Une OAB est-elle une offre irrégulière au sens du décret ?

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Une offre anormalement basse (OAB) est-elle assimilable à une offre irrégulière au sens du décret des marchés publics ? A l’occasion d’un litige devant le Conseil d’Etat, le rapporteur public s’est penché sur la question. Elle est ressortie en filigrane d’une autre problématique à savoir s’il est possible, à l’aide des éléments produits par un candidat afin de justifier qu’il n’a pas présenté une OAB, d’écarter son pli pour un autre motif.

A l’occasion d’un contentieux devant le Conseil d’Etat, le rapporteur public s’est demandé si une offre anormalement basse était assimilable à une offre irrégulière au sens du décret des marchés publics. Cette réflexion découle de la problématique soulevée lors du pourvoi de la région Réunion à l’encontre d’une ordonnance du juge du référé précontractuel : un candidat peut-il voir son offre déclarée irrégulière pour un autre motif que "l’anormalement bas", à la suite des éléments qu’il a produit lors de la phase de vérification sur la viabilité économique de sa proposition ? En l’espèce, la société classée seconde avait contesté l’attribution du marché de la région portant sur la surveillance, le gardiennage et la sécurité incendie. Le magistrat réunionnais avait fait droit à sa demande. Le tribunal administratif (TA) n’avait pas considéré l'offre de l'attributaire comme étant anormalement basse. En revanche, la juridiction avait reconnu l’irrégularité de celle-ci. Pour parvenir à ce verdict, elle s'était fondée sur les pièces fournies par le candidat pressenti à l’acheteur lorsqu'il avait voulu démontrer que son prix n’était pas sous-évalué. Il s’est avéré à la lecture de ces document que l’entreprise avait construit son offre sur un taux de prévoyance erroné par rapport à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité applicable.

Une OAB est toujours une offre irrégulière


La notion d’offre irrégulière est régie par l’article 59 du décret relatif aux marchés publics et celle de l’offre anormalement basse (OAB) est consacrée au point 60 du même texte. Depuis la réforme de 2016, toute proposition d’un opérateur économique est écartée au titre de l’irrégularité si elle est contraire à une norme quelle que soit la nature de celle-ci : loi, convention collective, règlementation issue du dossier de consultation ou de l’avis de publicité.

Toute proposition d’un opérateur économique est écartée au titre de l’irrégularité si elle est contraire à une norme quelle que soit la nature de celle-ci

 Le rapporteur public, Gilles Pellissier, l’a annoncé haut et fort : « Une offre irrégulière parce qu’elle méconnaît la législation en vigueur peut être anormalement basse, voire l’être grâce à cette méconnaissance…parce qu’elle contrevient aux obligations applicables dans les domaines du droit de l'environnement, social et du travail (article 60 II) ». Le Conseil d’Etat a alors embrayé dans la présente affaire en admettant que : « [Les dispositions du décret] n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que soient pris en compte, pour apprécier la régularité d’une offre des éléments fournis en réponse à des demandes de l’acheteur formulées sur le fondement du I de l’article 60 ». Le moment de la découverte de la non-conformité d’une offre est sans incidence, avait précisé le maître des requêtes.     

Une OAB ne peut être régularisable contrairement à une offre irrégulière


Selon le rapporteur public, il faut néanmoins différencier la finalité des mesures consacrées à l’irrégularité et celles dédiées à l’anormalement bas.

Une offre anormalement basse fait courir au pouvoir adjudicateur le risque que le marché ne puisse être exécuté

« Les premières visent à assurer la conformité de l’offre au règlement de la consultation et aux normes applicables au marché, les secondes à garantir la bonne exécution », a-t-il affirmé. La distinction n’est pas anodine quand un pouvoir adjudicateur souhaite sauver un pli. En effet, une OAB ne peut être, quant à elle, jamais régularisable. Par conséquent, il serait sous-entendu que leur régularisation aurait pour effet de modifier les caractéristiques substantielles de l’offre. Gilles Pellissier l’a ainsi expliqué, en se référant aux conclusions de Bertrand Dacosta (CE, 1er mars 2012, n°354159) : « une offre anormalement basse fait courir au pouvoir adjudicateur le risque que le marché ne puisse être exécuté dans les conditions prévues, que l’entreprise soit défaillante ou encore qu’elle sollicite la passation d’avenants au marché initial, augmentant le coût du marché ».

Impossibilité de retenir une offre irrégulière si l’erreur n’est pas purement matérielle


Dans ce litige, il ressort que l’erreur sur le taux de prévoyance commise (0,40 au lieu de 0,53) avait au final un impact infime sur le prix mentionné. Elle n’était pas susceptible de remettre en cause le classement.

La région avait pourtant la faculté, au regard du « caractère très marginal de la portée de la régularisation sur le coût global du marché », de recourir à l’article 59 IV du décret

 Mais, la région ne pouvait retenir l’offre litigieuse en l’état « dès lors que cette irrégularité n’était pas une erreur purement matérielle d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue », a glissé le rapporteur public. La région avait pourtant la faculté, au regard du « caractère très marginal de la portée de la régularisation sur le coût global du marché », de recourir à l’article 59 IV du décret, a mis en avant Gilles Pellissier. La procédure devait donc être annulée. Les sages du Palais Royal l’ont suivi. Toutefois, le rapporteur public avait soulevé ce point : le juge des référés précontractuels est allé au-delà de ses prérogatives en annulant la totalité de la passation « alors que les manquements qu’il avait retenus n’auraient dû le conduire qu’à annuler la procédure au stade de l’examen des offres. [Or] ni la région requérante, ni la candidate retenue, n’ont […] soulevé cette erreur de droit ». Le Conseil d’Etat a quand même cassé l’ordonnance de référé sur ce motif, puis en réglant l’affaire rejeté la demande de la société évincée contestant la régularité de la procédure en amont de la phase de sélection des offres.