Edito certifié « sans stress covid » !

  • 01/10/2020
partager :

"L'infini ne peut guère conduire qu'à zéro...
et réciproquement
"
Pierre Dac

« Toujours faire face ! ». La devise des pilotes de chasse (y compris, certainement de ceux qui passent le mur du son au dessus de la capitale...). Une des façons d’y parvenir, en période de stress, c’est de revenir à nos fondamentaux. Et à ce qui fait la richesse du droit de la commande publique. Quel plaisir alors de lire, et pour s'envoler un temps au dessus des nuages  "covid-19", les conclusions de l’Avocat général devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), Michal Bobek, sur l’arrêt du 10 septembre "Tax-Fin-Lex d.o.o." (lire "Offre à 0 euro : ce qu'en dit la CJUE"). Cela confine à la philosophie : le zéro est-il une valeur ? Et plus techniquement, une offre à "0 euro" est-elle… anormalement basse ?  
 

La libre concurrence, vraiment ?

En se penchant sur ces questions, on peut déceler un nouveau paradoxe de la commande publique européenne, fondée (faut-il le rappeler ?) sur la libre concurrence. S’il s’agit "simplement" de respecter les grands principes de la concurrence et de la transparence, en quoi une entreprise ne serait-elle pas en droit d’estimer avantageux pour elle de présenter une offre à "0 euro"? C’est "gagnant/gagnant" si d’un coté le pouvoir adjudicateur considère que son offre est bien la mieux disante et si, de l’autre côté, l’entreprise candidate estime que la contrepartie se matérialisera positivement par la suite, dans le cadre notamment d’une stratégie de conquête de marchés, non ?
C'était bien celle développée en l’espèce : l'entreprise dont l'offre à "0 euro" a été rejetée soutient qu'elle n'aurait en aucun cas pas été privée d’une contrepartie. La signature de la convention aurait favorisé, grâce à une telle référence professionnelle, l'accès à de nouveaux marchés.

La question devient : est-ce alors au pouvoir adjudicateur (ou au juge) d’apprécier l'avantage pour une entreprise de voir son offre "à 0 euro" acceptée ? Autrement dit, dans quelle mesure faut-il s’attacher à définir (et qui peut le faire ?) le caractère "onéreux" de l’obtention d’un marché pour l’entreprise ? Après tout, la rédaction de l'article L. 1111-1 du code considère qu'un marché se définit par la réponse à un besoin en contrepartie d'un prix "ou de tout équivalent".
 

De la suspicion au risque

La réglementation de la commande publique est-elle vraiment prête à se couler dans les pratiques de l’économie et de la concurrence ? Certes, le dumping, quand il est social, doit être éradiqué dans la mesure où représente une menace. Mais qu’en est-il s’il ne s’agit que d’une stratégie commerciale de conquête ?
La CJUE ne va pas jusque-là : « en présence d’un contrat à titre onéreux, les deux parties contractantes se trouvent enfermées dans un rapport d’obligations juridiques réciproques que chacune peut faire exécuter à l’égard de l’autre et dans le cadre desquelles le pouvoir adjudicateur fournit au moins une contrepartie claire et précise de nature économique […] ». Derrière cette exigence de "contrepartie claire et précise" se dissimule en réalité le spectre de l’offre anormalement basse. L’OAB et son cortège d’inquiétudes et de suspicions...

Examinant dans le détail comment un acheteur public peut régulariser une offre, Marius Tro (lire "Quelle marge de manœuvre de l’acheteur dans le traitement de l’offre irrégulière ?") relève pourtant qu’il serait dommage de se priver d’une offre économiquement intéressante, surtout lorsque le candidat concerné répond à toutes les attentes techniques de l’acheteur… Pourtant, relève le chef du Service de la commande publique du Sictiam, l’article L. 2152-2 du Code de la commande publique propose une définition précise, selon laquelle est irrégulière une "offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale". Nulle trace d’un quelconque critère économique d'"équilibre des contreparties"...
 

Looping et immelmann

La cogitation prend donc la tournure suivante : à l’heure où l’on assume une véritable déreglementation de la commande publique (lire "Projet de loi « ASAP » : "en route vers l’opacité" "selon Anticor et Transparency International" - "Vers un seuil généralisé mais "limité dans le temps" à 100 K€ ? -"Seuils des marchés publics : vers une dispense de procédure pour « intérêt général » ?"), mais aussi à lui donner une impulsion d’abord économique, est-il logique de s’arrêter en pleine évolution, sans aller jusqu'au bout de la figure, pour acrobatique qu'elle soit ? Sans laisser l’efficacité de l’achat public "économique" prendre toute sa place ? 
Avec la crise covid-19, les acheteurs publics ont même parfois apprécié de gouter à l’efficacité cette "dérèglementation" : « Devant la nécessité de faire du gré à gré pour l'achat de masques, les acheteurs publics ont revêtu pour un temps l'habit des acheteurs privés. Je peux dire que mes acheteurs se sont montrés très efficaces et je les en remercie» (relire "Covid-19 et achat public (3/3) : les enseignements").

Ah mince ! « Covid-19 » !  Quel looping ! On y est revenu !
Désolé…
 
Jean-Marc Joannès