L’achat durable à tout prix... et au bon moment ?

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"Une once d'action vaut une bonne théorie"
Friedrich Engels



En journalisme, il existe une sorte de règle d’or dont le respect assure, en principe, le succès auprès du lectorat : "le bon sujet, au bon moment, avec les bons interlocuteurs". Le verdissement de la commande publique et l’achat public responsable entrent-ils dans les clous de cette règle non écrite ? Pas sûr….
 

Le prix perturbe la dynamique

Loi "Agec" (lire notre dossier dédié), loi "Climat et résilience" (lire notre dossier dédié) et un tout nouveau plan national des achats durables (relire "Le PNAD 2022/2025 : "un plan d'ambition ; un signal pour les acheteurs")… sur le papier, tout est prêt. Y compris les messages "engageants" distillés auprès des acheteurs publics (relire " [Interview] Olivia Grégoire : " L'ambition est forte, mais les acheteurs publics sont prêts"). Et ils semblent porter leurs fruits (lire "Développement durable : faut-il un référent pour les achats ?").
Pourtant, à la question « ne pensez-vous pas que le verdissement de la commande publique risque d’être contrarié par l’actualité de la commande publique ?», Thomas Lesueur, Commissaire général au développement durable, ne peut cacher qu’il y a là une question de tempo (revisionner "achatpublic invite… Thomas Lesueur").
 

NUP : "Nouvelle Union sur le Prix"?

Et depuis, les choses de s’arrangent pas. La hausse des prix génère même un front commun entre acheteurs publics et prestataires pour que les règles de la révision des prix dans les contrats publics soient assouplies. Notons d’abord qu’il y là un signe encourageant pour ceux qui considèrent qu’un bon achat est toujours un achat réalisé en bonne intelligence, des deux côtés du contrat. Mais là, il y a véritablement "NUPS" (pour "Nouvelle Union entre prestataires et services" ?)…

D’un côté, les fédérations professionnelles tirent la sonnette d’alarme (relire "Crise des matériaux : les archis plus qu’inquiets" et "Hausse des prix : la tension monte dans le BTP") ; de l’autre, et c'est assez nouveau, les plus grandes associations d’élus en viennent à demander directement à Bercy plus de souplesse. Elles font savoir au ministre Bruno Le Maire que de nombreux acheteurs, « y compris de grandes centrales d’achat », n’ont d’autre choix que de recourir à la passation d’avenants permettant de notifier des prix nouveaux temporaires tenant compte des hausses réellement constatées, et dûment justifiées, incluant une baisse de marge des fournisseurs, et dont la durée d’application limitée est assortie d’une clause de réexamen et/ou de retour à meilleure fortune.


Pour eux, il s’agit non pas de modifier l'équilibre économique du marché en faveur du titulaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le marché initial, « mais au contraire de rétablir cet équilibre initial » (...) le temps, le cas échéant, d’organiser la relance d’un nouveau marché. Avec même une petite pique : "pourquoi ne pourrait-on pas le faire en France, alors qu’en Allemagne, la révision des prix, cela se pratique" (lire "Prix dans les marchés publics : les associations d'élus écrivent à Bruno Le Maire" et "Hausse des prix : les intercos inquiètes pour l’exécution de leurs contrats publics" - relire aussi "Eau : la FNCCR très inquiète").

Interrogée sur ces attentes, la DAJ garde le cap. Elle invite les acheteurs à utiliser les "outils du code " et à rester dans le cadre de la jurisprudence. Elle doute de légalité d'une "clause de révision sèche". Ce qui ne l'empêche pas d'être au travail sur ces questions et de se pencher, notamment, sur l'exemple venu d'outre-Rhin (revisionner "achatpublic invite… Laure Bédier").

On peut donc effectivement redouter que la question de la hausse des prix nuise, par l'ampleur des attentes immédiates, au développement de l'achat durable. Sauf si le juge s'en mêle ?
 

Le juge administratif en vigilance verte

Inculquer l’achat durable auprès des acheteurs, persuader les entreprises qu’une démarche RSE leur est profitable, c’est nécessaire. Mais on doit aussi surveiller de près la réponse du juge administratif. Il ne s’agit pas d'envisager le procès éculé d'un juge lié par une lecture rigide des textes et ainsi agiter le spectre du gouvernement des juges. Mais plutôt de compter sur lui pour contrer la recherche d’effets d’aubaine (un effet d'aubaine allégué qui commence à alimenter des échanges, parfois rugueux : lire "Hausse des prix : des échanges à fleurets, pas vraiment mouchetés, entre l’AMF et le BTP"). Et aussi observer comment il va manier et articuler le droit de la commande publique avec les nouveaux principes et commandements liés à l’achat durable.

La semaine dernière, nous avons relaté une première limite posée par un tribunal administratif. Le juge a écarté le principe allégué d’une sorte de "bonus environnemental de droit " : « Le fait que la société arrivée première concourt moins qu’une autre au respect de l’environnement n’implique pas qu’elle doit automatiquement être écartée au profit de celle qui y concourt le plus » (relire "Accord-cadre à bons de commande sans maximum et mieux disant environnemental à Cholet").

S’agissant de la révision des prix, un arrêt de la CAA de Doua i montre la vigilance du juge, lequel se livre à une analyse in concreto, soulignant la modification des prix qui ne représente que 3,74 à 4,77 % du montant total des travaux exécutés. « Ces montants ne sont pas de nature à avoir entraîné un bouleversement de l'économie du marché » (relire "On ne montre pas une formule de révision de l’index !").

Autre exemple de limite posée par le juge administratif : selon le Tribunal administratif de Nantes, si la loi "AGEC offre un certain degré de souplesse, elle n'est pas une condition de recours à la procédure négociée : le recours à la négociation reste limité aux conditions fixées à l'article R. 2124-3 du code de la commande publique (lire " Non, la loi AGEC n'est pas une condition de recours à la procédure négociée!")

Dans une toute autre affaire, la CAA de Toulouse en vient à rappeler que, s’agissant de la mise en œuvre du critère de la valeur technique, l’adoption d'une charte de l'achat durable n’a pas de valeur normative. Ainsi « la métropole de Toulouse n'était pas tenue de prévoir des critères environnementaux dans l'appréciation des offres » (lire "On ne frappe pas avec du droit mou!").


Finalement, c’est peut-être bien en contrant des tentatives de recherche d’effet d’aubaine que le juge administratif, à sa façon, garantira l’accès raisonnable à un achat public durable…