Impartialité : de la passation jusqu’au contrat

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« La sévérité prévient plus de fautes qu'elle n'en réprime »
Napoléon Bonaparte



Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 25 octobre 2021 "Collectivité de Corse" considère que le manquement au principe d’impartialité est un vice d’un particulière gravité qui justifie l’annulation du contrat litigieux. Une décision « importante et inédite » selon l’avocate de la société requérante (lire "Le Conseil d’Etat annule un marché public pour manquement au principe d’impartialité").
Allons bon ? En quoi cette décision devrait-elle faire date ? Ou plutôt : pourquoi la solution, à savoir l’annulation non pas seulement de la procédure, mais du contrat lui-même, est-elle révolutionnaire ? Après tout, le manque d’impartialité n’est-il pas LE vice ultime de la commande publique ?
 

Vice d'une particulière gravité

Relisons ensemble le considérant de principe (n° 5) de la décision "Collectivité de Corse" : « (…) au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat ». Le Conseil d’Etat rappelle les dispositions de l’article L. 2141-10 du code de la commande publique : " Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ".
In cauda venenum : « la méconnaissance de ce principe d'impartialité était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure » assène le Conseil d'Etat.

Contrat impacté

Ce qui étonne, c’est que l’impartialité regroupe tous les vices. Une notion "Chapeau" : prise illégale d’intérêt, conflit d’intérêt, favoritisme… on y retrouve tout ce qu’il y a de répréhensible ! La question est donc : et pourquoi cette décision est-elle si importante ? Parce que le degré de partialité constatée en l’espèce est tel qu'il impacte non la procédure elle-même de passation, mais le contrat ?

Cerise sur le gâteau de la décision " Collectivité de Corse ": le juge ne se préoccupe même pas de rechercher une "intention avérée" de la part du pouvoir adjudicateur. En ce sens, cet arrêt ne va pas dans le sens des élus locaux et de leurs agents. Ils se battent depuis des années pour faire disparaitre le caractère non intentionnel de la définition de la prise illégale d’intérêt (relire à l'occasion du Congrès des maires 2021 "Prise illégale d’intérêt : les maires pointent à nouveau une "dangereuse Epée de Damoclès"" et "Prise illégale d’intérêt : revenir sur la notion d’ "intérêt quelconque" du code pénal"
 
En revanche, du côté "citoyen", la sévérité du Conseil d’Etat a du sens : si la commande publique doit être frappée du sceau de la transparence et de l’égalité de traitement, il n’est pas illogique qu’une atteinte à ces grands principes lors de la passation entraine l’annulation du contrat.

Le juge administratif lui rétorque souvent "stabilité des relations contractuelles". Le Conseil d’Etat rappelait, le 9 juin 2021, qu’en application du principe de stabilité des relations contractuelles dégagé par l’arrêt "Commune de Béziers" , le juge dispose de pouvoirs de régularisation, de résiliation, ou, "si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office", d’annulation totale ou partielle du contrat (relire " Le Conseil d’Etat précise les pouvoirs du juge appréciant la validité d’un marché").
 

Repérer l’impartialité

L’impartialité n’est pas une qualité simple à définir. Une affaire récente, jugée par la CAA de Marseille, encore elle (17 mai 2021, Société Novacoif, req. n° 20MA02359) montre que l’impartialité alléguée doit s’établir selon une échelle très particulière : le degré d’influence. Et ne pas être simplement alléguée, même si les faits sont troublants (relire "Impartialité : tout dépend du degré réel d’influence ").

Certes, parfois, l’atteinte au principe d’impartialité est évidente (relire "Là où il y a de la gêne… » : le maire avait des intérêts ou une influence dans les deux entreprises candidates" et "Prise illégale d’intérêt : un bien étrange maire bâtisseur"). A l’inverse, le juge doit aussi démasquer les "influences" qui s’exercent de façon détournée, par exemple lorsqu’un cadre explique que ce n’est pas lui qui a pris la décision, mais son service (relire "Conflit d’intérêt : ce n’est pas bien joli de se cacher derrière son service !").

Il arrive aussi que le juge considère qu’une procédure a été menée en toute impartialité… alors que subsistera manifestement un certain doute (relire "Impartialité du pouvoir adjudicateur : gare à la multiplicité des casquettes").


Adressons un petit encouragement au juge, et reconnaissons qu’il n’est certainement pas facile de gérer sans excès les comportements excessifs….