L’achat public à l’épreuve de la réalité

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« La fiction est le mensonge par lequel nous disons la vérité »
Albert Camus



Le principe de réalité veut que l’on soit en mesure de prendre en compte les exigences du monde réel, et les conséquences de ses actes.
Laure Bédier ne nie pas qu’une partie de la doctrine et des acheteurs publics contestent, dans les circonstances actuelles, le respect "à la lettre" du principe d’intangibilité du prix. Avec un repproche : s'arc-bouter sur ce principe, c'est « faire du juridisme pour faire du juridisme » (lire "Hausse des prix : les 10 propositions chocs du Cabinet Charrel"). Elle avait laissé entrevoir (revoir "achatpublic invite… Laure Bédier") une consultation du Conseil d'Etat sur la pertinence de respecter à la lettre un principe dégagé par sa jurisprudence… remontant aux années 50 (9 mars 1951 " Didonna" et 15 février 1957 "Etablissement Dickson").
C’est savoir se confronter au réel, en tout cas à celui "ressenti " par les acheteurs publics (Tiens donc… Y aurait t-il, comme en matière de température, des "difficultés réelles" et des "difficultés ressenties" en matière d’achat public ? A creuser ! ). Cela étant, le "réel juridique", lui est bien, pour l’heure, intangible.
 

De la réalité …

S’agissant de l’impact de la hausse des prix sur les contrats en cours, cette semaine, Marie-Cécile Haize et Inès Fresko nous ramènent à cette réalité juridique : elles dressent une cartographie des avenants, en distinguant ceux qui sont "sécurisés" de ceux qu'elles considèrent comme "audacieux et risqués"... voire "interdits"(lire [Tribune] « Hausse des prix et avenants : pour le meilleur et pour le pire") le pire étant, selon les deux avocates, qu’un avenant sur les prix vienne « en réalité ancrer une solution illégale ». Elles appellent ainsi à la plus grande prudence sur le recours à ces avenants "audacieux", pris non pas pour modifier les conditions d’exécution du marché (délais, matériau) mais pour venir, indirectement, modifier le prix. « Ils sont, par conséquent, bien plus risqués car ils ne doivent pas être utilisés pour modifier le prix, intangible, d’un contrat public par voie d’habillage».
Et ne parlons pas des avenants qui emporteraient "frontalement" un changement direct du prix. De quoi déclencher les plus grandes alertes des deux avocates, et refroidir les ardeurs des acheteurs tentés.
Décidemment, on a hâte de lire l’avis du Conseil d’Etat, si tant est qu’il soit rendu public (c’est, aussi, un appel…).
 

… à la fiction ?

Se confronter à la réalité, certes, mais ne pas verser dans la fiction. On pense à l’interdiction formelle et absolue de contracter ou de poursuivre des relations contractuelles avec des opérateurs liés à la Fédération de Russie. Cela ressemble bien à une nouvelle tentative traduction juridique d’une injonction politique (lire "L’acheteur public à la recherche des opérateurs russes" et relire "Une FAQ (prudente) pour l’application des sanctions contre la Russie")
Laure Bédier a également reconnu que la mise en œuvre de cette interdiction occupe particulièrement les services de la DAJ.
Les acheteurs publics sont appelés à déceler les opérateurs "russes", et à les écarter de leurs marchés publics et concessions. Les avocats consultés par la rédaction soulignent la difficulté de la mise en œuvre de la mesure : l’identification d’un opérateur "russe" n’est pas aisée, car la nationalité d’une entreprise relève de critères variables et, en tout cas, à maitriser. Sans compter le statut des filiales. Sauf à demander de sdéclarations sur l’honneur, ou à faire des recherches sur Infogreffe ou auprès d’opérateurs spécialisés dans ce domaine…. Là, on s’éloigne de la réalité et des contraintes quotidiennes des praticiens…
 

Extrapolation

Cela étant, rien n’empêche l’extrapolation. C’est en ce sens que cette semaine, la rédaction s’est penchée sur le projet de loi "Procurement Bill", actuellement sur la table de la Chambre des Lords et par lequel le Royaume-Uni étudie une refonte entière de son droit de la commande publique. De quoi a priori faire rêver de nombreux souverainistes et autres thuriféraires d'un achat local assumé.
L 'objectif de la réforme est « d'accélérer et de simplifier les processus de passation des marchés, de se concentrer sur l'optimisation des ressources dans les marchés publics, de créer des opportunités pour les petites entreprises et de soutenir l'innovation dans la prestation des services publics ». Et d'« inscrire dans la loi les principes d'approvisionnement – optimisation des ressources, bien public, transparence, intégrité, efficacité, traitement équitable des fournisseurs et non-discrimination ». Mais aussi de « Simplifier autant que possible la législation actuelle en un cadre réglementaire unique et rationalisé ».
A lire ("The Procurement Bill : la commande publique britannique quitte l’Union Européenne) ! Car au final, sauf quelques dispositions de « flexibilisation de la commande publique », tout cela ressemble bien aux objectifs communautaires… Le rêve de certains serait-il déjà une réalité ?
 

Jouer la carte des TCP

C’est sans conteste le principe de réalité qui préside l'édition 2022 des Trophées de la commande publique, qui vient de s'ouvrir (lire "Découvrez les nouveaux Trophées de la commande publique !"). Une 15e édition revisitée, pour tenir compte des évolutions de l'achatpublic.
« Plus d’achat public performant qui ne soit durable ; plus d’achat durable qui ne soit performant ». C’est de ce constat, dressé à l’aune de la 14e édition des "TCP" (relire "Trophées de la commande publique 2021 : 7 lauréats pour une commande publique en mouvement") qu’achatpublic et son partenaire, le ministère la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ont revisité le concours, ouvert à toutes les entités soumises au code de la commande publique et qui ont à cœur de valoriser leurs pratiques et politiques achat. « Objectif : inspirer et être au rendez-vous fixé par la loi Climat & Résilience, avec 100 % des contrats de la commande publique intégrant des considérations environnementales d'ici 2026. »

Là encore, c’est exemplarité et la duplicabilité des pratiques, et donc du "réel" qui sont mises en avant, en droite ligne avec les objectifs de partage qui sous-tendent le Plan national des achats durables (relire "Le PNAD 2022/2025 : "un plan d'ambition ; un signal pour les acheteurs" et "Que penser du nouveau PNAD ?" - revoir aussi "achatpublic invite… Thomas Lesueur").

Et même… osons le mot assez à la mode : des TCP 2022 encore plus "collaboratifs" : non seulement les candidatures sont facilitées, mais encore, tous les acheteurs peuvent participer au vote, en intégrant, en quelques clics, "la communauté des acheteurs".


Candidater, évaluer, noter, sélectionner tout en récompensant et en s’entraidant… une vision idyllique de l‘achat public matérialisée par les TCP ?