Commande publique : pourquoi ils ont réinventé l’eau tiède

  • 25/06/2020
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"La technique la plus parfaite est celle que l'on ne remarque pas"
Pablo Casals


La Convention citoyenne pour le climat a donc rendu publiques, le 21 mai, 149 propositions, à l'issue de neuf mois de travaux. Une assemblée de 150 citoyens, tirés au hasard, mais avec une lettre de mission pour le moins "ouverte". Selon certains juristes, « au final, ce rapport s’assimile à un catalogue de bonnes intentions », qui plus est  plombé par un « manque d’audace ». Mais finalement, peu importe ! L’idée initiale, c’était de puiser des idées "sans filtre", non ? Et de toute façon, quel serait le risque ? Le professeur Dominique Rousseau, constitutionnaliste, a immédiatement rappelé sur les réseaux sociaux enfiévrés que ces propositions ne pourraient prospérer qu’à la condition de bénéficier d’un relai institutionnel… Alors, qu’en retenir ? Les leçons "commande publique" de la Convention citoyenne pour le climat sont à deux étages.
 

Fil à couper le beurre

Parmi les 149 propositions, certaines concernent, à des degrés divers, la commande publique : développement  des circuits  courts et de l’achat de proximité ; création d’un crime d’écocide (sur la question réccurrente de la commande publique "face" au droit de l'environnement, relire "Les délinquants environnementaux peuvent toujours candidater à un marché public") et, surtout, renforcement du critère environnemental dans les marchés publics,«  intervenant au minimum pour 20 % de la note. » Une proposition enrichie d'un voeu : que « la valeur écologique viennent concurrencer la valeur économique ». En matière d’alimentation, l’idée serait de généraliser les produits issus des circuits courts de proximité, durables et de saison. Pour ce faire, la Convention suggère de passer par le levier de la commande publique et d'assurer la diffusion d’un "guide d’achat" à adresser aux acheteurs publics.
Allez lançons-nous : est-ce qu’ils n’ont pas inventé le fil à couper le beurre (bio), là ? Aucune de ces idées n'est nouvelle pour un acheteur public : circuit court, achat local, clauses environnementales : tout ça, vous connaissez ! Et puis… un guide… encore un !
Sauf que, en deuxième lecture, il n’y a pas de quoi sourire…
 

La technicité, atout ou handicap ?

Ce que révèle vraiment cette convention, c’est que les "citoyens" n’ont aucune idée des nombreux ressorts et lignes de tensions qui animent la commande publique. A examiner leurs propositions, l’achat public resterait une technique cantonnée au moins disant, déconnectée des enjeux. Prise en compte du coût de cycle de vie, pondération et notation des critères, RSE : ils  ne font aucun lien entre leurs préoccupations et les mécanismes de la commande publique. Mais est-ce de leur faute ?

Il faut reconnaître qu’un achat public bien mené peut atteindre des niveaux de technicité élevés, qui confinent à l’ultra spécialisation. Cette semaine, nous avons poursuivi notre étude sur la conception  économique de l’achat public (lire « La méthode de notation qui ferait économiser des milliards d’euros" et relire "Choix des critères d’appréciation et de leur pondération : une méthode pertinente à découvrir"). "Procédés de notation", "Evaluation des écarts de valeur", "Valeur et coûts additionnels…" Pas si simple ! Et encore moins si on se lance dans la pondération et la notation des critères techniques (relire "Notation de la valeur technique : "une méthode des « ratios » à ne pas balayer d’un revers de main !" ou encore "Notation de la valeur technique : la méthode des « ratios »est-elle une alternative opportune ?").
La technique bien maîtrisée est certainement indispensable pour mener un bon achat public... mais pas nécessairement à la portée de tous les citoyens. Une technicité telle que certains s’en sont alarmés dans nos colonnes à plusieurs reprises (relire "Les acheteurs usent de méthodes de notation innovantes parfois illégales" et « [Tribune] Et si on érigeait en principes généraux de la commande publique le pragmatisme, l’efficacité et le bon sens ?).
 

Naïveté... ou invisibilité ?

D’où cette seconde interrogation : plutôt que de fustiger la naïveté de certaines "propositions citoyennes" ou leur absence d’ambition, peut-être faut-il d’abord s’interroger sur cette méconnaissance générale de la commande publique. Il ne s’agirait pas seulement de briser les poncifs liés au volet droit pénal de la commande publique (relire Quand l’épée de Damoclès devient bouclier). Il s’agit aussi de communiquer sur ce qu’est l’achat public auprès de ces mêmes citoyens ; sans se cacher derrière la technicité au risque de masquer les enjeux ou en quête de légitimité.  
Ajoutons alors une proposition  (une variante ?) à celle de la rédaction d’un guide pour les acheteurs publics : et si l’on contraignait les acheteurs publics à se montrer pédagogiques et à expliquer, non pas "comment" ils font, mais "pourquoi" ils font ?

Une autre solution, plus simple, c’est peut être de candidater aux Trophées de la commande publique, dont la 13e édition s'ouvre ce 1er juillet.
S'i l'on s'ent tient aux retours de quelques lauréats des éditions précédentes (lire "Trophées de la commande publique 2020 : les 1001 raisons (au moins) d'y participer"), les TCP, organisés par achatpublic.com, permettent de faire passer nombre de messages : « Cela donne une  bonne image aux usagers de l'utilisation de l'argent public » ; mais aussi : « Cela nous a permis d’envoyer un message fort sur les attentes écologiques et qualitatives des acheteurs publics »...
 
Jean-Marc Joannès