[Tribune] "Analyse des offres avant les candidatures et choix de l’offre économiquement la plus avantageuse"

  • 03/11/2022
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Marius Tro (Chef du Service de la Commande Publique - Sictiam) s'interroge : "Dans le cas de l’irrecevabilité de la candidature de l’attributaire pressenti, l’offre classée immédiatement après la sienne est-elle nécessairement l’offre économiquement la plus avantageuse au regard des autres candidats, plus particulièrement au regard de celui classé en troisième position ?"

Outil de simplification et d'efficacité du processus d'achat pour certains (Nicolas Charrel et Thomas Gaspar, "la nouvelle possibilité d'analyser les offres avant les Candidatures", Revue Contrats publics 21 février 2017, dossier "Analyser les candidatures et les offres") ; coup de canif dans la transparence et l’égalité de traitement des candidats pour d’autres (Pierre Desroches, point de vue : "L'analyse des offres avant les candidatures : pas si simple !" Le Moniteur.fr, 17 mai 2016), la possibilité d’analyser les offres avant les candidatures ouverte en 2016 (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 68) est aujourd’hui bien ancrée dans la pratique.

L’autre volet de simplification complétant ce dispositif et qui fait l’objet de la présente analyse concerne l’article R. 2144-7 du code de la commande publique. Ce dernier prévoit qu’en cas d’irrecevabilité du dossier de candidature de l’attributaire pressenti, « le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu'il subsiste des candidatures recevables ou des offres qui n'ont pas été écartées au motif qu'elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables ». L’aspect pratique de cette disposition qui ne fait nul doute, occulte en réalité une question juridique non moins utile au regard de la notion d’« offre économiquement la plus avantageuse ».

Rappelons en effet qu’aux termes des dispositions de l’article L.2152-7 du code de la commande publique, le marché « est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution ». L’article R.2152-6 ajoute en outre que « les offres régulières, acceptables et appropriées, […] sont classées par ordre décroissant en appliquant les critères d’attribution ».


Dans ces conditions, les dispositions de l’article R. 2144-7 trouvent-elles à s’appliquer de manière systématique ? En d’autres termes, dans le cas de l’irrecevabilité de la candidature de l’attributaire pressenti (classé 1er à l’issue de l’analyse), l’offre classée immédiatement après la sienne est-elle nécessairement l’offre économiquement la plus avantageuse au regard des autres candidats, plus particulièrement au regard de celui classé en troisième position ? Une réponse négative semble appropriée à cette interrogation au regard du processus légal de sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse.
 

L’offre classée immédiatement après l’attributaire défaillant n’est pas nécessairement l’offre économiquement la plus avantageuse


L’offre économiquement la plus avantageuse, si l’on se réfère aux termes des articles L. 2152-7 et R. 2152-6, est celle qui répond le mieux à l’ensemble des critères de sélection définis préalablement par l’acheteur. Autrement dit, elle s’entend par l’offre classée en première position à l’issue de la mise en œuvre des critères de notation. Les modalités de sélection de cette dernière sont différentes selon que l’acheteur pondère ou hiérarchise les critères. La pertinence juridique du choix du soumissionnaire classé immédiatement après l’attributaire défaillant dépendra donc de ces modalités de mise en œuvre des critères. 

La présente analyse ne revient pas en détail sur l’hypothèse de la hiérarchisation des critères. En effet, dans ce cas, « c'est très fréquemment l'offre arrivée en tête au regard du premier critère qui est déclarée économiquement la plus avantageuse » (Christophe Lajoy, "offre économiquement la plus avantageuse", Juris-Classeur, Contrats et Marchés Publics, Fasc. 61-15, 1er mai 2017). Le classement effectué étant définitif quel que soit le critère de sélection retenu, dans l’hypothèse de l’élimination du soumissionnaire en tête du classement, le candidat classé en deuxième position devient nécessairement premier au regard des autres candidats. Il n’y a donc pas de rupture d’égalité de traitement des candidats à choisir ce soumissionnaire sauf si son offre est irrégulière, inappropriée ou inacceptable. Cependant, la rareté des consultations prévoyant la hiérarchisation des critères rend quasi inexistante les hypothèses de mise en œuvre de l’article R. 2144-7.

La situation est toute autre lorsque l’acheteur décide de pondérer les critères de sélection. Pour rappel, dans ce cas, il attribue un poids à chacun des critères qu’il aura préalablement déterminé et porté à la connaissance des candidats. Les offres des candidats sont ensuite analysées et classées en fonction de ces critères, sous-critères et leurs poids. L’offre économiquement la plus avantageuse est celle arrivée en tête du classement à l’issue de l’analyse, c’est-à-dire celle obtenant la meilleure note au regard de l’ensemble des critères. Dans cette hypothèse, le choix du candidat classé en deuxième position doit-il être systématique en cas d’élimination de l’attributaire pressenti ? Une réponse négative à cette interrogation semble appropriée à certains égards.

Choisir l’offre du candidat arrivé en deuxième position revient à admettre celle-ci comme étant économiquement la plus avantageuse au regard des candidats classés après elle. Or, une telle considération n’est étayée par aucune disposition du code de la commande publique

Tout d’abord, choisir l’offre du candidat arrivé en deuxième position revient à admettre celle-ci comme étant économiquement la plus avantageuse au regard des candidats classés après elle. Or, une telle considération n’est étayée par aucune disposition du code de la commande publique.

Aussi, comme cela se fait pour toute compétition, les candidats ne remplissant pas les critères d’admission n’y participent pas et ne sont pas donc pris en compte dans le classement final de la compétition. La même logique devrait s’appliquer à la phase de candidature d’un marché, même en cas d’inversion des étapes.
L’offre d’un soumissionnaire dont le dossier de candidature est irrecevable ne devrait pas être classée. La possibilité d’analyser les offres avant les candidatures ne devrait pas déroger à cette règle d’autant plus que sélectionner systématiquement l’offre classée immédiatement après l’attributaire défaillant comme le prévoit l’article R. 2144-7, peut entrainer une rupture d’égalité de traitement des candidats. Dans ces conditions, il faut s’en référer à une application stricte des dispositions de l’article L. 2152-7. Cela implique que, pour choisir l’offre économiquement la plus avantageuse, l’acheteur reprenne l’analyse des offres après élimination de la candidature du soumissionnaire pressenti attributaire.

Illustration

A titre illustratif, prenons une hypothèse dans laquelle trois candidats A, B et C répondent à une consultation dans laquelle l’acheteur décide de sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un critère de la valeur technique pondéré à 30 points et un critère du prix à 70 points.

Situation 1 : l’acheteur met en œuvre les dispositions de l’article R. 2144-7. Le candidat A classé 1er obtient une note de 24 points à la valeur technique, et 70 points au critère prix, soit un total de 94 points. Le candidat B classé 2e obtient 30 points à la valeur technique, 44,55 au critère prix, soit un total de 74,55. Enfin, le candidat C classé 3e obtient 26 points au critère de la valeur technique et 47,80 au critère du prix, pour une note globale de 73,80 points. La candidature de A est défaillante et éliminée. Le candidat B devient attributaire s’il dispose des capacités exigées au titre de la candidature.

Situation 2 : l’acheteur reprend l’analyse des offres après élimination de l’offre de l’attributaire pressenti. Il élimine l’offre du candidat A et reprend l’analyse des offres des candidats B et C. Bien entendu, le critère de la valeur technique n’est plus analysé, puisqu’il n’est pas impacté par l’éviction du candidat A. Ainsi, une nouvelle analyse du critère du prix apprécié au regard d’une formule inversement proportionnelle est effectuée. Cela conduit à attribuer la note de 70 points au candidat C, ayant désormais présenté l’offre la moins disante et la note de 65,23 au candidat B. A l’issue de cette analyse, le candidat B obtient la note globale de 95,23 et le candidat C arrive en tête avec la note de 96 points.

Laquelle des deux situations répond au mieux à l’impératif du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ? Laquelle est la plus conforme au principe d’égalité de traitement des candidats ? Sans aucun doute, la situation n° 2 est celle qui répond à ces deux impératifs.
Ces exemples montrent en effet qu’en effectuant une nouvelle analyse après l’élimination de l’attributaire, le soumissionnaire classé 2e initialement ne devient pas systématiquement mieux classé au regard du candidat classé 3e.

Une modification des dispositions de l’article R.2144-7 du code est donc souhaitable pour autoriser l’acheteur à reprendre l’analyse des offres sans le soumissionnaire dont la candidature est irrecevable ou qui n’est pas en mesure de produire les attestations administratives

Précisons par ailleurs que le juge s’est déjà prononcé dans le sens de la situation B. En effet, dans son arrêt du 21 février 2019 (CAA Bordeaux 21 février 2019, Société nouvelle Paybou, req. n° 17BX00469), la Cour administrative d’appel de Bordeaux a estimé que le département des Pyrénées Atlantiques pouvait tout à fait reprendre l’analyse des offres après élimination de la candidature du groupement attributaire.
Dans cette affaire, la reprise de l’analyse avait conduit à ce que le candidat classé initialement en troisième position remporte le marché après élimination de la candidature de l’attributaire. Cependant, il convient de rappeler que cet arrêt a été rendu par application de l’ancien code des marchés publics qui ne prévoyait pas de dispositif semblable à celui de l’article R. 2144-7 pour les cas d’irrecevabilité d’une candidature. L’issue de cet arrêt serait peut-être différente aujourd’hui.
Une modification des dispositions de l’article R. 2144-7 du code est donc souhaitable pour autoriser l’acheteur à reprendre l’analyse des offres sans le soumissionnaire dont la candidature est irrecevable ou qui n’est pas en mesure de produire les attestations administratives. Cependant, cette modification nécessiterait de prévoir des mesures d’allègement de la charge de l’acheteur et des opérateurs économiques.
 

L’anticipation de la défaillance de l’attributaire pressenti par l’adaptation des modalités pratiques de la reprise de l’analyse des offres


Dans l’hypothèse d’une modification de l’article R. 2144-7, l’acheteur devrait anticiper l’éventuelle défaillance des soumissionnaires de plusieurs manières selon la procédure de passation.

En appel d’offres ouvert - Les services de l’acheteur peuvent prévoir plusieurs hypothèses d’analyse des offres en prévision de l’éventuelle défaillance de la candidature du soumissionnaire en tête du classement. Cette analyse ne portera bien évidemment que sur les critères dont les notes sont attribuées au regard d’une formule inversement proportionnelle et conduisant à attribuer la note maximale au candidat le moins disant en termes de prix ou de délais. Elle sera donc moins fastidieuse. 
Ainsi, l’acheteur peut prévoir une première hypothèse d’analyse concernant l’ensemble des candidats, une seconde anticipant une irrecevabilité de la candidature du soumissionnaire classé 1er dans le cadre de la première analyse, une troisième en cas d’irrecevabilité de la candidature du soumissionnaire classé 1er dans le cadre de la seconde analyse. En pratique, ces trois hypothèses suffiraient compte tenu de la rareté des situations d’irrecevabilité de la candidature du soumissionnaire attributaire. Ces hypothèses d’analyse seraient présentées à la Commission d’appel d’offres (CAO) qui choisira le titulaire dans chacune des situations. La vérification du dossier de candidature du soumissionnaire classé en tête de la première analyse des offres est d’abord effectuée à l’issue de la CAO. En cas d’irrecevabilité de sa candidature, la demande est présentée au soumissionnaire classé en tête de la seconde hypothèse d’analyse, ainsi de suite.
Dans tous les cas, ces hypothèses d’analyse ne devraient être prévues que lorsqu’il existe un doute sérieux sur le caractère économiquement la plus avantageuse de l’offre classée en seconde position après la première analyse.
Plusieurs indices pourraient attirer l’attention de l’acheteur :
  • l’écart de note entre l’offre classé 2ème et celles arrivées immédiatement après elle est infime.
  • les candidats classés en seconde et troisième position ont présenté de meilleures offres financières ou des délais plus intéressants.
  • l’analyse des critères du prix et/ou du délai s’effectue au regard d’une formule inversement proportionnelle à savoir : (l’offre la moins disante/l’offre du candidat) x la note maximum.

En procédure adaptée avec négociation - L’acheteur devrait pouvoir mettre en œuvre la souplesse qu’offre la procédure adaptée. La vérification du dossier de candidature pourrait donc intervenir à l’issue de la première analyse et avant la mise en œuvre de la négociation. Si l’un des soumissionnaires admis à la négociation ne remplit pas les conditions de la candidature, son offre est écartée. L’acheteur reprendrait l’analyse en présence des indices ci-dessus, afin d’admettre à la négociation l’un des candidats restants. L’idée étant que ne soient admis à négocier que les soumissionnaires satisfaisant aux critères de la candidature. Le classement effectué après négociation deviendrait définitif. L’acheteur serait ainsi assuré de sélectionner un soumissionnaire ayant l’ensemble des attestations, remplissant les critères de la candidature et dont l’offre est économiquement la plus avantageuse.