Journal intime d’acheteurs (1) : un métier de funambule

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Le métier d’acheteur public, au sens large, peut s’avérer compliqué. Parfois isolé au sein de sa structure, il peut être réconfortant de constater que l’on n’est pas seul au monde... Des acheteurs publics ont accepté de se confier sur la façon dont ils appréhendent leur profession.Témoignages anonymes pour discours sans langue de bois...

En cette période de rentrée, petite prise de température sur le métier d’acheteur public. Une profession et des missions en pleine évolution, certes. Mais comment cela se passe-il au quotidien ? Ce premier volet recueille les confidences d’acheteurs de différentes structures. L'acheteur public est ici entendu au sens large, incluant les chargés de marchés publics et fonctions assimilées. La matière est transversale au sein des établissements : une richesse et une diversité appréciées... mais aussi un facteur de complexité.
 

Un métier multi-casquette

Le métier est en pleine évolution et de plus en plus muti-casquettes. Le respect de la réglementation exige en effet un panel de compétences de plus en plus étendu. Une personne travaillant dans une grosse collectivité confie que, même dans une telle structure, il est parfois difficile de mettre en pratique l’ensemble des nouveautés et de traduire, concrètement, les réformes dans son établissement. Elle explique que la doctrine de la Direction des affaires juridiques de Bercy sur laquelle elle s’appuie, bien que pratique, peut aussi la conduire à se noyer dans un trop plein d’informations.

« Le métier même d’acheteur public reste dans une définition assez floue ; encore aujourd’hui, il n’est pas suffisamment défini... et reconnu » déclare un acheteur. Trouver des collaborateurs compétents est chose compliquée. D'abord, la fonction est parfois ardue à décrire dans la fiche de poste et le profil le plus adéquat pour la fonction difficile à définir. Ensuite, dans certaines collectivités, le grade proposé n’est pas à la hauteur de la fonction, ce qui ne facilite pas les choses. Un problème de formation initiale et continue est aussi signalé. Un défaut  d’identité et un manque de reconnaissance qui demeurent, même lorsque la personne est en poste.

Encore aujourd'hui, le métier même d’acheteur public reste dans une définition assez floue

Parmi les nouvelles aptitudes requises, la dématérialisation et l’open data sont pointés du doigt. Il n’est pas ici question de remettre en cause le bien fondé de la démarche : « c’est stimulant, car on sait que l’innovation naît souvent de la contrainte » déclare un acheteur. Les problèmes évoqués sont surtout liés à la charge de travail supplémentaire induite, l’accompagnement nécessaire des collaborateurs et l’impact sur les outils informatiques utilisés. Mais c’est aussi une difficulté liée à la compétence et à la nécessaire réorganisation du service.
 

Un métier d’équilibriste

« C’est un métier d’équilibriste, entre le juridique et l'achat » déclare un acheteur. «  De plus en plus, il nous est demandé, outre le volet juridique, d’intégrer une démarche achat avec une notion d’économie, au sens large » poursuit un autre. Car le temps passé sur un dossier doit cependant être raccourci. De même, si le prix doit baisser, la prestation doit rester équivalente. Les budgets contraints constituent un challenge de plus.

Mais ce point de stabilité n’est pas le seul à trouver. « Trouver l’équilibre entre exigences règlementaires, techniques, de terrain et politiques avec notamment un calendrier commun, c’est selon moi l'une des plus grandes difficultés car tous ces calendriers sont différents. ». Cette contrainte du calendrier revient de façon récurrente : « il nous est souvent demandé de réduire les délais au maximum, tout en respectant la réglementation ». Un autre ajoute la nécessite d'intégrer la performance achat dans cette équation à entrées multiples. Il confie que l’arbitrage entre toutes ces exigences, non seulement n'est pas toujours aisé à rendre, mais ne tolère pas l'erreur. Le métier est complexe, technique et la charge de travail très lourde.

Trouver l’équilibre entre exigences règlementaires, techniques, de terrain et politiques [...] c’est pour moi une des plus grandes difficultés

La mise en oeuvre de la réglementation participe de ce travail de funambule car il faut faire matcher des objectifs parfois a priori contradictoires. Se tenir à jour est aussi un défi : «  depuis 2006, je ne sais plus combien de réglementations j’ai vues, sans compter les autres lois qui viennent régulièrement impacter notre domaine ». Et pour solutionner un problème d’exécution, il faut se souvenir ou rechercher la règle de droit applicable à l’époque ! 
 

Un métier qui s’éloigne du terrain ?

Les enjeux actuels sont parfois un peu éloignés du terrain. La mutualisation notamment, citée  par un acheteur, est vécue d'abord comme une incitation à générer des économies d’échelle. Mais le Code général des collectivités territoriales (CGCT) se révèle archaïque, et sa réforme ne semble pas à l’ordre du jour. Par exemple, et très concrètement, il faut que chaque collectivité partie délibère ; mais les petites communes rurales tiennent un conseil municipal tous les 3-4 mois et pas aux mêmes dates. Il peut donc se passer beaucoup de temps avant de parvenir à lancer le marché...

Plus les achats sont mutualisés, plus il est difficile d’avoir un lien direct avec les services prescripteurs et les fournisseurs

Cet éloignement du terrain entraîne d’autres contraintes pratiques. « Plus les achats sont mutualisés, plus il est difficile d’entretenir des liens directs avec les services prescripteurs et les fournisseurs. Lorsque l’on travaille au niveau de sa structure, on se connaît tous » explique un acheteur.  Ainsi, lorsque l’acheteur lance des marchés pour la collectivité pour laquelle il travaille, il connaît la personnalité et le mode de fonctionnement de ses collègues et des services prescripteurs. Cela permet d’opérer un premier filtre sur les informations transmises... et parfois les réactions. Conséquence en chaîne, cet autre acheteur reconnaît demander plus d’écrits. Il explique aussi devoir user de plus de pédagogie et multiplier les échanges en amont, car il ne connaît plus aussi bien ses interlocuteurs.