie de chauffeurs de bus et autocars. A tel point que « la rentrée scolaire de septembre risque d’être catastrophique s’agissant du transport scolaire ». La Fédération Nationale du Transport de Voyageurs (FNTV) redoute une "panne" du transport scolaire dans beaucoup de régions. Cause principale : la nécessaire revalorisation de ces métiers, à ranger eux aussi dans la catégorie "premiers de cordée".
"Boite à outils", "couteau suisse", "levier"(tout ce que vous voulez, en fait…) la commande publique est à nouveau sollicitée : « c’est donc, pour le moment, dans l’évolution des contrats publics de transport passés entre les collectivités et les entreprises d’autocars, que le secteur espère son salut ». Un jeu de billard à trois bandes : en jouant sur les allotissements mixtes, l’allongement des durées de contrat et la pondération du critère prix, notamment, on cherche à améliorer le modèle économique du transport scolaire, et donc la possibilité de rendre le métier de conducteur "plus attractif" (lire "En crise, le transport scolaire examine ses contrats publics").
 

"Ruissellement"

Un second élément à prendre en compte, ce sont les impacts de la pénurie et des tensions sur les approvisionnements (et donc les prix) sur le "verdissement" de l’achat public. Là aussi, il pourrait y avoir ruissellement… mais au mauvais sens du terme.

D’une part, ce serait certainement très exagéré de considérer que l’abandon du critère unique du prix relève du "quoi qu’il en coûte". Il n’empêche : l’achat environnemental, et son proche parent l’achat local, auront un coût. C'est même admis : l’instruction n° DGOS/PF/PHARE/2021/254 du 15 décembre 2021 relative à la sécurisation du processus d’achat de fournitures et équipements critiques (relire "Achat hospitalier de fournitures et équipements critiques : «Mais achetez français !»") explqie que l' efficacité de son dispositif repose sur la capacité à faire émerger des offres industrielles qui soient viables auprès des acheteurs hospitaliers finaux « bien qu’à un prix supérieur aux offres non européennes». Plus récemment, le Résah, dans son guide pour un achat durable, explique que « Le changement de philosophie d’achat, en raison de ses implications financières, logistiques et organisationnelles, doit être soutenu sans réserve par la direction générale » (lire "Le Resah se penche sur l’achat responsable").

D’autre part, la sécurisation des approvisionnements est donc devenue la priorité des priorités (c’est curieux : peut-il y avoir "plusieurs" priorités, philosophiquement parlant ?). Elle ne concerne plus, comme ce fut le cas il y a deux ans, la production des masques et autres équipements de santé (relire "Tensions des approvisionnements et dépendance : les leçons de la crise sanitaire ") : la pénurie et la hausse des prix concernent de larges pans de l’économie. La "supply chain" est mise à rude épreuve… comme le quotidien des acheteurs. Sont-ils donc promus, de "seconde ligne" à "premiers de cordée" (relire aussi "La nouvelle devise de l’acheteur public : « faire face !")?

 
Cap sur le PNAD !

L’achat durable, dans ses composantes environnementale et sociale, parviendra-t-il à respecter son calendrier (2026 au plus tard, si l’on s’en tient à l’article 35 de la loi "Climat et résilience") ? Pour le Gouvernement, la ligne est claire : "il faut y aller !). Il a fixé la feuille de route avec le Plan National pour des Achats Durables (PNAD 2022- 2025), qu’il décrit comme « un signal pour les acheteurs » (relire "Le PNAD 2022/2025 : "un plan d'ambition ; un signal pour les acheteurs »"). Facilitateurs, formation, mise en réseaux, évaluation… tout est bon, selon le PNAD, pour atteindre les objectifs et faciliter la mise en œuvre de la loi "Climat et résilience".

Un PNAD qui commence a être "évalué". Me Kevin Holterbach (avocat au Barreau de Lille) reconnaît avoir eu un a priori : « à coup sûr, encore du "droit mou" ! ». A priori qu’il a écarté après analyse : « Au bout du compte, que l’on soit un acheteur novice ou expérimenté, on trouve dans ce PNAD de nombreuses pistes de réflexion intéressantes, qui ne demandent qu’à être mises en œuvre.» (lire "Que penser du nouveau PNAD ?").
 

Le social, parent pauvre de l’achat durable ?

Une appréciation positive, qui n’est pas pour autant un blanc-seing : « Si le nouveau PNAD pose les bonnes questions, les réponses qu’il apporte souffrent parfois d’une inadaptation soulignant, en creux, le décalage entre la pratique de la commande publique telle que vue depuis les ministères, et la réalité du terrain ».
Et pour revenir à la question "philosophique" de l'approche plurielle du concept de priorité, il lui semble « toutefois regrettable d’avoir introduit un tel décalage entre les considérations sociales et environnementales (rappelons que pour ces dernières, l’objectif 2025 est de 100% de marchés publics intégrant une telle considération) ». Certains organismess regrettent la faiblesse du volet social de la "nouvelle commande publique" (relire "« 10 milliards d’euros de commande publique consacrée à l’inclusion ! »") ; certains opérateurs se lancent immédiatement (relire "L’ADEME généralise la clause d’insertion"). 

Les considérations sociales, parent pauvre du développement durable ?