Corruption : la transparence contre l’iceberg

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« L’œil, en tant que création de la lumière, crée tout ce que la lumière elle-même peut créer »
Goethe



Petite conversation captée dans les locaux d’achatpublic.info cette semaine :
- « On va faire une petite opération de mise à jour de la messagerie demain. Mais ne t’inquiète pas : pour toi, cela va être transparent ».
Un de nos fiers journalistes, justement, s’inquiète :
- « Comment ça ,"transparent" ? Je vais devoir assister à toute l’opération et être impliqué dans tes manips ? »
- « Non, bien au contraire : tu ne verras rien ! Et tu n’auras rien à faire ! »

Et oui, le terme même de transparence ne résonne pas de la même façon … Etre transparent, c’est à la fois tout dire et tout faire "à découvert" ... ou au contraire, faire de façon à gêner le moins de monde possible ; quasiment, se rendre invisible…
C’est l’un des écueils de la quête de transparence dans la commande publique.
 

En quête d’absolu ?

Le premier écueil, c’est qu’en théorie, la transparence ne peut être qu’absolue. On peut s'inquiéter, notamment, de la constitution du répertoire des lobbys. Le 1er juillet prochain, ce répertoire des "groupes d'intérêts" devra être étendu au "local". Lors de la présentation du rapport annuel de la Haute autorité pour la transparence dans la vie publique (HATVP) son président, Didier Migaud, rappelle la difficulté à établir le répertoire des représentants d’intérêts. Et propose d’en simplifier la déclaration, de simplifier, « pour les représentants d’intérêts eux-mêmes comme pour la Haute Autorité », l’identification des entités devant s’inscrire au registre. Mais aussi d’adapter le dispositif d’encadrement aux relations particulières entretenues par les collectivités territoriales avec les entités satellites (relire "Transparence de la vie publique : c’est du côté du répertoire des lobbys que cela se tend").

Surtout, dans un rapport de novembre 2021, la HATVP lançait une alerte : l’extension du répertoire à l’échelon local est problématique. L’inquiétude prend source dans les « spécificités du monde local » : « la densité et la continuité des relations entre les élus et les acteurs locaux plus élevées qu’au niveau national ; le développement croissant les entreprises publiques locales (EPL) et une action des collectivités en matière sociale, culturelle ou sportive largement prolongée par le tissu associatif ». Parmi les risques identifiés par cette extension : « entraîner une lisibilité moindre des informations déclarées sur le registre, augmenté d’une masse nouvelle d’informations aux enjeux parfois limités, sans réel intérêt pour les citoyens » (relire "Répertoire des lobbys : l’extension locale en juillet 2022 inquiète la Haute autorité à la transparence de la vie publique").

Une des solutions donc proposées par l’autorité : « rehausser les seuils d’application de l’extension à 100 000 habitants pour les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, contre 20 000 actuellement, afin de rendre plus lisible le répertoire ».
Et donc, accepter d’en faire moins pour plus d’efficacité ?
 

Ergonomie de la transparence

Question efficacité, la transparence ne s’acquiert qu’après le respect de certaines exigences "structurelles". La Cour des comptes vient de rappeler que la séparation des responsabilités est essentielle entre la vérification du service fait, la demande de mise en paiement, l’autorisation de mise en paiement et la mise en paiement effective, afin de prévenir toute atteinte à la probité (lire "Le contrôle de l’achat ne peut se faire sans une séparation des responsabilités").

Un second écueil à surmonter pour une réelle politique de transparence, c’est l'"ergonomie". Nous avons relevé un rapport d’observations de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes qui constate que les exigences posées par l’arrêté relatif aux données essentielles sont, certes, respectées par la communauté de communes contrôlée. Mais l’accès à ces dernières est compliqué : « Pas moins de dix étapes à franchir pour obtenir un fichier Excel contenant l’ensemble des données » (relire "Publier les données essentielles, c’est bien. Y accéder c’est mieux !")

Autrement dit, la transparence ne consiste pas seulement à rendre publiques des informations, mais encore à en assurer l’accès et l’intelligibilité. Une question d’ergonomie, en somme….
 

Dosage d’informations

L’autre écueil, qui devrait tarauder tout journaliste, c’est de se positionner. "En faire trop" ... au risque de verser avec facilité dans le 'tous pourris !' Autre questionnement : ne parler que des "grosses affaires", et faire l’impasse sur les "petites affaires"... au risque de ne pas envisager la partie immergée de l’iceberg ?

Cette semaine, nous revenons sur l’ "affaire du Puy en Velay". « Personne n’a vu venir le raid lancé par le PNF qui s’est saisi d’une affaire de favoritisme, de corruption et de trafic d’influence… une quarantaine d’enquêteurs perquisitionnent et saisissent pas loin de 700 Téraoctets de données informatiques ». Une descente partie d’enregistrements clandestins « Réalisés durant quatre mois dans différentes pièces de la mairie, et révélant que plusieurs personnes ont œuvré en sous-main pour avantager un dossier » (lire "Favoritisme et corruption : enquête “Flash” du PNF au Puy-en-Velay").

A côté de cela, il y a aussi ces petites affaires qui parfois pourraient faire sourire tellement …"c’est gros" (relire" Passer des marchés dans le dos de sa hiérarchie… Comme une certaine légèreté professionnelle" "et « Là où il y a de la gêne… » : le maire avait des intérêts ou une influence dans les deux entreprises candidates").


Le plus dommageable, dans toutes ces affaires et quelle qu’en soit la portée, c’est qu’elles discréditent l’achat public. Du plus "haut sommet" de l’Etat (relire "Affaire des cabinets conseils : Anticor s’interroge sur McKinsey" ; "Recours aux cabinets de conseil: le regard d'un cabinet français" - et "Tousanticovid : pas du goût d’Anticor" et "Une proposition de loi pour encadrer le recours aux cabinets de conseils")à la plus petite commune (relire "Prise illégale d’intérêt : un bien étrange maire bâtisseur"). Quand les principes élémentaires de transparence sont questionnés, il est facile de voir dans toute la commande publique une somme de grands principes qu’il est aisé, si ce n’est commun, de contourner.

La transparence, exigence et vecteur principal de prévention et de lutte contre la corruption, est de ces outils délicats à manier. Tout en nuance … Mais la quête de probité tolère-t-elle la nuance ?

Des questions auxquelles, entre autres, Farah Zaoui, directrice juridique d’Anticor a répondu (regarder "achatpublic invite… Farah Zaoui"). Elle délivre un message simple, notamment à l'adresse des collectivités territoriales très inquiètes (lire "Prise illégale d’intérêt : les associations d’élus "demandent audience" à Elisabeth Borne") : « la transparence, c’est la meilleure des protections : avec un processus achat transparent, on ne pourra jamais vous attaquer ! »