Un candidat à une DSP ne peut anticiper la nature d’un bien de retour

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Une autorité concédante a demandé aux candidats de distinguer la nature des acquisitions, au stade de la passation, et de lister ainsi les "biens de reprise", les "biens de retour" et les "biens propres". Une société évincée a contesté l’attribution devant le juge du contrat car le délégataire n’avait pas procédé à cette opération. Les juges administratifs ont alors profité de cette affaire pour s’intéresser à cette pratique.

Dans la dernière ligne droite de la concession, la relation contractuelle peut vaciller au moment d’aborder la question des biens de retour. Pour se prémunir d’une éventuelle discorde, la communauté d’agglomération espace sud Martinique (CAESM) a envisagé une solution, en amont, qui consiste à demander aux soumissionnaires, lors de la passation, de lister les ouvrages selon leur nature. A l’occasion du renouvellement en 2013 de la délégation de service public relative à la restauration scolaire, l’établissement public a imposé aux opérateurs économiques de faire un « descriptif qualitatif des travaux tout corps d’état, y compris matériels, comprenant le listing quantitatif par local et descriptif qualitatif en distinguant les acquisitions "biens de reprise", les acquisitions "biens de retour" et les acquisitions "biens propres", les équipements renouvelés et leur pérennité ». Cependant, en l’espèce, l’attributaire n’avait pas procédé  à cette distinction. L’ancien prestataire, dont l’offre n’a pas été retenue, a notamment soulevé cette irrégularité pour contester la passation devant le juge du contrat. L’intercommunalité a été condamnée à verser à la société, au titre du manque à gagner, plus de 2 millions d’euros et au passage a vu sa concession annulée. La CAESM a alors fait appel du jugement.

La qualification des acquisitions en bien retour est d’ordre public

      
Les magistrats bordelais se sont d’abord interrogés sur la valeur juridique de ce partage opéré au stade de la consultation, à la lumière de la célèbre jurisprudence Commune de Douai.  Pour me_roland_de_moustier.jpgmémoire, il ressort de cette décision d’assemblée la règle suivante : « Dans le cadre d'une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique…» (CE, Ass. 21 décembre 2012, n°342788). Selon l’avocat de la CAESM, dans son mémoire, le régime des biens ne peut résulter des dires du (future) délégataire mais plutôt de leur nature à la fin du contrat. La Cour administrative d’appel (CAA) l’a suivi. D’autant que cette qualification « peut d’ailleurs être déterminée par le juge en cas de contestation à l’issue de la convention, une telle liste ne pouvant que constituer un inventaire à un instant donné, inventaire qui est destiné à évoluer tout au long de la vie de la concession en fonction des acquisitions ou des renouvellements par le délégataire des biens et équipements et alors en tout état de cause que les biens renouvelés et les investissements du programme deviendront des biens de retour en fin de contrat, dès lors qu’ils seront indispensables au fonctionnement du service public de la restauration scolaire », a ajouté la juridiction. La solution découlerait des conséquences du caractère d’ordre public de la définition des biens de retour, souligne Maître Roland de Moustier du cabinet Frêche & Associés, et tiers à l’affaire. Pour le professionnel, un tel inventaire n’est pas pour autant inutile puisque si les parties sont d'ores et déjà d’accord sur la répartition, un conflit sur ce sujet ne devrait pas se produire, sous réserve d’un recours des tiers et du préfet.

Le manquement doit léser la société requérante


Ensuite, l’axe du contentieux s’est orienté sur la problématique d’origine, à savoir si le défaut de précision de la part de l’attributaire avait faussé la comparaison des offres. La CAA a répondu par la négative. Elle a construit son raisonnement autour de deux points. Primo, les magistrats ont mis en avant la valeur déclarative de ces informations. Me Roland de Moustier rappelle ce fait : « L’absence de distinction, de la part des candidats, des biens de retour, des biens propres, et des biens de reprises n’a pas d’incidence sur leur catégorie ». Deuzio, la juridiction a recherché le caractère lésant même si l’arrêt ne le mentionne pas expressément, constate l’associé du cabinet Frêche. Or, il s’est avéré que la société requérante n’avait pas approfondi, elle aussi, davantage ces données. Le jugement de première instance a donc été annulé. A noter que la Cour a néanmoins reconnu l’irrégularité de la procédure, sur un autre motif, sans en tenir rigueur à la CAESM. En effet, le délai de remise des offres qui a été fixé à la suite d’une révision du cahier des charges pour inclure une obligation du maintien d’agents à l’unité de production de Rivière-Pilote, n’aurait pas été suffisant. Toutefois, « il résulte de l’instruction que la société [requérante] avait proposé dans un courrier du 24 octobre 2013, soit antérieurement à la modification susmentionnée des conditions d’exploitation intervenue le 6 novembre, une alternative incluant le maintien à l’unité de Rivière-Pilote des agents qui y étaient en poste ». « Par suite, poursuit la CAA, l’irrégularité en cause, qui ne saurait avoir eu une influence sur le choix du délégataire, la société [requérante] ayant intégré dans son offre une telle option, n’affecte pas la validité de la convention litigieuse et n’appelle pas de mesures de régularisation ». Là encore, la juridiction s’est attachée à vérifier le préjudice causé par le manquement de l’établissement public à l’encontre de l’entreprise, conclut Me Roland de Moustier.