Enrichissement sans cause : la faute du cocontractant est sans incidence

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Saisi d’une demande de paiement de commandes de fournitures passées sans publicité ni mise en concurrence, le Conseil d’Etat a rappelé les principes de la jurisprudence Béziers I et les règles d’indemnisation lorsque le contrat est écarté.

L’affaire opposant la société Pointe-à-Pitre Distribution à la commune de Goyave est l’occasion pour le Conseil d’Etat de faire application des jurisprudences Béziers I et Manoukian aux commandes de fournitures passées sans publicité ni mise en concurrence. En l’espèce, la commune a signé entre mai et septembre 2006 onze bons de commande auprès de la société Pointe-à-Pitre Distribution pour environ un demi-million d’euros pour diverses fournitures de bureau, d’entretien et de décoration. Le maire de la ville de Goyave a conclu le marché en causes sans publicité ni mise en concurrence et sans délibération du conseil municipal. Trois factures ont été réglées pour un montant total de 68 200 euros. Devant le refus de la ville de payer le reste, à savoir 485 410,45 €, la société a saisi le tribunal administratif. Par un jugement rendu en février 2014, le TA a écarté la responsabilité contractuelle de la commune. En revanche, il a condamné la ville à payer à la société plus de 360 000€ au titre des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle. En appel, la cour administrative a annulé le jugement et rejeté la demande d’indemnisation. Le Conseil d’Etat, par une décision rendue le 9 juin dernier, sanctionne la cour en tant qu’elle a rejeté les responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle.

Vice d’une particulière gravité  = contrat écarté

La haute juridiction confirme le fait que le litige ne peut pas être réglé sur le terrain contractuel. Il ressort des jurisprudences Béziers I de 2009 et Manoukian de 2011, que lorsque les parties lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat, celui-ci doit, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, faire application du contrat, sauf en cas d’illicéité du contrat ou de vice d’une particulière gravité, relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. « Lors que le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige. Il en va autrement lorsque, eu égard, d’une part, à la gravité de l’illégalité et, d’autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat. » Les sages du Palais royal relèvent que le marché a été signé par le maire sans autorisation du conseil municipal. Ce vice qui affecte le consentement de la commune fait obstacle à ce que litige soit réglé sur le terrain contractuel, sans que la société puisse se prévaloir de l’exigence des relations contractuelles. De plus, relève le CE, pour écarter le contrat, la CAA souligne que les fournitures ont été commandées sans publicité ni mise en concurrence et ont été facturées à des prix manifestement excessifs (2,95€ pour un sac poubelle, 295€ pour un drapeau européen, 29€ pour un tee-shirt, 118€ pour une paire de botte de sécurité).

Le remboursement des dépenses utiles

La haute juridiction estime, en revanche, que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en écartant les responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle de la commune. Lorsque le contrat est écarté, l’entreprise peut obtenir le remboursement des dépenses utiles à la collectivité. « Les fautes éventuellement commises par l’intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l’administration. » Et, le CE d’ajouter, « que dans le cas où le contrat est écarté en raison d’une faute de l’administration, l’entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. »

Pour rejeter la demande de remboursement des dépenses utiles, la cour explique « d’une part, que la société avait “commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d’un marché, dont, compte-tenu de son expérience, [elle] ne pouvait ignorer l’illégalité et, d’autre part, qu’en raison même de la surfacturation des marchandises en litige, disponibles sur le marché à des prix très inférieurs à ceux sur lesquels le maire de Goyave a marqué son accord, les achats décidés par ce dernier ne peuvent pas être regardés, dans ces conditions, comme ayant été utiles à la commune “ Le CE sanctionne ce raisonnement. « La faute du cocontractant est en principe sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité. » De plus, « l’utilité des dépenses effectuées par l’entrepreneur pour la collectivité ne peut être appréciée en prenant en compte les prix stipulés par le contrat, qui a été écarté. » En outre, la faute commise par la société, en signant un contrat dont elle ne pouvait, compte tenu de son expérience, ignorer l’illégalité, est, pour la CAA, la cause directe de son préjudice et une cause exonératoire de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune. La juridiction qui n’a pas pris en compte la faute de la collectivité commise en concluant, a inexactement qualifié les faits. Le CE renvoie l’affaire devant la juridiction d’appel.