Acheter local : ce n’est pas légal mais…

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La question n’est pas nouvelle. Mais elle revient en force avec la crise sanitaire : peut-on acheter local avec le code de la commande publique ? « Non mais…oui !» résume la réponse.

« L’objectif de la commande publique n’est pas de remplir le carnet de commande des entreprises locales, mais c’est bien de répondre à un besoin de la personne publique » avertit Me Emeric Morice (Cabinet Symchowicz Weissberg & associés). La préférence locale est clairement interdite, tant que les directives ne seront pas modifiées.

L’objectif de la commande publique n’est pas de remplir le carnet de commande des entreprises locales, mais c’est de répondre à un besoin de la personne publique


Le localisme est également proscrit parce qu’il est déconnecté du besoin intrinsèque de la personne publique. Les critères et conditions d’exécution doivent être en lien direct avec le besoin.
C’est donc de manière indirecte, par la satisfaction de son besoin, que le pouvoir adjudicateur pourra "favoriser" les entreprises locales. "Favoriser", au sens qu’elles pourront répondre avec une offre plus avantageuse techniquement et financièrement. « Le risque […] est d’avoir comme objectif d’aider le local et de créer un besoin de toute pièce pour cela » prévient Me Morice.
Me Nicolas Lafay (AD2P) rappelle également que le localisme est sanctionné tant par le juge administratif que par le juge pénal. Les acheteurs sont donc un peu frileux dans ce domaine et ils ont raison. Mais il l’assume : il existe « plusieurs leviers pour acheter local sans le dire ».
 

La clause d’interprétariat


me_nicolas_lafay_2.jpgLa notion de "local" doit être précisée. Si "local" veut dire "français", Me Lafay revient alors sur la clause d’interprétariat validée par le Conseil d’Etat en décembre 2017 (relire notre article « Coup de théâtre : la clause d'interprétariat validée »). Il n’est évidemment pas permis d’exiger un achat français, mais le périmètre géographique peut 

La clause d'interprétariat occasionne un coût supplémentaire pour les entreprises étrangères

être limité à la France, sans le dire, notamment dans les marchés de travaux. Il s’agit d’imposer le français sur les chantiers, ou au moins, qu’un interprète soit présent pour que le personnel qui ne parlerait pas français puisse se faire comprendre et comprendre les consignes. La clause occasionne donc un coût supplémentaire pour les entreprises étrangères…
 

L’allotissement


Même si le bénéfice escompté est moins directe que pour d’autres leviers, l’allotissement permet l’accès des PME (petites et moyennes entreprises) à la commande publique. Ce type de structures se positionnent en général sur des marchés de leur secteur géographique. Permettre aux entreprises de taille modeste de se positionner, c’est donc ouvrir la possibilité aux entreprises locales de remporter le marché.
 

Critères de jugement des offres et conditions d’exécution


me_emeric_morice.jpgEn matière de restauration collective et scolaire, se sont souvent les entreprises locales qui remportent la mise. La raison ? L’article R. 2152-7 du code de la commande publique (CCP) propose, entre autres, comme critères de sélection «les conditions de production et de commercialisation » et « les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture ».
Le respect de l’environnement, de la saisonnalité, les circuits courts (suppression des intermédiaires), l’approvisionnement rapide des denrées périssables... tous ces critères jugés par l’acheteur pour justifier de la qualité du produit permettent très souvent aux producteurs locaux de remporter le contrat.

Ces critères ne sont pas réservés 

Tous les critères destinés à justifier de la qualité du produit permettent très souvent aux producteurs locaux de remporter le contrat

aux marchés de restauration. Il faut cependant garder à l’esprit que les critères retenus par l’acheteur doivent être justifiés par l’objet du marché et ses conditions d’exécution. Il existe très peu de situations dans lesquelles « l’objet même du marché justifie que l’acheteur soit quasiment contraint d’acheter local » pour Me Lafay. Il cite néanmoins un exemple : les contraintes techniques du béton et de l’enrobé, qui imposent que la centrale soit nécessairement proche du lieu de réalisation de la prestation.

Implantation locale


Imposer que l’entreprise soit implantée localement est en soi illégal. Dans certaines situations particulières le besoin de la collectivité justifie cependant cette contrainte, selon Me Morice. Il donne l’exemple de délais d’intervention contraints en matière de maintenance ou de livraison. Leur valorisation par l’intermédiaire des critères de jugement des offres donne de meilleures chances de victoire aux entreprises qui disposent d'une antenne sur le territoire.
A noter que le juge n’autorise pas qu’une entreprise soit écartée parce qu’elle n’a pas d’antenne locale le jour où elle candidate. Le postulant peut démontrer qu’il va s’implanter sur le territoire pour réaliser la prestation. L’avocat précise également que dans le cadre des marchés de formation, il est possible d’exiger une antenne locale pour former les personnes localement.

Le juge entre rarement dans la pertinence de l’opportunité d’une

Le juge entre rarement dans la pertinence de l’opportunité d’une exigence technique

 exigence technique sauf si c’est excessivement grossier (par exemple : un délai d’intervention d’une demi-heure pour s’occuper des espaces verts). En revanche, dire qu’il faut une implantation locale car la tonte du stade doit être extrêmement régulière et avoir lieu toute les semaines prend tout son sens, selon l’avocat. Il met cependant en garde contre le risque d’absence de candidats si les conditions d’exécution sont inapplicables ou trop couteuses à mettre en oeuvre.
 

Le seuil de dispense de procédure


Le seuil de dispense de procédure de 40 000 euros (CCP, art. R. 2122-8) est un bon levier pour acheter local selon les avocats. Bien entendu, dans le respect de la réglementation...
Les seuils de 70 000 euros pour les travaux et de 100 000 euros pour les marchés de fourniture de denrées alimentaires introduits par le décret du 22 juillet 2020 (n° 2020-893) renforcent cette faculté d’acheter local (lire « 70 000 € et 100 000 € : de nouveaux seuils pour les marchés de BTP et de denrées alimentaires »).

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