
Les collectivités publiques, des justiciables comme les autres
Le 17 juillet, le Conseil d’Etat a accepté de condamner l’Etat à indemniser la ville de Brest en raison des délais de jugement trop longs qu’elle a subis pour le règlement d’un litige concernant un marché public de travaux.

« Les justiciables ont droit à ce que les requêtes soient jugées dans un délai raisonnable », a rappelé la juridiction suprême dans son arrêt du 17 juillet (1). Si ce droit a été méconnu, ils « peuvent obtenir la réparation de l’ensemble des préjudices tant matériels que moraux, directs et certains, causés par ce fonctionnement défectueux du service de la justice et se rapportant à la période excédant le délai raisonnable ». Qu’est-ce qu’un délai raisonnable, comment l’apprécier et à qui s’applique-t-il ? Jusqu’alors, la jurisprudence du Conseil d’Etat n’appliquait l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme qu’aux particuliers (2). Dans l’affaire jugée cet été, le justiciable était pour la première fois une ville, qui plus est à l’origine de la décision litigieuse. Pour définir le délai raisonnable, les sages du Palais-Royal se sont refusé à indiquer une référence gravée dans le marbre. Chaque affaire doit s’examiner au cas par cas. Ce délai doit « s’apprécier de manière globale » (compte tenu de l’exercice des voies de recours) et « concrète ». Autrement dit, le juge tient compte de la complexité de l’affaire, des conditions de déroulement de la procédure, du comportement des parties tout au long de celle ci, de leur intérêt, des circonstances propres au litige et de la nature de celui-ci. Le cas présenté par la ville de Brest fera donc jurisprudence. En 1988, la collectivité a conclu un marché public de travaux. Mais au cours de l’exécution est survenu un litige avec ses cocontractants, suite à un glissement de terrain sur l’ouvrage concerné par le contrat. Les entreprises ont donc déclaré les hostilités et les deux parties suivi les étapes classiques de règlement des conflits : expertise, saisine du juge administratif jusqu’au Conseil d’Etat. En 2004, la haute juridiction condamnait la collectivité bretonne à verser une somme de 1,18 million d’euros assortie des intérêts moratoires prévus par le code des marchés publics et de la capitalisation des intérêts.
3 ans de trop
Entre la saisine du TA de Rennes le 22 février 1993 et le 29 septembre 2004, date à laquelle le Conseil d’Etat a rectifié sa décision du 26 mars 2004, il s’est écoulé 11 ans et 7 mois. « Dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu de la complexité particulière de l’affaire », le délai de jugement a « dépassé de trois ans le délai dans lequel le litige aurait dû raisonnablement être jugé », ont reconnu les sages du Palais-Royal. Dès lors, la ville de Brest est « fondée à demander la réparation des préjudices que ce dépassement lui a causés ». La ville a subi un préjudice financier, les intérêts ayant couru pendant ce temps. Le Conseil a relevé un différentiel entre les taux des intérêts moratoires que la collectivité a été condamnée à verser par sa décision du 26 mars 2004 et le taux légal des intérêts. Il a aussi reconnu que ce retard avait pu avoir des conséquences sur les modes de financement de la collectivité. Aussi a-t-il évalué ce préjudice à 50 000 euros. Brest réclamait 304 000 euros… A l’audience du 3 juillet (3), le rapporteur public avait tablé sur 150 000 euros. Mais la haute juridiction a refusé de reconnaître l’existence d’un préjudice moral étant donné les « circonstances particulières de l’espèce », « la nature du litige en cause et des sommes en jeu » et de « la qualité de la requérante ». Elle a tout juste consenti à condamner l’Etat à verser en plus 4000 euros au titre des frais de procédures. Pour déterminer la période prise en compte pour le calcul de l’indemnisation, le Conseil d’Etat a exclu une première action devant le juge des référés visant à désigner un expert devant se prononcer sur la nature des travaux supplémentaires à opérer suite au glissement de terrain. Un protocole d’accord sur l’achèvement des travaux était intervenu avant la remise du rapport d’expertise. Le litige en lui-même portait sur le règlement du marché de travaux et sur le paiement de ces travaux supplémentaires. Il a donc été jugé que cette première action avait « un caractère autonome ». De même, la haute juridiction a exclu la phase relative à la procédure préalable obligatoire à la saisine du juge pour l’établissement du décompte de travaux. Prévue par le CCAG auquel s’est référé le marché en cause, cette procédure « ne présente pas le caractère d’un recours administratif préalable ». Une indemnisation oui, mais selon un processus bien encadré.
(1) CE n°295653, 17 juillet 2009, Ville de Brest CE 17 juillet 2009 ville de Brest (48.86 kB)
(2) L’article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
CE, n° 239575, 28 juin 2002, Garde des Sceaux, ministre de la justice c/M. M.
(3) Délais de jugement : les collectivités, des justiciables comme les autres ?


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