Recours Tarn-et-Garonne : le préfet touché par la grâce

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Prolonger le délai de deux mois pour contester la validité d’un contrat administratif devant le juge à la suite d’un recours gracieux est-il toujours possible lors d’un déféré préfectoral ? Depuis la création du recours « Tarn-et-Garonne » ont émergé deux jugements contraires. Le premier est de ne pas faire d’exception pour le préfet et d’appliquer les mêmes délais à l’ensemble des tiers. Le second considère cette dérogation justifiée par la distinction des modalités de ce recours du régime législatif du déféré.

« Le déféré préfectoral n’est pas un recours "Tarn-et-Garonne" comme les autres », déclare Clément Gourdain, avocat collaborateur du cabinet Cornet Vincent Segurel. La dissolution de cette saisine dans le régime de plein contentieux a laissé place à des interrogations. Notamment celle-ci : une prolongation du délai de saisine du juge pour le représentant de l’Etat après un recours gracieux est-elle encore envisageable ? En effet, la haute juridiction est restée muette sur cette question. Des divergences sont donc apparues. Le tribunal administratif de Nice dans son jugement du 8 avril 2016 n’a pas distingué le représentant de l’Etat des autres tiers. Il a appliqué stricto sensu les modalités dégagées en cas d’un recours portant sur une contestation de la validité d’un contrat administratif. En l’espèce, la communauté d’agglomération de la Riviera française (CARF) avait alloti en sept lots une opération de traitement des déchets ménagers et assimilés. L’ensemble des marchés a été transmis et reçu à la préfecture des Alpes-Maritimes, le 4 septembre 2014 et un avis d’attribution a été publié le 10 octobre. Dix-neuf jours après, le représentant de l’Etat dans le département a adressé au président de l’intercommunalité une lettre d’observation relevant plusieurs irrégularités.

Après avoir réceptionné le 14 novembre le refus de résilier lesdits contrats, le préfet a déposé alors une requête devant le tribunal administratif le 13 janvier 2015. La juridiction a déclaré le recours irrecevable au motif que la requête était forclose, en se fondant uniquement sur cette disposition dégagée par l’arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat département du Tarn-et-Garonne : « tout tiers à un contrat administratif (…) est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité, (…) ; que ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées » soit dans les faits à partir du 10 octobre 2014. Le préfet interjette appel. A l’époque, Me Clément Gourdain avait estimé dans nos colonnes que « compte tenu de la nature particulière du déféré préfectoral, une telle solution n’allait pourtant pas de soi » (cf l'article du 9 juin 2016 en lien en bas de page).

Une dérogation pour le préfet


Contrairement à la juridiction du premier ressort, la CAA de Marseille estime que les modalités du recours "Tarn-et-Garonne" n’ont pas de conséquence sur le délai ouvert au préfet. Le déféré préfectoral fait l’objet d’un régime légal particulier (article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales). Pour la CAA, le délai de recours du préfet, dans le cadre de son déféré, est prolongé à la suite d’un recours gracieux. Dans la présente affaire, la juridiction considère que le délai de deux mois n’a pas commencé à courir à partir de l’avis d’attribution, mais au moment de la réponse négative de l’intercommunalité, c’est-à-dire à partir du 14 novembre. Elle accepte la recevabilité du déféré et annule le jugement et les contrats contestés. La CAA reconnaît les irrégularités invoquées par l’appelant.  « Le préfet est donc le seul « tiers-requérant » à bénéficier d’une telle dérogation », commente Me Clément Gourdain. Qui se justifie en raison du contrôle de légalité qu’il exerce. Si les autres ont la possibilité de faire une demande gracieuse, elle n’impacte pas le délai contentieux. En outre, décorréler les délais de cette phase amiable de ceux de la saisine du juge aurait pour effet d’alourdir les contentieux, avance Clément Gourdain. L’arrêt du juge d’appel fait écho au jugement du tribunal administratif de Nantes rendu à la même période (25 mai 2016). La prolongation du délai contentieux donnée au préfet à la suite d’un recours gracieux existait depuis une trentaine d’années avant la dissolution du déféré dans le régime du plein contentieux. La position de la CAA maintient cette particularité. Mais pour l’avocat, l’unification des voies de recours réalisée dernièrement avec la décision "Tarn-et-Garonne" commence déjà à se fissurer.