Achat public ou gestion de la pénurie ?

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« L'abondance est le fruit d'une bonne administration »
Jean Jaurès



Décidemment, chaque café matinal, avalé dans la brume des informations radio, devient plus anxiogène. On y égrène toujours plus de produits soumis à pénurie. Effets de la guerre en Ukraine, de la hausse des prix, de la sécheresse… peu importe en réalité la cause : cela devient assez troublant et interpelle sur les nouvelles conditions de l'achat public.
 

« Fin de l’abondance »

On relève d’abord des glissements sémantiques : on change de "vocabulaire totem". On passe de la "résilience" (pour "faire avec") à "la fin de l’abondance" (pour indiquer "pénurie en vue, à gérer en urgence, SVP").
Prêtons-nous alors à un petit jeu un peu glauque : transposons quelques fondamentaux du métier d’acheteur à la situation. Ne parlons plus "politique achat", mais "gestion de l’attrition" ; ne dressons plus une "cartographie achat", mais une "identification des manques" ; ne définissons plus nos besoins, mais "listons nos ressources" …

Humour noir, certes... Mais rappelons-nous ce raisonnement, que l’on entend de plus en plus, à l’heure où l’achat durable réalise une percée, au moins dans les consciences : « La première constante de l’achat responsable : c’est de quoi ai-je besoin réellement » (relire "Achat durable : un contexte complexe et anxiogène ? La sobriété prend tout son sens !"). On relève aussi cette tendance à désormais prévoir les achats en fonction de leur financement (relire "Les fonds européens : un mode de financement intéressant… mais un procédé rigoureux" et "Aides-territoires : planifier ses marchés en fonction des subventions d’investissement, c’est désormais plus facile !" - consulter aussi notre dossier "Aides pour financer un marché public").
Autre signe : lorsque la Première ministre annonce une aide, les associations d’élus s'en félicitent, mais s’inquiètent des modalités d’attribution (fléchée et/ conditionnée ou non ?) de l’aide financière. Et saisissent l'occasion pour rappeler l’absence de réponse issue de la réglementation de la commande publique (lire "Accueil mitigé du "fonds vert" par les associations d’élus : "et la commande publique assouplie" ?").
L’inquiétude sous-jacente, c’est aussi désormais que l’allocation "par le haut", ou "centralisée", sous forme d’aides, de subventions, de fonds dédiés, ou autres "contrats de Cahors" mettent à mal l'autonomie décisionnelle des acheteurs publics, condamnés à parer au plus pressé, et surtout avec les moyens disponibles, car "octroyés".
 

Obsolescence non programmée ?

C’est sans doute pourquoi France urbaine et la FNCCR insistent sur un nécessaire assouplissement du Code de la commande publique, notamment en matière d’achat d’énergie par les personnes publiques (relire "Energie propre et facile d’accès : France Urbaine et la FNCCR proposent au législateur le "Marché de consommation d’énergies renouvelables"" et "Achat public d’électricité : le recours aux corporate Power Purchase Agreement").
Peut-être seront-elles entendues, avec la présentation cet automne du projet de loi sur "l'accélération des énergies renouvelables" (« pour faire face aux enjeux d'urgence pour lutter contre le réchauffement climatique et diversifier sa production électrique »). Notamment, son article 18 entend clarifier les règles qui s’appliquent entre les producteurs et les fournisseurs quand ils signent des contrats directs d’approvisionnement à long terme...
 

Convocation de l’acheteur public

Dans sa tribune "Vive la rentrée commande publique !", le Professeur Jean-Marc Peyrical nous invite à réfléchir : quel est le rôle d’une collectivité publique ? Satisfaire les besoins de ses administrés-usagers et gérer les services publics et activités d’intérêt général correspondant à ses compétences et/ou intervenir dans l’économie ? Plus encore : « Pourquoi ne pas louer plutôt qu'acheter ?». Avec un prisme actualité très marqué : « Quelle valeur donner à l’efficience ou la performance de l’achat public à un moment où, le plus souvent par manque de dialogue et de compréhension de mondes qui ont encore trop tendance à s’ignorer, les acheteurs et leurs prestataires n’arrivent que trop rarement à tirer les conséquences dans leurs contrats de la fluctuation des coûts des matières premières ?»
Avant la coupure d’août, Me Nicolas Charrel, lui aussi dans une tribune "coup de poing" (relire "Commande publique : le droit à la refondation ?"), s’interroge : « Le droit de la commande publique est-il encore adapté dans ce contexte de crises ? » Il considère que « Les curseurs de la réglementation doivent pouvoir être plus librement modifiés pour tenir compte de la forte évolution de l’achat public qui s’est amplement professionnalisé ces dernières années et qui demande à l’être davantage ».

Nouvel indice d’une nécessaire remise en question de notre réglementation : alors que d’un point de vue strictement législatif et réglementaire, l’été s'est révélé plutôt très calme (lire "Veille commande publique : ce qu'il faut retenir d'août 2022"), la rentrée 2022 de l’achat public devrait être particulièrement secouée par sa rencontre frontale avec les réalités économiques.

Et ce sont les acheteurs publics que l’on convoque pour relever ces nouveaux défis...