Ces acheteurs publics qui voudraient fuir leur code

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« Un gredin qui tourne la loi est moins à craindre en son action qu'un homme de bien qui la discute avec sagesse et clairvoyance »
Georges Courteline


C’est un peu compliqué, en ces temps de déréglementation (pardon, "d’assouplissement") de déterminer avec précision les frontières de la réglementation de la commande publique. Et pour beaucoup encore, la question n’est pas tant de savoir comment la respecter... que de savoir, s’ils y sont assujettis.

C’est notamment le cas pour le secteur médical qui le découvre, bien souvent après des enquêtes menées par les chambres régionales des comptes, qu’il s’agisse d’unions régionales des professionnels de santé (lire "URPS : une qualité ignorée de "pouvoir adjudicateur"") ou même de l’ordre des médecins (relire "Soumission de l’ordre national des médecins au code de la commande publique : «c’est sans délai, ni sursis ! »").
 

En toute bonne foi

Cette semaine, nous relevons quelques autres cas où, en toute bonne foi alléguée, des acheteurs publics cherchent à sortir du cadre. Et ce, indépendamment des débats sur l’achat local ou les enjeux de souveraineté.

Ici, la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne-Rhône-Alpes constate que de la ville de Villeurbanne a dépensé plus de 1 M€ de dépenses d’annonces et d’insertions publicitaires sans publicité ni mise en concurrence. La cour rappelle que ces achats d’espaces publicitaires entraient dans le champ du code de la commande publique dès lors que plusieurs journaux pouvaient réaliser les prestations souhaitées (lire "Label « Capitale française de la culture » : pas d’exclusion du Code de la commande publique pour la "com’" »").

, la Cour des comptes rappelle l’interprétation stricte des règles autorisant à se soustraire d’une mise en concurrence en se fondant sur l’exclusivité de l’opérateur. En deux mots : il faut effectivement qu’aucune solution de remplacement raisonnable n’existe… et que l'absence de concurrence ne soit pas le fruit d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché (lire "Un certificat d’exclusivité… insuffisant pour justifier une absence de mise en concurrence").

Plus loin (très loin), le Conseil d’Etat rappelle à l’ordre la Polynésie française. Il met fin à une dérogation pour les marchés publics polynésiens. Les dispositions de l’article LP. 28 de la "loi du pays" du 7 décembre 2009 ont pour effet de dispenser de toute obligation de publicité et de mise en concurrence la conclusion des délégations de service public entre un établissement public et une société dont il possède plus de la moitié du capital. La Polynésie française justifie cette dérogation par la configuration particulière du territoire, qui, selon elle, nécessiterait que les établissements publics polynésiens gardent la maîtrise des services publics assurant l’interconnexion entre les îles de l'archipel et rendrait la gestion de ces services publics insuffisamment rentable pour des opérateurs privés. Mais pour le Conseil d’Etat, de telles affirmations très générales, et au demeurant peu étayées, ne sont pas de nature à établir que, par les spécificités de leur statut, seules les filiales des établissements publics pourraient assurer la gestion déléguée des services publics (lire "Le CE met fin à une dérogation pour les marchés publics polynésien").
 

Subtiles subtilités

La détermination de l’applicabilité du Code de la commande publique est rendue aussi complexe par certaines subtilités mal assimilées, qu’elles tiennent à la complexité du " millefeuille territorial" (relire "Recourir au prestataire de l’"interco"… pas toujours une bonne idée") ou à la définition de la quasi régie, zone de flou, toujours pas bien assimilée, avec la construction du "in house" (relire "Marché public et "in house" : pas de contrôle analogue sans pilotage effectif de la gestion du cocontractant" - "Une relation in house entre une SEM et un actionnaire public contestée" et "Une prestation entre collectivités territoriales : un motif insuffisant pour déroger au CCP").
 

Hors code ou… « adapté » ?

La tendance, et la demande, est donc ces temps-ci à l’assouplissement du code, en allégement, temporairement certains principes fondamentaux (durée du contrat, interdiction du tiers financement, introduction de critères géographiques…) ou en relevant les seuils de procédure.

Nous observerons ainsi avec grand intérêt dans les jours à venir, le parlement, qui en a entamé son examen du projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire. Un projet de loi qui permettrait l’adaptation des règles de la commande publique pour permettre aux maîtres d'ouvrages de projets nucléaires « de passer leurs marchés selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles » (relire "Les projets nucléaires « hors code » reçoivent l’aval du Conseil d’Etat »")

Nous guetterons le suivi des demandes appuyées d’exception alimentaire, sous une forme ou sous une autre (lire "Critères géographiques : une solution préconisée pour une commande publique durable et souveraine" - "Restauration collective et achat local : de nouvelles (?) annonces et "Achats de denrées alimentaires : pour Département de France, il est temps d'introduire un critère géographique").


Résumons ce rapide balayage spatio-temporel de l'actualité : la question de la simplification du code de la commande publique et de son accessibilité aux PME est d’autant moins facile que son champ d’attraction est variable … ou mal perçu par les acheteurs publics.
C’est sans doute un axe prioritaire de simplification, non ?