Le cerbère de l’Achat public

  • 10/09/2020
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"Choisis en politique le bon ordre. Choisis en affaire l'efficacité. Choisis pour agir l'opportunité"
Lao Tseu


C’est comme un petit déclic… « Tiens donc ! »  En épluchant les rapports d’observations des chambres régionales des comptes, la rédaction s’est aperçue que le juge financier se montre parfois très... "indicatif". Il ne se contente plus de dresser un bilan et d’adresser quelques recommandations. Ne serait-il pas en train de s’ériger progressivement en tant que juge de la performance achat ? (lire notre article "Les chambres régionales des comptes, nouvelles gardiennes de la performance achat").
 

Du constat à la recommandation

Certes, le juge financier rappelle que le respect du code constitue le premier moyen d’amélioration de la gestion des achats. Mais certaines chambres vont plus loin : « un pouvoir adjudicateur ne peut se contenter de seulement respecter le droit de la commande publique, lors de la préparation et de la passation du marché ». Et au fil des rapports, on découvre que le juge financier "préconise" de mieux préparer son marché : « Le pouvoir adjudicateur ne peut se contenter de respecter le droit de la commande publique : il est aussi tenu de prendre en compte son environnement économique ». La CRC de Polynésie française vient aussi de recommander à un syndicat intercommunal d'établir une cartographie des achats. Quant à la CRC de Normandie, elle explique que le contrôle de l’exécution des marchés publics constitue une dimension essentielle de la bonne gestion des deniers publics.

D'ici à considérer que le juge financier a pris, lui, la mesure de la nouvelle commande publique, celle qui considère l’achat public comme un acte économique et non comme le seul suivi de procédures de passation... Un juge de la performance, qui n’est pas sans renvoyer à quelques inquiétudes resssenties au sujet des missions du "nouvel" acheteur public, soumis désormais au "ROI", voire au  "ROTI" (relire "Quelle rentabilité des acheteurs publics ?").

Un juge financier, donc, qui muterait en  juge de la performance achat… Une mission délaissée par le juge administratif ?
 

Un juge administratif bien en peine…

Le juge administratif agit, il faut le reconnaître, plutôt tout en rondeur. Certes, il lui arrive d'hérrisser le poil, voire de faire preuve de mordant. Mais il s’agit alors d’affaires assez lourdes (relire, par exemple, "Inacceptable, irréaliste, des défaillances graves et répétées : le chantier de l’aéroport de Nouméa fait du hors-piste", "Licenciement pour saucissonnage de marchés et favoritisme" et "Prise illégale d’intérêt : un bien étrange maire bâtisseur"). Ou alors quand il s'agit de défendre la direction d'un vénérable établissement public, malmenée par de petites manoeuvres comptables internes, et conduite à ne pas respecter le BA-ba de la commande publique (lire "Sur et sous facturation des lots du marché à la demande du pouvoir adjudicateur : la résiliation pour fraude est justifiée").
Mais bien souvent, sa priorité, c'est d'abord d'assurer la continuité des relations contractuelles. Il est sollicité, tels que nous le relatons dans nos colonnes, majoritairement par des candidats évincés (hormis le très fourni contentieux des marchés de travaux, qui confronte acheteur et prestataires). Cela étant, il est loin d’être désœuvré : c’est à lui qu’il revient d’accommoder le droit aux exigences politiques du moment. Un exercice qui confine ces derniers temps au grand écart.

Reste le juge pénal. Lui, fort de son indépendance, et fort de son pouvoir ne pas tenir compte du caractère intentionnel d’une infraction, serait donc le juge de l’excès, censeur de la performance détournée de son objet. Une approche qui, finalement, pourrait convenir à ceux qui considèrent que le code de la commande publique doit être débarrassé de toutes dispositions pénales (relire "Lever les tabous : supprimer les dispositions pénales du droit de la commande publique").
 

Une créature à trois têtes

C’est donc une hypothèse à vérifier : alors que la commande publique s'assume en tant qu'acte essentiellement économique, la répartition de son contrôle évolue aussi. Dessiné à gros traits, on voit apparaître une créature trycéphale, à l'instar du mythologique cerbère. Il arrive que ses trois têtes, parfois, coopèrent (relire "Quand le juge administratif se sert du juge pénal") ou jouent sur le terrain de l’autre (relire "Le président d’une CCI condamné par la Cour de discipline budgétaire et financière").
Mais simplifions : le juge administratif, c’est le juge du respect des procédures, garant principalement de l’égalité des chances d’accès à la commande publique et de la transparence. Le juge financier, c’est le gardien de la performance, le censeur de l’efficacité. Quant au juge pénal, à lui de pourfendre les atteintes aux règles élémentaires de probité…

Intuition ou vision simpliste ?
 
 
Jean-Marc Joannès