Résiliation partielle : le rétablissement du contrat par le juge n’est pas d’office

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Le Conseil d’Etat va-t-il ordonner le rétablissement d’une délégation à la suite de la résiliation partielle par le concédant ? L’entreprise concessionnaire demande d’étendre la jurisprudence « Béziers II » en raison du caractère préjudiciable de cette mesure. Cette affaire a permis au rapporteur public devant le Conseil d’Etat de rappeler l’office du juge en cas de modification et de résiliation unilatérale d’un contrat par l’administration, et de s’attarder à nouveau sur la portée de cet arrêt.

La résiliation partielle unilatérale de la concession d’exploitation du parc de stationnement du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou n’a dans les faits rien d’exceptionnel. En revanche, l’importance de cette affaire résulte dans l’application ou non de la jurisprudence « Béziers II » (CE, 21 mars 2011, n°304806) lors d’une résiliation partielle illégale. Le juge administratif peut-il régulariser une telle mesure d’exécution de l’administration et faire droit à la demande du cocontractant de la reprise des relations contractuelles ? Le 23 octobre dernier, le rapporteur public devant le Conseil d’Etat Olivier Henrard nous a fait (re)plonger dans les abîmes du droit des contrats administratifs. Le 27 janvier 1999, la société Les fils de Mme Geraud obtient cette délégation pour une durée de trente ans. Le parc de stationnement est composé d’une partie réservée aux véhicules légers et d’une autre destinée à accueillir les autocars de tourisme. A charge pour le concessionnaire de se rémunérer auprès des usagers et des annonceurs de publicitaires. Dans une décision du 15 mai 2013, l’établissement public retire unilatéralement la gare routière du périmètre de la convention. La société estime son préjudice à 2 550 000 € sous déduction de la redevance due au Centre Georges Pompidou en raison de l’occupation du domaine public. Des pourparlers sont engagés, sans succès, par le cocontractant. Après un échec devant les juridictions du fond, la société se pourvoit alors en cassation. Elle sollicite l’annulation de la décision et l’indemnisation des préjudices imputables à cette mesure unilatérale.

Droit à indemnité du cocontractant


Pour mémoire, l’administration peut mettre fin unilatéralement à une convention en absence de texte (CE, Assemblée, 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval) et ne peut s’engager à y renoncer (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat…). Olivier Henrard a entamé ses conclusions en se référant à l’arrêt Goguelat de la haute juridiction du 20 février 1868 : l’annulation de la décision de résilier un contrat administratif ne peut être a priori prononcée par le juge administratif. La portée de cet arrêt va être étendue à l’ensemble des contrats administratifs et à tous les actes d’exécution du contrat : mesures d’application – mesures de modification – mesures de résiliation. « Le juge des contestations relatives aux marchés administratifs n’a pas le pouvoir de prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration à l’encontre de son cocontractant ; qu’il lui appartient seulement de rechercher si ces actes sont intervenus dans des conditions de nature à ouvrir au profit de celui-ci un droit à indemnité » (CE, 24 novembre 1972, 84054, ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau). L’administration doit pouvoir toujours se défaire d’un cocontractant dont elle ne veut plus à condition d’être prête à en payer le prix : telle est l’idée de ces jurisprudences.

Rétablissement antérieur uniquement en cas de résiliation irrégulière


Mais la portée de l’arrêt Goguelat a été réduite avec les décisions « Béziers I et II » qui interviennent dans un contexte où le juge administratif entreprend depuis les années 2000 une refonte des modalités contentieuses pour les parties et les tiers à l’encontre des contrats administratifs. Le rapporteur public rappelle d’abord l’existence d’une exception ancienne à ce principe pour les contrats de concession (CE, 8 février 1878, Pasquet et CE, 20 janvier 1905, Compagnie départementale des eaux et services municipaux), avant d’en venir à Béziers I. Le Conseil d’Etat a redéfini l’office du juge. Dorénavant si la mesure est irrégulière, le juge administratif peut prononcer la résiliation, l’annulation du contrat ou encore la poursuite de l’exécution après régularisation sans toutefois pouvoir annuler la décision de résiliation - sous certaines conditions - (CE, Assemblée, 28 décembre 2009). Si « la sanction d’un usage irrégulier de ce pouvoir ne doit être, en toute hypothèse, que pécuniaire, c’est en réalité reconnaître à l’administration la possibilité de se soustraire au principe de légalité », déclarait Emmanuelle Cortot-Boucher lors de l’audience de l’épisode II. Le Conseil d’Etat dans son arrêt de section du 21 mars 2011 continue sur sa lancée en élargissant l’office du juge. Dorénavant, il peut annuler la décision de résiliation irrégulière et par conséquent faire droit à la demande de reprise du cocontractant. Cette faculté est toutefois encadrée : une telle reprise ne doit pas être de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse. En revanche, les autres mesures de l’administration sont soumises à la jurisprudence Goguelat, a insisté le rapporteur public.

Pas de résiliation partielle


Pour le requérant, la jurisprudence « Béziers II » doit être étendue dans le cadre d’une résiliation partielle irrégulière en raison des conséquences financières de cet acte. Mais la cour administrative d’appel (CAA) de Paris, dans son arrêt du 28 juin 2016, tout comme le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 19 juin 2014, répondent par la négative. Ils ne reconnaissent pas la mesure adoptée par le Centre Georges Pompidou comme une résiliation. Olivier Henrard a le même point de vue. Selon lui, il ne peut exister de résiliation partielle. Soit le contrat est résilié, soit il est modifié. Dans ce cas, « le juge saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution du contrat autre qu’une résiliation, peut seulement rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité » avance la CAA de Paris. Olivier Henrard exhume le célèbre arrêt Compagnie générale française des tramways du 11 mars 1910 en rappelant le principe de mutabilité du service public. Il rappelle également les conclusions suivantes du commissaire du gouvernement Léon Blum : « il est évident que les besoins auxquels un service public doit satisfaire, et, par suite, les nécessités de son exploitation, n’ont pas un caractère invariable ». Toutefois, la modification ne doit pas être substantielle et bouleverser l’équilibre financier du contrat. Et si la mesure est illégale, comme le prétend, en l’espèce, la société requérante, Olivier Henrard met en avant le double choix s’offrant au cocontractant : l’accepter ou demander la résiliation de la convention au juge avec une indemnisation. Attention ! Si la convention est illégale, un tiers est recevable à former devant le juge du contrat une requête pour y mettre un terme (s’il est susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision de l’administration refusant de faire droit à sa demande). Olivier Henrard mentionne ainsi la décision CE du 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (commenté dans nos colonnes par Alain Ménéménis, voir article en lien en bas de page). Cependant le rétablissement antérieur du contrat de délégation du service public n’est donc pas possible. Affaire à suivre.

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