Référé contractuel et recours Tropic : ne nous fâchons pas !

  • 02/10/2009
partager :

En attendant sa mise en œuvre concrète, l’introduction dans l’ordre interne du nouveau référé contractuel suscite de nombreuses questions, notamment quant à son articulation avec le recours Tropic : les deux recours vont-ils cohabiter ? Le recours Tropic est-il voué à disparaître ? Quelles sont les différences entre les deux actions ? Deux avocats, Maître Raphaël Apelbaum et Aymeric Hourcabie et un professeur spécialiste des marchés publics, Stéphane Braconnier se sont penchés sur le sujet.

Si la France a jusqu’au mois de décembre pour intégrer dans l’ordre interne les dispositions de la directive recours  (directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007), l’habilitation législative donnée au gouvernement lui imposait de prendre avant le 29 juillet une ordonnance destinée à transposer le texte communautaire. Ce qu’il a fait par l’ordonnance du 7 mai 2009. La France a-t-elle été trop vite ? « On aurait pu prendre plus de temps, non pas pour améliorer les conditions de la transposition, mais pour améliorer l’articulation des différents instruments contentieux, le référé contractuel et le recours Tropic. Ce qui est gênant, c’est que l’on ajoute un nouveau référé alors qu’il existe déjà un instrument remplissant en partie les conditions de la directive recours. On raisonne par sédimentation plus que par construction », remarque Stéphane Braconnier, consultant au cabinet Bird & Bird et professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas. Pour autant les deux actions ne font pas double emploi. «  Le référé contractuel et le recours Tropic sont différents. Certes, ils visent le même objectif, celui de faire tomber le contrat ou d’en suspendre l’exécution mais ce n’est pas du tout la même chose », explique Maître Raphaël Apelbaum, avocat au cabinet Yves-René Guillou Avocats. Le professeur Braconnier ajoute que le champ du référé contractuel ne recouvre que partiellement celui du recours Tropic. « On se retrouve dans une situation où le recours Tropic est un instrument issu de la jurisprudence, fruit d’une longue réflexion, de discussions abouties avec la doctrine alors que le référé contractuel qui est plus restreint est quant à lui assis sur une base légale. C’est fâcheux ! », développe Stéphane Braconnier

Référé contractuel et recours Tropic : deux actions différentes

De nombreuses différences sont à noter entre les deux recours. Première précision : le recours Tropic est un recours au fond, alors que le juge du référé contractuel statue en premier et dernier ressort. « Le champ des contrats visés n’est pas le même. Si le référé est circonscrit aux contrats soumis aux directives marchés, le recours au fond s’étend à tous les contrats administratifs. Autre divergence, les moyens susceptibles d’être invoqués. S’ils sont illimités pour le recours Tropic, seuls ceux qui concernent des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence peuvent être portés à la connaissance du juge du référé. Ainsi le juge du fond pourra connaître de manquements relatifs à la comptabilité publique ou encore aux règles du code général des collectivités territoriales, contrairement au juge du référé», développe Maître Apelbaum. S’agissant des délais d’introduction du recours : celui du recours Tropic est subordonné à l’accomplissement de mesures de publicité appropriées. Rien n’est dit dans l’ordonnance sur le référé précontractuel, il faut donc attendre le décret d’application. Pour compléter cette liste à la Prévert, citons les pouvoirs du juge : les articles L.551-17 et L.551-18 du code de justice administrative confèrent au juge la possibilité de suspendre l’exécution ou de prononcer la nullité du contrat. Le conseil d’Etat dans son arrêt du 16 juillet 2007 lui donne de larges pouvoirs : résiliation, modification de certaines clauses du contrat, annulation totale ou partielle, octroi d’indemnités. Maître Aymeric Hourcabie, avocat au cabinet H&G Avocats, relève que, dans le cadre du référé contractuel, le prononcé de la nullité du contrat, lorsque celui-ci a été signé en méconnaissance de la clause de standstill, est subordonnée à la réalisation de deux conditions : le demandeur a été privé de son droit à exercer un référé précontractuel et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat. « Globalement, c’est assez complexe. Le fait de subordonner le prononcé de la nullité à ces deux conditions dont la réunion va être difficile à établir dans le cadre d’une procédure de référé fait que la nullité d’un contrat ne sera qu’exceptionnellement prononcée à ce titre »,», souligne-t-il.

Pour une cohabitation du référé contractuel et du recours Tropic

Maître Apelbaum considère que le référé contractuel va parfaire le recours Tropic qui devait s’accompagner d’un référé suspension, dont la mise en œuvre s’est révélée en fin de compte difficile, notamment en ce qui concerne la notion d’urgence. « Le référé contractuel vient compléter le recours Tropic en raison de la paralysie du référé suspension, puisque l’on peut introduire les deux en même temps », ajoute-t-il. Les deux avocats pensent que les deux procédures ont vocation à cohabiter. Elles vont se combiner. Dire que le référé contractuel va supplanter le recours Tropic serait complètement faux. Stéphane Braconnier estime pour sa part, de manière plus nuancée, que la transposition peut faire peser un risque sur la pérennité du recours Tropic et appelle, à tout le moins, une clarification. « J’espère que le recours Tropic va survire au référé contractuel sinon ce serait une régression, remarque Stéphane Braconnier. La transposition par anticipation de la directive recours à laquelle l’arrêt du Conseil d’Etat avait eu vocation à procéder n’a pas suffi. Il a fallu instaurer un nouveau référé. Mais il faut maintenant préciser l’articulation entre les deux voies de recours ». « De plus, l’entreprise de simplification du contentieux des contrats initiée par l’arrêt Tropic a échoué. La situation est aujourd’hui plus complexe que celle précédant la décision du Conseil d’Etat. En termes de lisibilité du contentieux, et donc d’accès au juge, je ne crois pas que les choses soient allées dans le bon sens. On a superposé les voies de droit. Les justiciables doivent être très forts pour s’y retrouver », poursuit le professeur.

Une remise en cause de la sécurité juridique des contrats ?

Plus de recours nuit-il à la sécurité juridique des contrats ? « Pour les acheteurs publics, la sécurité juridique c’est d’être certain de la légalité des contrats qui seront exécutés. Il vaut mieux qu’une procédure soit annulée en référé précontractuel ou contractuel plutôt que d’avoir une annulation du contrat en cours d’exécution. Une annulation du contrat alors que son exécution a déjà débuté est généralement beaucoup plus compliquée à gérer qu’une annulation en précontractuelle, juge Maître Hourcabie. Je ne pense pas que la multiplication des recours serait nuisible à la sécurité juridique contractuelle. En outre, plus de recours ne veut pas forcément dire plus d’annulation. Le référé précontractuel ou contractuel est un moyen de sécuriser les marchés ». Selon le professeur Braconnier, dans le contexte actuel, le juge a déplacé ses exigences sur le terrain des règles de passation. «  Il est moins dans le détail procédural mais davantage dans la recherche de l’impact concurrentiel du manquement. D’ailleurs, l’ordonnance rappelle la faculté de modulation des pouvoirs du juge au moyen de la théorie du bilan. Le juge va mettre en balance les conséquences négatives de sa décision par rapport aux avantages. Aujourd’hui, on est dans une phase de réalisme tant de la part du juge qui va apprécier le manquement à l’aune de l’impact concurrentiel que des entreprises qui vont y réfléchir à deux fois avant de s’engager dans la voie contentieuse, paradoxalement plus aléatoire que par le passé », remarque-t-il. Toutefois, il faudra attendre la mise en œuvre pratique de ce nouveau référé, prévue au 1er décembre 2009, pour voir les limites et les problèmes que peuvent générer sa mise en œuvre.

Lire sur le même sujet

Le référé contractuel pour les nuls

Directive recours : les ambiguïtés de la transposition

Directive recours : publication de l’ordonnance de transposition

Le référé contractuel, c’est pour bientôt