La liberté, mais pas à n’importe quel prix

  • 16/01/2009
partager :

La fixation du seuil des petits achats à 20 000 euros est plutôt bien accueillie chez les acheteurs. Il n’en reste pas moins que cette nouvelle liberté, qui va réduire le coût de l’acte d’achat, ne signifie pas que le « n’importe quoi » est autorisé.

Qu’on se le dise, le seuil de 20 000 euros est plébiscité par les spécialistes, en tout cas par les tenants de l’achat acte économique avant tout. Venu du privé, Richard Gauvrit, directeur de la commande publique de Bezons (26 000 habitants, Val d’Oise) estime qu’il s’agit d’une excellente mesure qui va donner plus de liberté, plus « de coudées franches ». Ancien acheteur du ministère la Défense, le consultant Olivier Frot applaudit des deux mains : le relèvement du seuil des petits achats « permettra d’éviter un coût de la commande excessif ». Enthousiasme identique chez Dominique Legouge, responsable du réseau des acheteurs hospitaliers franciliens. Le passage à 20 000 euros, c’est tout simplement « super ». « Cela va dans le sens de la professionnalisation des achats. Il faut libéraliser le cadre juridique et se rapprocher des conditions du secteur privé. Il est temps de faire confiance à l’acheteur pro et de lui laisser la responsabilité de gérer au mieux le processus », analyse le praticien qui insiste : « quelle est la personne publique qui se pose la question : combien coûte l’acte d’achat ? » En écho, Olivier Frot rappelle que son confrère consultant et formateur, Thierry Beaugé, a estimé à 6662 euros le coût d’un MAPA entre 10 000 et 90 000 euros, en englobant le temps de travail, les salaires des agents publics, les dépenses de photocopies, de téléphone…

Une souplesse considérable

Toute médaille a son revers. Adepte du seuil à 20 000, Richard Gauvrit se méfie des effets pervers. Le principal risque à ses yeux est celui de la perte de la maîtrise des achats. « Il ne faudrait pas qu’on ne mette plus en pratique les politiques achats en dessous de ce seuil. L’enjeu est réel car la tranche 0-20 000 pour une ville moyenne représente environ 20 à 25% de ses acquisitions. » Avocat et président de l’APASP, Me Jean-Marc Peyrical est plus circonspect. A l’occasion d’une rencontre du Club marchés Moniteur dans l’Oise en janvier, il a convenu que le nouveau seuil apporte « une souplesse considérable » : « mais 20 000 euros, c’est une somme qui n’est pas rien pour une petite collectivité. Il faut donc manier l’outil avec une certaine précaution. Se passer de toute mise en concurrence, est-ce vraiment une règle de bonne gestion des deniers publics, est-ce respecter les grands principes de la commande publique ? Je ne pense pas qu’il y ait de grands risques, mais il faut réfléchir à son organisation et ne pas foncer. Entre zéro et vingt mille euros, il existe quand même une marge... »

Un minimum de mise en concurrence

Il y a fort à parier que beaucoup de collectivités joueront la carte de la prudence, au lieu de se précipiter sur le gré à gré. « On continuera à consulter systématiquement », a assuré au cours de cette même conférence Hervé Gudefin, directeur adjoint de la communauté de communes de Villeneuve-Les-Sablons. Dans le Var, le conseil général avait jusqu’ici deux seuils, 0-4000 et 4000-15000. Pour le premier, les services devaient demander 2 ou 3 devis. Pour le second, il fallait une consultation de 6 fournisseurs au minimum. Le département, s’il n’a pas encore tranché, va probablement les fondre en un seul (0-20 000) avec consultation sur devis. La commune de Bezons a défini un seuil de 0 à 4000 euros géré en direct par chaque service municipal, puis un deuxième de 4 à 50 000, lequel nécessite un cahier des charges allégé de quatre pages, une mise en concurrence adaptée et le visa de la direction de la commande publique. Richard Gauvrit préconise désormais de porter le premier seuil à maximum 8000 euros. Néanmoins, tous les experts tombent d’accord. Se focaliser uniquement sur le seuil serait une erreur. L’objet du marché et sa récurrence sont aussi importants. « C’est une réflexion de base que tous les acheteurs doivent avoir », assure Jean-Marc Peyrical. Sauf à ouvrir grande la porte du « saucissonnage » délibéré ou par ignorance. D’où l’intérêt de la nomenclature interne.

La prime au localisme

Autre souci majeur : la préférence locale. La hausse du seuil risque de lui donner un nouveau coup d’accélérateur. Lors de son discours « fondateur » de Douai, le président de la République a mis les pieds dans le plat. Le passage à 20 000 euros « permettra aux collectivités publiques de s'adresser de gré à gré à des fournisseurs locaux », a résumé le chef d'Etat. Quoique interdit, le « localisme », qui s’explique politiquement (l’élu local a tout intérêt à faire prospérer les entreprises de son territoire) et économiquement (les commandes de faible montant ne sont pas attractives), n’a pas attendu la refonte du Code pour prospérer. Il suffit d’examiner consulter les listes des marchés passés les années précédentes pour s’en rendre compte. En 2007, la mairie de Parthenay a attribué 18 de ses 19 marchés de travaux sous 20 000 euros à des entreprises installées dans le département. En Haute-Vienne, 6 des 7 marchés entre 4000 et 20 000 euros notifiés par la préfecture ont été confiés à des entreprises de Limoges ou de son agglomération. Des opérateurs économiques du cru ont assuré 6 des 9 marchés passés sous 20 000 par la communauté de communes de la Porte d’Alsace (Haut-Rhin). A Orvault (Loire-Atlantique), 17 des 18 lots composant les marchés de travaux et 13 des 18 lots des marchés de fournitures sont tombés dans l’escarcelle d’entreprises du département. «  Le localisme, moi cela ne me gêne pas, à condition que la personne publique ait globalisé ses achats, qu’elle ait défini ses besoins, rédigé un cahier des charges et mis en concurrence », estime Richard Gauvrit.