[Tribune] MGP avec tiers financement : l’enfer est pavé de bonnes intentions…

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Elle n’est pas encore votée que la proposition de loi ouvrant le tiers financement aux collectivités publiques fait débat. Selon Maître Grégory Berkovicz, l’autorisation du paiement différé dans le cadre d’un marché global de performance, telle qu’elle est envisagée dans le texte, ne rend pas davantage attractif ce montage contractuel. Pire, il serait même moins intéressant que le marché de partenariat. Explication…

Le marché global de performance (MGP) énergétique à paiement différé est un texte « serpent de mer ». En effet, on en trouve la trace, il y a déjà plusieurs années dans des tentatives d’amendements de divers textes législatifs ; tentatives auxquelles l’auteur de ces lignes a d’ailleurs activement participées. Ces propositions rédactionnelles faites à divers parlementaires ou lobbyistes ne lui donnent aucun droit sur le texte final... mais lui confèrent au moins une certaine capacité critique sur le résultat.
 

Une volonté de massifier le CPE


Ce texte vise à massifier le recours au contrat de performance énergétique (CPE) par l’Etat et les collectivités locales pour la rénovation du patrimoine immobilier public dont ils ont la charge. Il est le fruit d’une nécessité tirée tout à la fois de l’augmentation massive du prix de l’énergie, des objectifs de décarbonation de la France et du retard considérable du patrimoine immobilier public français en ce domaine.

Pour cela, la proposition de loi n° 574 visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique, porté par la député Renaissance Aurore Bergé, devrait être adoptée prochainement. Il pose le principe, juste selon nous, de la nécessité d’adosser un CPE ambitieux à un financement porté par le titulaire dudit contrat, et a surtout pour objet de contourner la mauvaise réputation du marché de partenariat ou PPP. Or, c’est une première erreur aux yeux du juriste cartésien : pourquoi inventer un outil alors même qu’un outil similaire existe déjà ? Mais au juriste rigoureux répond le praticien pragmatique : si cela permet de débloquer des projets de rénovation énergétiques par ailleurs indispensables, alors… pourquoi pas !

La proposition de loi n° 574 a surtout pour objet de contourner la mauvaise réputation du marché de partenariat ou PPP. Or, c’est une première erreur aux yeux du juriste cartésien...

Au-delà de cette ambiguïté primordiale, le texte connaît malheureusement bien d’autres limites qui seront autrement plus difficiles à surmonter que ce reproche de création d’un quasi-doublon.
D’ailleurs, en fin politicien, le Ministre de de la Transition écologique Christophe Béchu a déjà répondu en indiquant que ce nouveau modèle portait une différence fondamentale avec le marché de partenariat puisque la maîtrise d’ouvrage demeurera dans ce MGP à paiement différé du côté de la collectivité.
 

Pas de transfert de la maîtrise d’ouvrage


Mais c’est justement le problème majeur de ce qui sera prochainement la Loi Bergé : la maitrise d’ouvrage est en MGP portée par la personne publique et non le titulaire du contrat comme en marché de partenariat ou en concession. Cette notion de maîtrise d’ouvrage, typiquement française, comporte de nombreuses conséquences pratiques, notamment sur le plan assurantiel et de la responsabilité. En effet, il appartient au maitre d’ouvrage de fixer les prescriptions des travaux à réaliser. Or, lorsque vous transférer comme en MGP la conception, la réalisation, la maintenance et que vous entendez assortir le tout d’engagements de performance énergétique sous la forme d’obligations de résultats, il est bien difficile pour le donneur d’ordre de définir en amont avec précision les prescriptions techniques. Tout au plus peut-il établir la définition de son besoin sous la forme d’un programme fonctionnel des besoins.

On ne peut transférer la responsabilité à l’opérateur de manière complète qu’en lui transférant la maitrise d’ouvrage

On envisage dès lors immédiatement la première faiblesse du dispositif : on ne peut transférer la responsabilité à l’opérateur de manière complète qu’en lui transférant la maitrise d’ouvrage. En conservant la maîtrise d’ouvrage, la personne publique s’exposera à des actions récursoires en cas de sous-performance, sur le fondement des défaillances initiales de ses prescriptions et les litiges assurantiels et juridictionnels qui en découleront seront (et sont déjà en matière de MGP) d’une complexité et d’une incertitude insondable. Mais il y a plus grave.

En effet, le texte(sous la pression évidente de Bercy) prévoit l’obligation de réaliser un rapport d’évaluation préalable, comme pour la passation d’un marché de partenariat (CCP, art. L.2212-1 et L.2212-2). Or, l’objet de ce rapport est de « comparer les différents modes envisageables de réalisation du projet » de performance énergétique.

Et dès lors que le transfert de maîtrise d'ouvrage est autorisé en marché de partenariat, mais ne l'est pas dans le cadre du marché global de performance, la comparaison entre deux montages quasiment identiques, dont ce transfert est la principale différence, conduira à l’issue d’une analyse des risques sérieuses à préférer le marché de partenariat !
 

Le marché de partenariat : le grand vainqueur ?


Pourquoi ? Parce qu’on sait qu'à l'issue d'un rapport d'évaluation préalable, c'est la "matrice des risques", c'est-à-dire l'analyse des risques portés par la personne publique à l'issue du montage contractuel, qui suscite la prévalence de tel ou tel montage. Il apparaît alors évident qu'à l'issue de cette comparaison, le marché de partenariat de performance énergétique sera systématiquement supérieur (toutes choses égales par ailleurs) au marché global de performance, puisque les risques portés par la personne publique dans ce dernier seront toujours supérieurs à ceux portés par la personne publique dans le cadre d'un marché partenariat.

En outre, en ne prévoyant pa,s comme pour le marché de partenariat (et la concession également), que la durée du contrat « est déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues » (CCP, art. L.2213-2), le texte limite de facto la durée du MGP énergétique avec tiers financement à une durée maximale de dix ans : la comparaison avec le marché de partenariat sera encore plus sévère, puisque la durée du contrat est un autre élément déterminant de la répartition des risques.

En soumettant le marché global de performance aux mêmes contraintes d’évaluation que le marché de partenariat, mais sans possibilité de transfert de la maitrise d’ouvrage, ni celle d’une durée supérieure à dix ans, on limite sévèrement l’utilité qu'aura ce nouveau contrat dans le cadre de la massification escomptée.

En soumettant le marché global de performance aux mêmes contraintes d’évaluation que le marché de partenariat, mais sans possibilité de transfert de la maitrise d’ouvrage, ni celle d’une durée supérieure à dix ans, on limite sévèrement l’utilité qu'aura ce nouveau contrat dans le cadre de la massification escomptée

L’ajout louable au Sénat de la précision selon laquelle la comparaison doit démontrer que « le recours à un tel contrat est au moins aussi favorable ou plus favorable que le recours à d’autres modes de réalisation du projet » ne réglera que très partiellement la difficulté, tant l’écart risque d’être important.


Cela constitue une fois de plus la démonstration que, partant d'une idée louable et plutôt inventive visant à contourner un problème sémantique en France, celui du partenariat public-privé, la surrèglementation et l'amour des normes qui sont nôtres conduisent une fois de plus à créer un outil dont il est fort probable que peu de collectivités pourront se saisir « massivement ».

Pour conclure sur une note d’espoir, cette initiative parlementaire d’Aurore Bergé aura ouvert un débat indispensable quant à l’importance et l’urgence de la rénovation énergétique des bâtiments publics. Il faut saluer sur ce point l’activisme de la Ministre Agnès Pannier-Runacher et la mobilisation unanime des deux assemblées.
Elle aura aussi permis une prise de conscience de l’utilité du contrat de performance énergétique dans le cadre d’une massification de la rénovation immobilière.
Enfin, peut-être est-ce que le génie des services immobiliers de l’Etat et des collectivités territoriales, et l’expertise des praticiens du secteur, sauront passer outre ces obstacles et réaliser les investissements indispensables par le biais de ce nouvel outil de la commande publique à leur disposition.