Echapper à la mise en concurrence : sous-facturer d’un côté et surfacturer de l’autre

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Pour ne pas résilier un marché entaché du non respect d'un processus interne, la solution envisagée par un opérateur public et son prestataire a été la suivante : sous-facturer le service litigieux et surfacturer une autre prestation afin de compenser la perte. Or une telle pratique est illégale et, qui plus est, relève du délit de favoritisme et de l'usage de faux.

Dans cette affaire,  la procédure apparaissait conforme aux règles édictées par l'ordonnance et le décret marchés. Cependant, les règles internes de la personne publique relatives aux conditions d'attribution obligeaient l'acheteur à relancer une mise en concurrence.En effet, au vu des montants atteints au cours de l’exécution, le conseil d’administration de cet opérateur aurait dû donner au préalable une autorisation. Il ressortait des textes du pouvoir adjudicateur, qu’à partir d’un certain seuil, il était soumis à cette obligation. L'opérateur public et son prestataire pensaient avoir trouvé la parade, à savoir "bidouiller" les factures, pour contourner les exigences statutaires afin de poursuivre la relation contractuelle et éviter une rupture du service (d’autant que l’objet du contrat portait sur le cœur d’activité de la structure).

Une méthode condamnable au titre du délit de favoritisme


La situation allait devenir problématique notamment au moment du paiement car, en vertu de ces documents, le comptable n’aurait pu procéder à cette opération sans engager sa responsabilité. Au passage, les organismes de tutelle et la Cour des comptes auraient pu soulever cette irrégularité lors de leurs contrôles. 

Le cas d’espèce illustre parfaitement les conséquences qu’engendre une mauvaise définition du besoin


Le cas d’espèce illustre parfaitement les conséquences qu’engendre une mauvaise définition du besoin. Le stratagème imaginé par les parties a été le suivant : la directrice de la relation client du pouvoir adjudicateur se serait entendue avec l’entreprise, titulaire de plusieurs lots, pour que celle-ci sous facture le service litigieux et surfacture une autre prestation afin de compenser la perte. Face à cette pratique, Maître Charlotte Pienonzek, avocate pénaliste, agite immédiatement le chiffon rouge. Le délit de favoritisme pourrait être caractérisé, avance la professionnelle du droit, puisqu’ « il est tenté de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires visant à assurer la liberté et l’égalité d’accès des candidats. Le but de la manœuvre étant de ne pas relancer une passation ». Du côté du prestataire, les accusations de complicité ou de recel du délit de favoritisme ne sont pas à exclure.

Les infractions faux et usage de faux caractérisées


Ensuite, Me Charlotte Pienonzek met en avant une autre infraction : le faux et l’usage de faux. Primo, l’entreprise peut être poursuivie à ce titre. L’avocate rappelle à ce sujet l’article 441-1 du code pénal :

Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit

« Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». Deuzio, l’agent administratif est susceptible d’être rattrapé par le recel de faux et d’usage de faux car « il détient quelque chose dont il sait qu’elle provient d’un délit ». Par ricochet, le représentant de l’établissement public ne sera pas épargné s’il est démontré un élément intentionnel et matériel de sa part. Les peines s’élèvent, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende (article 441-2).

Résiliation pour faute acceptée


Toutefois, la manœuvre intentée dans la présente affaire n’a pas abouti. L’opérateur public a préféré finalement mettre fin au marché. Cependant, il a résilié au tort du cocontractant sans avoir précisé par écrit les griefs. Un litige s’en est suivi devant le tribunal administratif (TA) de Poitiers.

Cette fraude était de nature à justifier légalement la sanction de résiliation

« La circonstance que ces griefs auraient été précédemment exposés par oral et seraient bien connus de la société requérante n’est pas de nature à affranchir [l’acheteur] de l’obligation de motiver sa décision » ont déclaré les magistrats. En revanche, la juridiction n’a pas remis en cause cette décision du fait que « cette fraude était de nature à justifier légalement la sanction de résiliation ». La société requérante n’était pas également fondée « à demander la condamnation [de l’acheteur] à lui verser une quelconque indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du marché ». A contrario, l’entreprise pouvait prétendre au paiement des prestations déjà réalisées car la créance par elle-même n’était pas contestée, a conclu le TA.