Référé : l’accusé de réception de télérecours sinon rien

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Cette ordonnance de tribunal administratif va faire du schproum chez les professionnels du droit. Un référé précontractuel a été écarté par un magistrat au motif que le cabinet d’avocats n’avait pas, lorsqu’il avait informé l’acheteur de sa requête synonyme de suspension de la signature du contrat, joint l’accusé de réception de son dépôt sur la plateforme de télérecours.

Au départ de ce contentieux, la  Société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM), candidat évincé, soutenait que le groupement retenu par l’hôpital de Fréjus-Saint-Raphaël  dans le cadre d’un marché d’assurance ne disposait pas de l’agrément « protection juridique ». Mais c’est finalement autour d’une question de procédure que va se cristalliser le litige. En effet, l’établissement de santé argue, pour sa défense, que le référé précontractuel n’est pas valide. Le marché a été signé le 23 décembre 2017 et le pouvoir adjudicateur n’a été informé officiellement par le greffe du tribunal administratif que le 26 du même mois à midi. Le requérant a certes envoyé un courriel et une télécopie le 21 décembre à l’hôpital, toutefois cette communication d’intention d’introduire un référé précontractuel n’était pas accompagné d’un accusé de réception du dépôt de la requête sur l’application télérecours, document en théorie généré immédiatement et automatiquement. La défense avance que les exigences posées par le code de justice administrative n’ont donc pas été respectées : aux termes de l’article 551-1, le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur et non un projet de recours. La SHAM demande alors la requalification du référé précontractuel en référé contractuel puisque le marché a été signé alors que l’hôpital avait été notifié du recours.  Mais la défense expose de nouveau que cette requête est irrecevable pour les mêmes motifs. Considérant que  l’accusé de réception de la requête sur télérecours, « seul élément de nature à établir la saisine du tribunal »,  n’a pas été joint, le juge accepte l’argument et blackboule les demandes du SHAM.

Cette solution n’a rien de choquant dès lors qu’elle correspond à la pratique en vigueur en cas de saisine du juge du référé précontractuel judiciaire

« Pour qu’il y ait recours, encore faut-il que la juridiction administrative ait été préalablement saisie. Et il n’y a pas de suspension possible sans saisine préalable du tribunal. Il appartient donc à l’auteur du recours de justifier de cette saisine auprès de l’acheteur public en produisant une copie du certificat de dépôt de sa requête via l’application informatique télérecours. Comme l’indique le rapporteur public Gilles Pellissier dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 2017 (Sté des Eaux de Marseille, req.n°403614), le requérant y compris représenté par son mandataire doit faire « le maximum de diligences » pour que « le pouvoir adjudicateur ait connaissance de la saisine de la juridiction administrative ». A défaut, l’acheteur public sera informé par le greffe du Tribunal mais avec le risque qu’à cette date le contrat soit déjà signé », plaide Me Sébastien Palmier, avocat du cabinet Palmier Brault et associés (photo ci-contre). maitre_palmier.jpg« Cette solution n’a rien de choquant dès lors qu’elle correspond à la pratique en vigueur en cas de saisine du juge du référé précontractuel judiciaire où la suspension de la signature du contrat ne court qu’à compter de la notification par voie d’huissier de justice d’une copie de la requête accompagnée de la date d’audience fixée par le juge qui prouve la saisine de ce dernier », poursuit-il, «  la solution rendue est donc bienvenue puisqu’elle s’aligne donc sur la pratique judiciaire. Elle est d’autant moins choquante au regard du principe du contradictoire qu’il incombe déontologiquement à l’avocat de produire tous les justificatifs de ses diligences auprès de la juridiction à l’égard de son futur adversaire ».


Une interprétation très sévère


Plusieurs de ses confrères ne partagent pas forcément son avis.  La décision laisse par exemple « perplexe » l’avocat Aymeric Hourcabie. De son côté, Antoine Woimant, du cabinet MCL, n’en revient pas. Dans la pratique, il fait l’inverse. Il alerte le pouvoir adjudicateur en lui demandant de surseoir à la signature du contrat puis signifie au TA qu’il a bien informé l’acheteur du recours.  « La solution est un peu dure », estime pour sa part Hervé Letellier, avocat au cabinet Symchowicz & Weissberg. D’autant que rien dans les textes ne prévoit d’imposer une copie de l’AR de l’envoi à la plateforme télérecours, ajoute-t-il. lafay_nicolas_mrs9424_1_0.jpg« C’est une interprétation extrêmement sévère des textes », confirme Me Nicolas Lafay (photo ci-contre), « c’est en tout cas la première fois que je vois une telle position prise par le juge s’agissant de la notification de la requête à l’acheteur. Je fonctionne toujours comme l’a fait en l’espèce le conseil de la société requérante mais je vais modifier ma pratique. » « A bien y réfléchir qu’est-ce qui prouve au pouvoir adjudicateur que le référé est enregistré devant le TA et que donc, la signature du marché est suspendu, si l’AR de télérecours (ou du fax au tribunal avant) n’est pas communiqué en même temps que la requête ? Rien », concède Julien Bonnat, avocat du cabinet Avoxa.

C’est en tout cas la première fois que je vois une telle position prise par le juge s’agissant de la notification de la requête à l’acheteur

Lequel estime toutefois que l’esprit des textes est celui de l’information simultanée (tribunal/acheteur) et non celui de la preuve d’un enregistrement capable de suspendre la signature du marché.  En filigrane se pose la question de la bonne foi des avocats. « J’ai déjà été informé une fois par un confrère d’une supposée requête qui n’a jamais été introduite et qui a paralysé l’acheteur, reconnaît Hervé Letellier, mais c’est très rare ». « Dans ses conclusions sur l’arrêt du 17 octobre 2016, Ministre de la Défense, le rapporteur public Gilles Pellissier précisait que : « le point de départ du délai de suspension court à compter de la date à laquelle l’introduction du référé a été portée à la connaissance du pouvoir adjudicateur ». Ceci semble donc bien confirmer l’obligation de porter à la connaissance de l’acheteur public la preuve de la saisine du tribunal », précise Me Palmier, « tel est le cas lorsque l’information est portée à la connaissance de l’acheteur public par le greffe du tribunal, puisque dans cette hypothèse, la preuve de la saisine ne pose aucune difficulté. La question de savoir s’il faut croire l’avocat sur parole est hors débat puisque l’avocat doit apporter la preuve du respect des règles de procédures contentieuses. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.» Après avoir fait remarquer que l’ordonnance parle également de l’AR de l’enregistrement de la requête (une fois déposé sur la plateforme, le recours fait l’objet d’une vérification par le tribunal qui alloue alors un numéro de dossier, NDR), Antoine Woimant considère que « cela n’a aucun sens. On ne peut pas être tributaire de la célérité du greffe». L’affaire est loin d’être terminée puisqu’un pourvoi a été déposé.