Les délais minima réglementaires de remise des plis en appel d'offres insuffisants ?

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Dans le cadre d’une procédure formalisée, les délais minima fixés par le décret relatif aux marchés publics sont-ils suffisants, en soi, pour permettre aux entreprises d’élaborer leurs dossiers ? Il ressort d’une ordonnance du TA de Guadeloupe, concernant un contentieux entre la communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre et des candidats évincés, que le nombre de jours minima prévu n’était pas forcément adapté à la passation. Le Conseil d’Etat, saisi du litige, va devoir apporter sa pierre à l’édifice.

La communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre s’est vue annuler sa passation d’appel d’offres, relative à une prestation de transport scolaire, sous prétexte qu’elle avait fixé un délai de remise des plis insuffisant alors que la durée choisie allait au-delà des exigences réglementaires. Elle s’est naturellement pourvue en cassation après le verdict du juge du référé précontractuel. En l’espèce, l’opération était divisée en une dizaine de lots. Les candidats avaient trente-quatre jours pour remettre leurs dossiers avec la possibilité de les déposer de manière dématérialisée. Conformément à l’article 67 II du décret du 25 mars 2016, dans le cadre d’une procédure formalisée, « l’acheteur peut ramener le délai minimal fixé au premier alinéa du I à trente jours si les candidatures et les offres sont ou peuvent être transmises par voie électronique ». Plusieurs sociétés évincées ont contesté la décision de la communauté de déclarer leurs offres inappropriées. Cette situation résulterait, selon elles, de la brièveté du timing pour élaborer une proposition répondant aux attentes du règlement de la consultation. Elles ont sous-entendu une atteinte de la personne publique au principe d’égalité.

Une rupture du principe d'égalité entre les candidats


Pour répondre favorablement aux requêtes des sociétés, le tribunal administratif (TA) de Guadeloupe s’est penché sur les modalités et la méthode d’attribution choisies. Primo, 20% de la notation portaient sur l’âge des véhicules. Deuzio, les entreprises proposant une automobile dont l’ancienneté n’excédait pas les deux ans obtenaient la note maximum. Ensuite, l’attribution des points se faisait de façon dégressive. Le juge du référé a alors fait le constat suivant : « Une proposition ne comportant pas de véhicules neufs, ou de deux ans au maximum, se voyait donc notée de manière substantiellement inférieure à celle d’un candidat pouvant répondre à ce critère ». Par conséquent, il en a déduit que  « le délai de 34 jours laissé aux candidats ne leur permettait pas d’obtenir, dans un premier temps, le financement de véhicules d’une valeur unitaire d’environ 200 000 euros et de pouvoir, dans un second temps, passer une commande avec une date de livraison ferme en Guadeloupe ». Le magistrat a reconnu une rupture d’égalité « entre les candidats qui disposaient déjà de véhicules de deux ans au maximum et ceux qui devaient les acquérir pour les besoins de leur candidature ».

La fixation du délai doit tenir compte de la complexité du marché


Lors de l’audience devant le Conseil d’Etat, le rapporteur public Olivier Henrard a expliqué l’argumentation de l’intercommunalité visant à faire reconnaître l’erreur de droit. La communauté d’agglomération a d’abord mis en avant la jurisprudence S.I.A.P de Saint-Martin de Ré. La condition essentielle serait, pour l’acheteur, que le délai ne soit pas « trop bref » (CE, 15 juin 2001, n°228856 et n°229824). Le maître des requêtes a balayé cette référence car l’arrêt concernait une délégation de service public. Contrairement au marché public, les textes n’ont jamais établi un nombre de jours devant être laissé aux entreprises pour candidater, a rappelé le rapporteur public. En revanche, le second argument est sujet à débat. D’après l’établissement public, une période minima étant définie réglementairement, cela signifie qu’elle serait raisonnable.

« Non seulement le non-respect du délai minimal est en lui-même une irrégularité mais son simple respect ne suffit pas pour [qu’il soit] suffisant au regard du caractère stricte du marché »

La solution du TA revient à complexifier le contrôle, a reconnu Olivier Henrard puisque : « non seulement le non-respect du délai minimal est en lui-même une irrégularité mais son simple respect ne suffit pas pour [qu’il soit] suffisant au regard du caractère stricte du marché ». Cependant, le raisonnement du magistrat serait fondé, en partie du moins. Le rapporteur public va le conceptualiser juridiquement. Le principe général est énoncé à l’article 43 alinéa 1 du décret précité : « L'acheteur fixe les délais de réception des candidatures et des offres en tenant compte de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur candidature et leur offre ». L’instauration d’une durée minima à partir de laquelle l’acheteur ne peut recevoir les plis n’a pas pour effet de créer une dérogation à cette règle. En effet, Olivier Henrard s’est référé à l’article 47 de la directive européenne 2014/24, disposition dans laquelle découle ce fondement, qui précise justement : « sans préjudice des délais minimaux fixés ». D’ailleurs, cette exigence a été retranscrite en droit interne à l’article 43 alinéa 2 du décret. Le pouvoir adjudicateur doit combiner ces normes et non avoir une lecture alternative, a admis Olivier Henrard.  

Les candidats doivent pouvoir remettre une offre recevable


Toutefois, le rapporteur public a reproché au juge du référé d’avoir recherché, implicitement dans sa réflexion, le temps nécessaire pour l’élaboration d’une offre compétitive au lieu de s’attarder sur le délai pour préparer une offre recevable.

« La finalité d’une consultation en marché public n’est pas de créer la situation la plus concurrentielle possible mais de permettre la satisfaction des besoins du service public... »

« La finalité d’une consultation en marché public n’est pas de créer la situation la plus concurrentielle possible mais de permettre la satisfaction des besoins du service public dans le respect de l’égalité entre les candidats. Le juge a commis une erreur de droit en se fondant sur les dispositions du décret au motif que les candidats ne pouvaient pas optimiser leurs offres » a conclu Olivier Henrard.