Achats d’anesthésiants : sortez l’artillerie lourde !

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Avec l’arrivée de la deuxième vague, les acheteurs hospitaliers sont déjà sur les dents. Malgré les précautions prises par l’État qui a réquisitionné dès la fin avril cinq curares et hypnotiques indispensables en réanimation, ça va être pour le moins tendu. Trouver des anesthésiants va ressembler à la quête du Graal. Sans compter avec les recherches conduites sur les effets du BCG contre les formes graves de Covid dont les résultats doivent tomber dans les prochaines semaines. S’ils sont concluants, il va falloir sortir l’artillerie lourde pour s’en procurer.

Le 16 juillet dernier, Nicolas Coste tirait la sonnette d’alarme sur notre site. Le pharmacien de l’hôpital marseillais La Timone ne pouvait que constater l’aggravation constante des problèmes d’approvisionnements : « Le nombre de médicaments en rupture a été multiplié par dix depuis 2009, avec les acheteurs nous devons construire des consultations à géométrie variable pour faire face à une situation qui va s’aggravant ».

Fin avril, l’État a réquisitionné la production de cinq médicaments indispensables en réanimation, deux hypnotiques et trois curares, imposant dans le même temps aux hôpitaux de se constituer trois semaines de stock de crise en plus de leur stock habituel

Depuis, le Covid est passé par là. Une première vague au printemps, une seconde aujourd’hui. Si dans les ARS et à la Direction générale de la santé on se veut rassurant, dans les hôpitaux et les groupements hospitaliers de territoires (GHT), ce n’est pas le même son de flûte.

Pour les acheteurs hospitaliers, mettre la main sur certains médicaments relève toujours du parcours du combattant. Au plus fort de la première vague, tout le monde courait après, et aujourd’hui... certains acheteurs courent encore. Exemple avec les curares et les hypnotiques. Fin avril, l’État a réquisitionné la production de cinq médicaments indispensables en réanimation, deux hypnotiques et trois curares, imposant dans le même temps aux hôpitaux de se constituer trois semaines de stock de crise en plus de leur stock habituel : « Impossible, s’écrie le directeur des achats d’un GHT de la région parisienne, l’État est passé avant nous. C’est exactement comme pour les équipements de protection induviduelle :  je n’ai pas pu constituer dans les délais le stock de crise dont je devais disposer en plus de mes stocks habituels ! ».
 

Des notices en russe ou en chinois


La tendance est d’aller au moins-disant financier, or nous avons souvent des surprises tant au niveau qualitatif que quantitatif

À l’hôpital de La Timone, nous avons donc repris contact avec Nicolas Coste afin de faire un point au regard de l’évolution de l’épidémie, même si, à la vitesse où elle se développe, ce qui est vrai aujourd’hui risque de ne plus l’être demain : « La tendance est d’aller au moins-disant financier, déplore-t-il, or nous avons souvent des surprises tant au niveau qualitatif que quantitatif lorsqu’il y a des problèmes de production comme c’est le cas actuellement, les matières premières ne sont pas sourcées en France, les principes actifs viennent d’Inde ou de Chine… ».
Et pour lui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les réquisitions sur les anesthésiants n’arrangent rien : « Même s’il y a une véritable volonté de sécuriser, entre les réquisitions et les alternatives pharmaceutiques, on ne peut rien prévoir, on y va souvent à l’aveugle ».
Et de prendre un exemple : « Le cisatracurium est un curare non-dépolarisant utilisé en réanimation dosé à 150 mg, or nous le recevons dans des dosages de 5 ou 10 mg, nous sommes donc face à des risques d’erreurs d’autant plus importants que l’étiquetage est le plus souvent rédigé en russe ou en chinois». Comme tous les pharmaciens hospitaliers n’ont pas fait "langues O", on peut comprendre ses inquiétudes ! Quant aux acheteurs qui maitrisent le mandarin ou la langue de Bakounine, on peut les compter sur les doigts de la main…
 

La DGS veut calmer le jeu


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Du côté de l’État, on veut calmer les inquiétudes des professionnels de santé et des acheteurs

Si les pharmaciens sont sous pression, les acheteurs ont des raisons de l’être tout autant, comme le prophétise Nicolas Coste : « Lors de la première vague, nous avons épuisé en un mois et demi l’équivalant de notre consommation annuelle d’anesthésiants ! ». Côté prix, ça s’envolait également : « de 450% à 700% d’augmentation selon les références » déplore un acheteur du Grand Est qui ne voit pas de baisse significative se profiler à l’horizon, même s’il pense qu’en réquisitionnant, l’État dispose d’une force de frappe sans commune mesure avec celle des hôpitaux et des GHT.
Du côté de l’État, on veut calmer les inquiétudes des professionnels de santé et des acheteurs, rappelant la réquisition opérée au printemps sur cinq anesthésiants, comme nous le précise la Direction générale de la santé que nous avons interrogée : « Les stocks dont dispose l’État pour ces deux hypnotiques et les trois curares correspondent à la prise en charge de 29 000 patients en réanimation ». Chef du service de réanimation de la clinique Ambroise-Paré, à Neuilly-sur-Seine, Pierre Squara s’interroge pourtant : « À quoi correspond ce chiffre quand on sait que la durée moyenne de séjour en réanimation est de dix jours ? » avant de préciser : « Et pour la première vague, elle était supérieure ». En effet, une étude de l'AP-HP effectuée en avril indiquait que dix jours après leur admission, 58 % des patients étaient encore en réanimation.
Toutefois, contactée par nos soins, la Direction générale de la santé nous confirme que ses stocks de de sécurité de curares et d’hypnotiques permettent bien de prendre en charge 29 000 patients pour la durée moyenne de séjour en réanimation de 10 jours.
 

Anticiper sur la recherche ?


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Si les résultats des études conduites sur le BCG sont concluants,  pour les acheteurs, ça va être la ruée vers l’or.... À part qu’on n’en produit plus en France !

Les acheteurs peuvent se préparer à d’autres “nervous breakdowns”, pour reprendre une expression de Raoul Volfoni dans "Les Tontons Flingueurs". En effet, huit études cliniques sont conduites dans le monde, dont une en France, sur les actions du BCG contre les formes graves de Covid, comme nous le confirme Didier Payen, professeur d’anesthésie-réanimation à Paris 7, ancien chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Lariboisière, à Paris. Avec Laurent Lagrost, directeur de recherche à l'Inserm, il travaille sur la piste de l’immunité entraînée et de la mémoire immunitaire, conférée notamment par les vaccins vivants comme le BCG, pour prévenir les formes sévères ou critiques de la maladie.
Ensemble, ils ont signé, notamment dans le Quotidien du Médecin, plusieurs articles sur le sujet : « Le BCG génère une défense immunitaire contre les formes graves de Covid, explique-t-il, les sujets qui ont été vaccinés depuis moins de 20 ans conservent des cellules mémoire qui jouent encore leur rôle ». Les premiers résultats des études conduites dans le monde devraient tomber dans les prochaines semaines.

Mais les pouvoirs publics suivent-ils de près les études scientifiques conduites par les chercheurs ? Interrogée sur ce point, la direction générale de la santé nous répond : « Une cellule à la DGS est effectivement chargée de suivre les résultats des essais cliniques et assure un lien avec l’ANSM concernant les stocks français en produits évalués dans le cadre des essais cliniques ».

Si les résultats des études conduites sur le BCG sont concluants, autant dire que pour les acheteurs, ça va être la ruée vers l’or. À part qu’on n’en produit plus en France, où le vaccin n’est plus obligatoire depuis 2007… Un conseil ? Allez faire votre sourcing du côté du Danemark…

 
Crédits photos : 
Pierre Squara, chef du service réanimation de la Clinique Ambroise-Paré  © Nathalie Courau Roudier
Didier Payen, professeur d’anesthésie-réanimation à Paris 7. ©APHP